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mercredi 18 avril 2012

Parfum de sorcière (chapitre 3 & 4)

Trois - La grande vie

Du tout au tout, la vie de la sorcière se
transforma encore. Elle fit venir de la
ville une baignoire, l'eau courante, du
désinfectant, l'électricité, le gaz et un
aspirateur. Elle prit un bain, qui dura
trois jours. Elle s'épila le poil de la
verrue. Elle désinfecta l'espèce de corbeau,
qui cria à l'assassinat. Elle nettoya la maison de fond en comble.

Avec les saletés, elle fit dehors un grand feu, dont la fumée noircit le ciel,
comme si la nuit éternelle était venue. Elle prit à nouveau un bain, qui dura
cette fois deux jours. Elle rangea son balai dans le fond d'un placard. Elle
s'exerça à marcher avec des talons aiguilles. Puis, fleurant bon le patchouli,
elle prit place à l'arrière d'un taxi.

- Mais quel cirque ! commenta à côté l'espèce de corbeau, enfermé dans
   une cage, le cou serré d'un noeud papillon.
- A nous la grande vie ! s'exclama la sorcière, alors que la ville se dessinait
   au loin.

Sans crier gare, la sorcière débarqua dans les studios de télévision Mondio.
A l'entrée, elle se fit annoncer sous le nom de Jennifer Star.

- Voilà autre chose ! s'étrangla l'espèce de corbeau.

Elle répéta à l'hôtesse qui écarquillait les yeux :

- La grande Jennifer Star !

Elle demande encore à l'hôtesse :

- Chérie, fais apporter un doigt d'eau minérale à mon perroquet...
- Perroquet toi-même ! chuchota l'oiseau.

On filma la sorcière sous toutes les coutures, de peur qu'il ne s'agisse vraiment
d'une grande vedette. Télévision Mondio, redoutait trop qu'une chaîne
concurrente annonce une nouvelle avant eux. Comme la sorcière passa dans le
journal télévision Mondio, elle fut invitée sur toutes les autres chaînes.

Elle fut bientôt de toutes les émissions de variétés. On interviewait l'espèce de
corbeau, qui, pour l'occasion, mettait des lunettes noires. La sorcière devint
célèbre dans tout le pays. Ses recettes de parfums naturels faisaient fureur.
Une grande maison de couture lança une collection de vêtements en dentelle
de serpillière, portant la griffe de Jennifer Star.

Elle voyageait sans cesse d'un pays à l'autre. Près de sa cabane en forêt, elle
fit construire une piscine et un héliport. L'espèce de corbeau fumait des cigares
gros comme des poireaux et, aux questions que lui posaient les journalistes,
il répondait maintenant en japonais :

- Quézako laizémoi rezpirato.

Quatre - La rançon de la gloire

Mais ce qui devait encore arriver arriva. Un beau matin, l'espèce de corbeau
disparut. On l'avait enlevé au nez et à la barbe de la sorcière, qui reçut tout de
suite une demande de rançon. La sorcière tomba dans les pommes quand elle
lut qu'en échange du volatile, on lui réclamait des millions.

Il ne se passait pas un jour sans que les journaux ou les télévisions ne parlent
de l'affaire. La sorcière fit appel aux services d'un détective privé, d'un agent
d'assurances, d'un publicitaire, d'un ministre de l'intérieur, d'un de l'extérieur,
et d'un releveur d'empreintes. Tout ce petit monde se lança aux trousse de
l'oiseau.

L'espèce de corbeau avait été enlevé par deux gros bandits, maladroits et pas
très méchants, qui avaient trouvé refuge dans une ancienne nougaterie. Ils
n'avaient pas le moral, car l'oiseau leur en faisait voir de toutes les couleurs.
Le plus petit des bandits se lamentait :

- On aurait mieux fait de se coucher plutôt que d'enlever un ostrogot comme
   ça. Et en plus, il pue comme dix cochons.

L'espèce de corbeau, qui gardait toujours sur lui des ampoules puantes
préparées par la sorcière, avait aspergé sa litière d'un mélange d'odeurs de
porcherie et de poisson avarié. Les gros bandits en avaient le mal de mer.
Le hasard fit encore bien les choses.

Lorsque la sorcière avait expédié Henry Delamarque par-dessus la forêt,
celui-ci avait atterri sur un camion plein de nougats, et c'est ainsi qu'il était
devenu vendeur de nougats et que, de fil en aiguille, il en était venu à chercher
une fabrique de nougats, pour lancer ses propres spécialités. Henry Delamarque
se trouva nez à nez avec les bandits, qui le prirent pour un inspecteur de police.

- Haut les mains ! cria l'oiseau.

Il fit un clin d'oeil au grand monsieur, qui portait à nouveau moustache et cravate.
Les deux bandits furent ravis de pouvoir se débarrasser de l'espèce de corbeau,
en échange d'un sachet de nougats mous. Ils partirent sans demander leur reste.
La sorcière fit un accueil triomphal à Henry Delamarque. Elle déclara aux
journalistes :

- Je renais, je reris, je remange, je reris, merci Henry, je ne vous avais jamais
   oublié.

Elle embrassa le grand monsieur, et lui chuchota à l'oreille :

- Demandez-moi en mariage, c'est le moment, toute la presse est là...

L'espèce de corbeau racontait en japonais l'histoire de son enlèvement. Un  
bouchon de champagne explosa. La fête commença...

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