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vendredi 20 mai 2011

Un canard, un autre canard

Dany et sa grand-mère allèrent à la mare. Ils virent
une maman cane avec ses bébés canards derrière
elle. Dany commença à les compter.

- Un canard, un autre canard, un autre canard,
   un autre canard...

- Non, dit grand-mère. Tu sais compter. Un, deux,
   trois et ainsi de suite. Compte-les pour de vrai.

Les canards sortirent des herbes hautes. Danny compta.

- Un canard, un autre canard... Deux canards, un autre canard...
   Trois canards, un autre canard... Quatre canards, un autre canard...
   Cinq canards...

Danny regarda encore et encore.

- Un autre canard ? demanda-t-il.

- Non, dit grand-mère. C'est un cygne. Un seul cygne, ce n'est pas assez
   pour compter. Mais regarde... D'autres canards arrivent. Tu en étais à cinq.
   Après le cinquième c'est... ?

Danny reprit :

- Six canards, un autre canard... Sept canards, un autre canard...
   Huit canards, un autre canard... Neuf canards, dit Danny.

Danny et grand-mère regardaient s'éloigner
les canards.

- Un autre canard ? interrogea danny.

- Non, dit grand-mère. Plus de canards.

- Regarde, grand-mère, tu te trompes. Dix
   canards, dit Danny. Un, deux, trois, quatre,
   cinq, six, sept, huit, neuf, dix.

- Très bien, dit grand-mère. Tu sais compter jusqu'à dix.

- Regarde, grand-mère ! Maintenant il y a assez de cygnes pour les compter.

Grand-mère bâilla.

- Non, Danny, assez de calcul. C'est l'heure de rentrer.

Danny sourit tout seul.

- Je sais, pensa-t-il tout bas. Je vais compter les étoiles.

dimanche 15 mai 2011

Les petits lutins

Il était une fois une petite ville prospère
et heureuse. En effet, chaque nuit, dès
que tout le monde s'était endormi, de
gentils petits lutins faisaient leur
apparition. Ils entraient sans bruit dans
les maisons et effectuaient la besogne
que les habitants n'avaient pu terminer
la veille.

Le pauvre menuisier
s'était endormi sur
son établi. Le lendemain, il devait livrer plusieurs portes et il n'avait pu terminer sa commande. Les petits lutins,
comprenant la situation, se mirent immédiatement au
travail. Bientôt, tout fut achevé.

Le boulanger dormait encore. Quelques petits lutins se glissèrent dans le fournil et allumèrent le four. Puis ils se mirent à pétrir la pâte, firent les pains et les enfournèrent. A son réveil, - il se lève très tôt - le boulanger trouvera de beaux pains dorés et croustillants.

Les petits lutins pensaient aussi aux mamans qui travaillaient sans arrêt du matin au soir. Elles n'avaient jamais de repos. Ils faisaient leur lessive et leur vaisselle, repassaient le linge, nettoyaient les vitres et préparaient les légumes pour le potage.

Ils aidaient également le boucher qui était un
brave homme, honnête et toujours de bonne
humeur : ils mettaient les jambons dans le
saloir, fumaient le lard, préparaient la viande
pour faire les saucisses et le boudin.

Le marchand de vin était un ivrogne -
l'occasion fait le larron - mais il avait bon
coeur. Notre homme devait justement mettre
plusieurs tonneux en bouteilles. Cinq lutins le firent à sa place.

Le tailleur du village n'avait pas beaucoup de
travail en cette saison : un costume à couper
et à faufiler et un manteau à terminer. Mais le
pauvre homme était malade et n'avait guère
le coeur à l'ouvrage. Pas étonnant d'ailleurs :
sa femme qui était la pire des mégères lui
rendait la vie insupportable et la santé
du malheureux en pâtissait.

- Achevons son travail, se dirent les lutins,
   ainsi le pauvre tailleur pourra prendre un
   peu de détente hors de chez lui : il en a
   le plus grand besoin ...

Moins d'une heure plus tard, tout était terminé. Le lendemain matin, le tailleur
descendit à l'atelier, fiévreux et grelottant. Mais quand il vit son travail achevé,
il poussa un soupir de soulagement et voulut se remettre au lit. Sa femme, ayant
appris l'intervention des lutins, résolut de se débarrasser d'eux car elle disait qu'ils
entretenaient la paresse de son mari.

La nuit suivante, elle répandit des pois secs dans
l'atelier et, armée d'un balai, elle attendit les lutins.
Quand ceux-ci arrivèrent, ils glissèrent sur les pois
et tombèrent. La méchante femme les chasssa
alors à grands coups de balai.

Les petits lutins, écoeurés par une telle ingratitude,
ne revinrent plus jamais dans la petite ville. Et,
depuis ce jour, chacun dut faire son travail lui-même.

Tout le monde regretta les gentils lutins : le boucher
dut préparer sa charcuterie tout seul. Le boulanger dut se lever à nouveau très tôt pour cuire tous ces pains. Le menuisier fut toujours en retard pour ses livraisons. Les lessives n'en finissaient pas et le linge à repasser s'empilait désespérément dans les paniers ... Seule la femme du tailleur fut satisfaite.

Mais quand les gens apprirent ce qu'elle avait fait aux lutins, ils décidèrent de ne
plus lui adresser la parole jusqu'à la fin de sa vie. Ce qu'ils firent et, comme elle
était très bavarde ...

vendredi 13 mai 2011

Hilda

Hilda est un joli petit chien. Mais ce qu'elle
aimerait, c'est être comme bébé ...

Bébé à l'air content dans son bain, quand il joue
avec l'eau et la mousse. Hilda aimerait bien
prendre son bain, elle aussi. Mais maman dit :

- Non, non, Hilda. Le bain, ce n'est pas pour
   les petits chiens.

Hilda aimerait bien aussi s'habiller comme bébé, avec des vêtements doux et colorés. Mais maman dit :

- Voyons, Hilda, les petits chiens ne s'habillent pas !

Ce qu'Hilda trouve le plus épatant, c'est le pot en plastique ... mais maman dit :

- Ah non, Hilda, sûrement pas ! Le pot, ce n'est vraiment pas pour les petits chiens.

Hilda est vraiment triste. Elle en a assez d'entendre
non, non et non toute la journée. Elle en a assez
d'être un petit chien. Alors elle décide de prendre
un bain. Elle se lave de la pointe des oreilles
jusqu'au bout du museau. Puis elle s'habille de tous
ces beaux tricots, chapeaux, chaussettes et
chemisettes. Et dans le pot, elle fait une magnifique
crotte !

- Voilà, dit Hilda, je suis comme bébé !

Mais soudain, maman l'appelle.

- Viens voir, Hilda, j'ai quelque chose pour toi : un os bien gros, bien gras !

Quel bonheur pour Hilda : c'est quand même bien d'être un petit chien, parfois !

jeudi 12 mai 2011

Un amour de crocodile

Madame Pravout voulait un compagnon. Pourtant, madame
Pravout n'était pas seul. Elle avait déjà une perruche. Mais
la perruche ne l'amusait plus du tout. Madame Pravout avait
envie d'un animal un peu extraordinaire. Un beau matin, elle
se rendit en ville et elle acheta ... un bébé crocodile.

Ce crocodile-là tenait dans une main. Il était couvert
d'écailles vertes, et quand il ouvrait la gueule on apercevait
deux rangées de minuscules dents blanches.

- Oh, comme il est mignon ! s'écria madame Pravout. Je
   l'appellerai Crokinou.

Madame Pravout revint chez elle avec le crocodile et fit couler un bain dans
l'évier. Il se mit aussitôt à nager. Le lendemain, Lucas, le petit-fils de madame
Pravout, tendit la main pour caresser Crokinou.

- Grand-mère, ton crocodile m'a mordu !
   cria-t-il.

- Mais non ! dit madame Pravout. Tu as
   dû t'égratigner dans le jardin. Crokinou
   ne ferai pas de mal à une mouche.

Pourtant, depuis l'arrivée de crokinou, on ne
voyait plus une mouche, plus une araignée,
plus le moindre insecte dans la maison de
madame Pravout. Madame Pravout adorait
son Crokinou. Elle lui avait fait un lit dans une boîte à chaussures, avec de jolis petit draps et une jolie petite couverture. Elle l'emmenait se promener au bout d'une toute petite laisse. Et comme il n'y avait pas de nourriture spéciale pour crocodiles, elle lui donnait de la pâtée pour chats et pour chiens qu'elle mélangeait avec un peu de poisson.

Et crokinou grandissait, grandissait. Il fut bientôt trop grand pour sa boîte à
chaussures, et madame Pravout lui prépara un lit dans une caisse. Crokinou
était devenu bien trop grand pour nager dans l'évier, alors madame Pravout
lui offrit sa baignoire. Et elle dut bientôt remplacer sa petite laisse par une corde.

Un jour, Lucas vint voir sa grand-mère. Il
entrouvrit la cage et laissa s'envoler la
perruche. Crokinou ouvrit la gueule et,
hop ! il avala l'oiseau tout entier.

- Grand-mère ! s'écria Lucas, ton crocodile
   vient de manger la perruche !

- Mais non, dit madame Pravout, elle a dû
   s'envoler par la fenêtre. Crokinou ne ferait
   pas de mal à une mouche.

Crokinou souriait. Son grand sourire découvrait une cinquantaine de dents
d'une éclatante blancheur.

- Cui ! cui ! fit-il.

Et le crocodile grandissait, grandissait... Quand il devint trop grand pour son petit
lit, madame Pravout l'installa dans le sien. Et comme il ne tenait plus dans la
baignoire, elle creusa un bassin dans son jardin, et elle remplaça la corde par une
grosse chaîne.

Un jour, alors que Crokinou se prélassait dans
son bassin, le chat de la voisine passa par là.
Crokinou le regarda, ouvrit la gueule et, hop !
il l'avala.

- Madame Pravout ! s'écria la voisine, votre
   crocodile vient de manger mon chat !

- Mais non ! dit madame Pravout, votre chat
   a dû se cacher quelque part. Crokinou ne
   ferait pas de mal à une mouche.

Crokinou souriait. Son immense sourire découvrait une centaine de dents d'une
éclatante blancheur.

- Miaou ! fit-il.

Et le crocodile grandissait, grandissait ... Bientôt, il fut trop grand pour le lit de
madame Pravout et il dut dormir dans le couloir. Crokinou était devenu trop
grand pour le bassin. Madame Pravout prit l'habitude de l'arroser au tuyau
d'arrosage, et elle remplaça la chaîne par un énorme câble.

Un jour, dans un jardin public, Crokinou vit un chien qui courait derrière un
ballon. Le crocodile ouvrit la gueule et, hop ! d'un coup il avala le chien.

- Dites donc, madame ! s'écria le maître du
   chien, votre crocodile vient de manger
   mon chien !

- Mais non ! dit madame Pravout, votre chien
   a dû se sauver. Crokinou ne ferait pas de
   mal à une mouche.

Crokinou souriait. Son énorme sourire
découvrait deux centaines de dents d'une
éclatante blancheur.

- Ouah ! ouah ! fit-il.

Et le crocodile grandissait, grandissait ... Il était devenu plus grand que la maison,
et lorsqu'il dormait, sa tête dépassait d'un côté, et sa queue de l'autre. Il devint
même trop grand pour aller dans le jardin, et madame Pravout prit l'habitude de
lui faire sa toilette avec une éponge humide. Et elle ne pouvait plus l'emmener en
promenade. Un jour, Lucas vint voir madame Pravout à l'heure du goûter.

- Grand-mère ! appela-t-il.

Mais personne ne répondit. Dans la maison, il
n'y avait que Crokinou. Et Crokinou souriait.
Son sourire était le plus gigantesque qu'on ait
jamais vu.

- Il ne ferait pas de mal à une mouche, dit-il.

Puis il regarda Lucas ouvrit la gueule, et ...
Lucas s'enfuit à toutes jambes.


samedi 7 mai 2011

La princesse et le porcher

Il y avait une fois un prince pauvre. Son
royaume tout petit mais tout de même
assez grand pour s'y marier et justement,
il avait le plus grand désir de se marier.
Il y avait peut-être un peu de hardiesse
à demander à la fille de l'empereur voisin :
"veux-tu de moi ?"

Il l'osa cependant car son nom était honorablement connu, même au loin, et
cent princesses auraient accepté en remerciant, mais allez donc comprendre
celle-ci... Ecoutez, plutôt :

Sur la tombe du père du prince poussait un rosier, un rosier miraculeux. Il ne
donnait qu'une unique fleur tous les cinq ans, mais c'était une rose d'un parfum
si doux qu'à la respirer on oubliait tous ses chagrins et ses soucis.

Le prince avait aussi un rossignol qui chantait comme si toutes les plus belles
mélodies du monde étaient enfermées dans son petit gosier. Cette rose et ce
rossignol, il les destinait à la princesse, tous deux furent donc placés dans deux
grands écrins d'argent et envoyés chez elle.

L'empereur les fit apporter devant lui dans le grand salon où la princesse jouait
"à la visite" avec ses dames d'honneur - elle n'avait du reste pas d'autre occupation -
et lorsqu'elle vit les grandes boîtes contenant les cadeaux, elle applaudit de plaisir.

- Si seulement c'était un minet, dit-elle.

Mais c'est la merveilleuse rose qui parut.

- Comme elle est joliment faite ! s'écrièrent
   toutes les dames d'honneur.

- Elle est plus que jolie, surenchérit l'empereur,
   elle est la beauté même.

Cependant la princesse la toucha du doigt et fut
sur le point de pleurer.

- Oh ! papa, cria-t-elle, quelle horreur, elle n'est pas artificielle, c'est une vraie !

- Fi donc ! s'éclamèrent toutes ces dames, c'est une vraie !

- Avant de nous fâcher, regardons ce qu'il y a dans la deuxième boîte,
   opina l'empereur.

Alors le rossignol apparut et il se mit à chanter si divinement que tout d'abord
on ne trouva pas de critique à lui faire.

- Superbe ! charmant ! s'écrièrent toutes les dames de la cour, car elles
   parlaient toutes français, l'une plus mal que l'autre du reste.

- Comme cet oiseau me rappelle la boîte à
   musique de notre défunte impératrice dit
   un vieux gentilhomme. Mais oui, c'est tout
   à fait la même manière, la même
   diction musicale !

- Eh oui ! dit l'empereur.

Et il se mit à pleurer comme un enfant.

- Mais au moins j'espère que ce n'est pas un
   vrai, dit la princesse.

- Mais si, c'est un véritable oiseau, affirmèrent ceux qui l'avaient apporté.

- Ah ! alors qu'il s'envole, commanda la princesse.

Et elle ne voulut pour rien au monde recevoir le prince. Mais lui, ne se
laissa pas décourager, il se barbouilla le visage de brun et de noir, enfonça
sa casquette sur sa tête et alla frapper là-bas.

- Bonjour, empereur ! dit-il, ne pourrais-je pas trouver du travail au château ?

- Euh ! il y en a tant qui demandent, répondit l'empereur, mais, écoutez ... je
   cherche un valet pour garder les cochons car nous en avons beaucoup.

Et voilà le prince engagé comme porcher impérial. On lui donna une mauvaise
petite chambre à côté de la porcherie et c'est là qu'il devait se tenir. Cependant,
il s'assit et travailla toute la journée, et le soir, il avait fabriqué une jolie petite
marmite garnie de clochettes tout autour.

Quand la marmite se mettait à bouillir, les clochettes tintaient et jouaient :
ach, du lieber Augustin,
alles ist hin, hin, hin
mais le plus ingénieux était que si l'on mettait le doigt dans la vapeur de la marmite,
on sentait immédiatement quel plat on faisait cuire dans chaque cheminée de la
ville. Ca, c'était autre chose qu'une rose.

Au cours de sa promenade avec ses dames
d'honneur, la princesse vint à passer devant
la porcherie et lorsqu'elle entendit la mélodie,
elle s'arrêta toute contente car elle aussi
savait jouer "ach, du lieber Augustin",
c'était même le seul air qu'elle sût et elle le
jouait d'un doigt seulement.

- C'est l'air que je sais, dit-elle, ce doit être un porcher bien doué. Entrez et demandez-lui ce que coûte son instrument.

Une des dames de la cour fut obligée d'y aller mais elle mit des sabots.

- Combien veux-tu pour cette marmite ? demanda-t-elle.

- Je veux dix baisers de la princesse !

- Grand dieux ! s'écria la dame.

- C'est comme ça et pas moins ! insista le porcher.

- Eh bien ! qu'est-ce qu'il dit ? demanda la princesse.

- Je ne peux vraiment pas le dire, c'est trop affreux.

- Alors, dit tout bas !

La dame d'honneur le murmura à l'oreille de la princesse.

- Mais, il est insolent, dit celle-ci et elle s'en fut immédiatement.

Dés qu'elle eut fait un petit bout de chemin, les clochettes se mirent à tinter.

- Ecoute, dit la princesse, va lui demander s'il
   veut dix baisers de mes dames d'honneur.

- Oh que non, répondit le porcher. Dix baisers
   de la princesse ou je garde la marmite.

- Que c'est ennuyeux ! dit la princesse. Alors il
   faut que vous vous teniez toute autour de
   moi afin que personne ne puisse me voir.

Les dames d'honneur l'entourèrent en étalant leurs jupes, le garçon eut dix baisers
et elle emporta la marmite. Comme on s'amusa au chateau ! Toute la soirée et
toute la journée la marmite cuisait, il n'y avait pas une cheminée de la ville dont on
ne sût ce qu'on y préparait tant chez le chambellan que chez le cordonnier. Les
dames d'honneur dansaient et battaient des mains.

- Nous savons ceux qui auront du potage sucré ou bien des crêpes, ou bien encore
   de la bouillie ou des côtelettes, comme c'est intéressant !

- Supérieurement intéressant ! dit la grande maîtresse de la cour.

- Oui, mais pas un mot à personne, car je suis la fille de l'empereur.

- Dieu nous en garde ! firent-elles toutes ensemble.

Le porcher, c'est-à-dire le prince, mais personne ne se doutait qu'il pût être autre
chose qu'un véritable porcher, ne laissa pas passer la journée suivante sans
travailler, il confectionna une crécelle. Lorsqu'on la faisait tourner, résonnaient
en grinçant toutes les valses, les galops et les polkas connus depuis la création du
monde.

- Mais c'est superbe, dit la princesse lorsqu'elle passa devant la porcherie. Je n'ai
   jamais entendu plus merveilleuse improvisation ! Ecoutez, allez lui demander ce
   que coûte cet instrument - mais je n'embrasse plus !

- Il vaut cent baisers de la princesse, affirma la dame d'honneur qui était allée
   s'enquérir.

- Je pense qu'il est fou, dit la princesse.

Et elle s'en fut. Mais après avoir fait un petit bout de chemin, elle s'arrêta.

- Il faut encourager les arts, dit-elle. Je suis la fille de l'empereur. Dites-lui que je
   lui donnerai dix baisers comme hier, le reste, mes dames d'honneur s'en
   chargeront.

- Oh ! ça ne nous plaît pas du tout, dirent ces dernières.

- Quelle bêtise ! répliqua la princesse. Si moi je peux l'embrasser, vous le
   pouvez aussi. Souvenez-vous que je vous entretiens et vous honore.

Et, encore une fois, la dame d'honneur dut aller s'informer.

- Cent baisers de la princesse, a-t-il dit, sinon il garde son bien.

- Alors, mettez-vous devant moi. Toutes les dames l'entourèrent et
   l'embrassade commença.

- Qu'est-ce que c'est que cet attroupement, là-bas, près de la porcherie !
   s'écria l'empereur.

Il était sur sa terrasse où il se frottait les yeux et mettait ses lunettes.

- Mais ce sont les dames de la cour qui font
   des leurs, il faut que j'y aille voir.

Il releva l'arrière de ses pantoufles qui
n'étaient que des souliers dont le contrefort
avait laché... Saperlipopette ! comme il se
dépêchait ... Lorsqu'il arriva dans la cour,
il se mit à marcher doucement. Les dames
d'honneur occupées à compter les baisers
afin que tout se déroule honnêtement, qu'il
n'en reçoive pas trop, mais pas non plus
trop peu, ne remarquèrent pas du tout l'empereur. il se hissa sur les pointes :

- Qu'est-ce que c'est ! cria-t-il quand il vit ce qui se passait.

Et il leur donna de sa pantoufle un grand coup sur la tête, juste au moment où le
porcher recevait le quatre-vingtième baiser.

- Hors d'ici ! cria-t-il furieux.

La princesse et le porcher furent jetés hors de l'empire. Elle pleurait, le porcher
grognait et la pluie tombait à torrents.

- Ah ! je suis la plus malheureuse des créatures, gémissait la princesse. Que
   n'ai-je accepté ce prince si charmant ! oh ! que je suis malheureuse !

Le porcher se retira derrière un arbre, essuya le noir et le brun de son visage,
jeta ses vieux vêtements et s'avança dans ses habits princiers, si charmant que
la princesse fit la révérence devant lui.

- Je suis venu pour te faire affront, à toi ! dit le garçon. Tu ne voulais pas d'un
   prince plein de loyauté. Tu n'appréciais ni la rose, ni le rossignol, mais le
   porcher tu voulais bien l'embrasser pour un jouet mécanique ! honte à toi !

Il retourna dans son royaume, ferma la porte, tira le verrou. Quant à elle, elle
pouvait bien rester dehors et chanter si elle en avait envie :

http://youtu.be/m0OnjPzMMC0

Ach, du lieber Augustin,               Ah ! mon cher Augustin,
Alles ist hin, hin, hin.                     tout est fini, fini, fini

jeudi 5 mai 2011

Le vieux grand-père et le petit fils


Il était une fois un pauvre homme bien vieux, qui avait les yeux troubles,
l'oreille dure et les genoux tremblants. Quand il était à table, il pouvait
à peine tenir sa cuillère; il répandait de la soupe sur la nappe et
quelquefois même en laissait échapper de sa bouche. La femme de son
fils elle-même en avaient pris un grand dégoût, et à la fin, ils le
reléguèrent dans un coin derrière le poêle, où ils lui donnaient à
manger une chétive pitance dans une vieille écuelle de terre. Le vieillard
avait souvent les larmes aux yeux, et regardait tristement du côté de la table.

Un jour, l'écuelle, que tenaient mal ses mains tremblantes, tomba à terre et se
brisa. La jeune femme s'emporta en reproches; il n'osa rien répondre et baissa
la tête en soupirant. On lui acheta pour deux liards une écuelle de bois dans
laquelle désormais on lui donnait à manger.

Quelques jours après, son fils et sa belle-fille virent leur enfant, qui avait
quatre ans, occupé à assembler par terre de petites planchettes.

- Que fais-tu là ? lui demanda son père

- C'est une auge, répondit-il pour donner à manger à papa et
maman quand ils seront vieux.

Le mari et la femme se regardèrent un instant sans rien dire, puis ils se mirent
à pleurer, reprirent le vieux grand-père à table, et désormais le firent
toujours manger avec eux, sans plus jamais le rudoyer.