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lundi 30 avril 2012

L'esclave et le lion

Un esclave s'échappa de chez son maître qui
le traitait cruellement et trouva refuge dans le
désert. Comme il errait à la recherche d'eau
et de nourriture, il entra dans une grotte.
C'était la tanière d'un lion. L'homme se crut
perdu.

Mais à son grand étonnement, le lion, au lieu
de lui sauter dessus, lui assena de légers coups de patte en gémissant. La patte était
toute rouge : une écharde avait traversé l'un des gros coussinets plantaires du félin.
L'esclave ôta l'écharde avec délicatesse et le soigna du mieux qu'il put. Au bout de
peu de temps, la blessure avait guéri.

Le lion se montra plein de reconnaissance. Il veillait sur l'homme, qui était
devenu son ami. La preuve, ils partagèrent la grotte. Un jour, pourtant, l'ancien
esclave eut envie de retrouver le monde des hommes. Il fit ses adieux au lion.

Hélas, une fois en ville, il fut vite reconnu et
livré à son ancien maître, qui ordonna
qu'on le jette aux bêtes féroces. Le matin
de son martyre, l'homme pénétra dans une
arène au centre de laquelle rugissait un lion
terrifiant qui bondit sur l'ancien esclave...
pour le couvrir de caresses.

Tu l'auras deviné, il s'agissait du lion du
désert que l'esclave avait soigné. Les spectateurs exigèrent que l'homme ait la vie sauve. Le gouverneur de la ville, ému par la fidélité du fauve, leur accorda la liberté à tous les deux.


Fable de la Grèce Antique (Histoires de déserts - Marilyn Plénard)

La sorcière - cheval

Voici l'histoire de ce paysan prospère qui avait épousé sans le savoir une
sorcière. A l'époque, dans la contrée, tout un chacun cancane, proclame
ou ricane :

- Êtes-vous au courant, monsieur, que tel paysan du voisinage a marié
   une sorcière ?
- Oui, bien sûr, madame, que je sais cela.
- Et vous, monsieur, ne le savez-vous donc pas ? Vous seriez bien le
   seul...
- Évidement que je le sais. Comment peut-on faire autrement ?

Si bien que la rumeur enfle et parvient jusqu'aux oreilles du paysan. Il
décide d'avoir recours à la ruse afin de démêler le vrai du faux : aussi,
le dernier jour d'avril arrache-t-il une touffe d'herbe de la tombe d'un
enfant mort-né et, à la nuit, simule-t-il une fatigue intense, cache la
touffe d'herbe dans la poche de son pyjama, se couche et feint de
s'endormir.

Aux douze coups de minuit, sa femme quitte la maison. Le paysan la
suit sans faire de bruit. Au dehors, point de femme mais une multitude
de chevaux noirs qui piaffent d'impatience. Alors, le paysan sort la touffe
d'herbe de sa poche, la place sur sa tête, et là il voit à la place des
chevaux noirs quantité de personnes sous leur véritable aspect et, parmi
ces personnes, il y a sa femme.

Furieux, la paysan saute sur le dos de sa femme, comme si c'était un cheval,
et l'éperonne en récitant une formule magique :

- Cheval de nuit, cheval au pied léger, envole-toi sans rechigner !

Aussitôt, la sorcière-cheval s'élève dans les airs, de plus en plus haut, et le
paysan récite à tout-va la formule magique :

- Cheval de nuit, cheval au pied léger, envole-toi sans rechigner !

Et il récite, il n'arrête plus de réciter... Cela causa son malheur car, au matin,
la femme du paysan cessa d'être un cheval capable de voler, elle redevint...
la femme du paysan. Et, comme n'importe quelle femme de paysan, elle ne
savait pas voler. Alors, dans un cri horrible, tous les deux retombèrent sur
terre, où ils s'écrasèrent. Il paraît que leurs deux âmes ne connaissent pas le
repos et que chaque nuit elles refont la même chevauchée.




Conte Allemand (Histoires de Chevaux - Marilyn Plénard)

Macaque, le petit singe voleur

Macaque était un petit singe gourmand, terriblement
gourmand. Tout le monde le connaissait et s'en
méfiait. Macaque savait qu'il ne devait pas voler,
car il risquait de se retrouver enfermé dans une cage.
Oui, il le savait bien... mais il avait du mal à résister
à la tentation, surtout quand il s'agissait de figues, de
bananes ou de pistaches.

Ce jour-là, une femme du village faisait griller des
pistaches et les mettait dans un plat. Quelle odeur délicieuse ! Macaque s'approcha sur la pointe des pattes et observa. La femme allait et venait, laissant la porte de la maison ouverte. Macaque ne résista pas longtemps. Il attendit que la femme soit dans son jardin... Il bondit dans la maison, prit une poignée de pistaches et ressortit.

Le lendemain, Le petit singe voleur fit la même chose. Hop ! Dans la maison !
Une poignée de pistaches grillées... et hop ! Dehors. Évidement, la femme
comprit que quelqu'un volait ses pistaches et elle murmura :

- Je parie que c'est ce coquin de Macaque. Je vais lui donner une bonne leçon.

Elle prit une calebasse vide. Elle l'a remplit à moitié de
pistaches grillées. Dans la partie supérieur de la
calebasse se trouvait un trou, juste assez grand pour
y glisser la main en serrant bien les doigts. La femme
plaça donc la calebasse là où se trouvait le plat, les
jours précédents, puis elle alla dans le jardin.
Macaque n'était pas loin. Il entra dans la maison et se
lécha les babines :

- Ah, ah ! Une calebasse remplie de pistaches grillées ! Un vrai régal !

Le petit singe voleur glissa la main dans le trou et saisit une bonne poignée de
pistaches. Quand il voulut sortir sa main... impossible ! Il aurait dû lâcher les
pistaches, bien sûr, mais il n'y pensait même pas. Il sautillait d'un côté, de l'autre,
en essayant de sortir de la calebasse sa main pleine de pistaches. Et il répétait :

- Je suis pris au piège... Je suis pris au piège.

La femme revint du jardin. Elle tenait une longue corde au bout de laquelle elle
avait fait un noeud coulant. Elle passa la corde autour de la taille de Macaque et
elle entraîna le petit singe vers la place du village.  Là, elle attacha l'autre extrémité
de la corde à un gros arbre et tous les passants éclatèrent de rire :

- Regardez Macaque le voleur ! Pourquoi tient-il cette calebasse ?
- Je suis pris au piège, gémissait Macaque, qui refusait d'abandonner les pistaches.
   Je suis pris au piège.

Alors tous les enfants du village se mirent à
tourner autour de l'arbre et du singe
prisonnier, en chantant :

- Petit Macaque est un voleur ! Que
   mangera-t-il, tout à l'heure ? Un courant
   d'air ou une claque ! Tant pis pour toi,
   petit Macaque !

Alors, le petit singe fit une terrible grimace et il lâcha la calebasse.

Conte d'Haïti (Contes de tous les pays, Éditions Lito)

vendredi 27 avril 2012

Aïe ! Aïe ! Ouille !

Un homme riche venait d'engager un nouveau
palefrenier. Aimant à rire aux dépens des
autres, il commanda au jeune garçon :

- Pedrito ! Prends un réal, cours au marché et
   rapporte-moi une livre de raisin blanc et une
   livre de ayayouille !

Pedrito n'aimait pas qu'on l'appelle par ce
diminutif ridicule. Il avait l'âge d'être
respecté, comme tout homme. Il se rendit au
marché en boudant, acheta le raisin, qu'il mit dans son sac à provisions. Puis il se mit en quête du reste de la commande. Aux sourires entendus qui accueillaient sa
question, il comprit vite que les commerçants se gaussaient de lui.

- J'ai tout vendu, Pedrito ! Demande en face, il en reste un peu-être.
- Tu n'as pas de chance, mon garçon ! Je viens de livrer les derniers !
- Reviens demain. J'en attends des tout frais !

Réalisant qu'il était l'objet d'une plaisanterie, le jeune homme décida de ne
pas se laisser faire. Sur le chemin du retour, il cueillit deux bonnes poignées
d'orties, qu'il disposa sur les raisons. En arrivant, il déposa le sac sans mot
dire.

- Tu as fait vite, Pedrito ! Est-ce que tu as tout
   rapporté au moins ?
- Tout est là, maître. Vous pouvez vérifier
   vous-même.

L'homme mit la main dans le sac et aussitôt
hurla :

- Aïe ! Aïe ! Ouille !
- Vous trouverez les raisins juste dessous, maître !

Depuis ce jour, Pedrito est devenu Pedro pour tout le village.

jeudi 26 avril 2012

Le coq et la renarde













Un jeune coq au plumage magnifique, gonflé d'orgueil, lançait un retentissant
"cocoricooooo" ! du haut d'une barrière. Une renarde d'âge respectable avait
résolu de s'en régaler. Elle s'approcha et, s'inclinant bien bas, lui fit compliment
de sa superbe voix :

- Il y a longtemps que je n'avais entendu une voix aussi parfaite ! Tu chantes
   divinement ! Mais saurais-tu le faire comme faisait ton père ?

Surpris et flatté, le jeune coq s'enquit :

- Et comment faisait-il, mon père ?
- Ton père était un artiste. Il levait d'abord une patte, puis fermait un oeil pour
   chanter.
- Oh ! Ce n'est pas facile, mais je sais le faire aussi !

Et le jeune orgueilleux joignit le geste au chant. La renarde applaudit. Elle
renchérit :

- Bravo, tu es vraiment sur les traces de ton père ! Seulement lui, il poursuivait
   en soulevant les deux pattes et en fermant les deux yeux. Cela, tu ne pourras
   pas le faire !

Le jeune bravache, tout excité, laissa aller sa fougue :

- Bien sûr que je peux faire cela aussi ! Regarde-moi bien !

Ce qui devait arriver arriva. Le coq perdit l'équilibre et chuta lourdement. La
renarde s'en saisit et l'emporta dans la forêt. Parvenue devant son terrier, elle
s'installa sur un banc pour le plumer. Le coq poussa un énorme soupir. La
renarde s'en étonna :

- Pourquoi soupires-tu ainsi ? J'ai été plus maligne que toi, tu as perdu et je
   dois te manger. Il faut bien que je te plume !

Le coq dit alors, avec une feinte modestie :

- Oh je ne me plains pas de mon sort ! J'ai été sot et je paie le prix de ma
   sottise. Ce qui me peine, c'est la façon dont tu t'y prends ! Ta mère ne t'a
   donc rien appris ?
- Quelle façon ?
- La mienne m'a toujours dit qu'une renarde bien élevée mettait un tablier
   propre avant de plumer un coq.
- S'il n'y a que cela qui te tracasse, c'est facile, j'ai un tablier dans mon armoire,
   je vais le chercher, c'est l'affaire d'un instant !

La renarde, sans plus réfléchir, entra dans son terrier. Le coq en profita pour
s'envoler aussitôt sur une branche, hors d'atteinte de sa ravisseuse. A son
retour, la renarde ne put qu'écouter avec dépit le chant de victoire de la proie
qui venait de lui échapper. Elle retourna au fond de son logis, se bouchant les
oreilles pour mieux ruminer une prochaine vengeance.

Le curé et le chapon

Lorsque le voyageur poussa la porte de
l'auberge, une bonne odeur le saisit
agréablement aux narines. Il avait bien
choisi son étape. La cuisine semblait
parfaite. La source de son enchantement
était un chapon aux morilles qui trônait sur une table.

Devant le chapon, un curé, serviette autour du cou, s'apprêtait à donner le
premier coup de fourchette. Le voyageur, ayant parcouru un long chemin,
avait une faim d'ogre. Il commanda d'une voix forte un chapon semblable
à celui-là et un pichet de vin. L'aubergiste prit un air désolé pour dire :

- Messire, je suis désolé, ce chapon était le dernier. Nous n'avons plus rien
   en cuisine. Il vous faudra vous contenter d'un quignon de pain avec le
   pichet!

L'homme déçu, se tourna vers le prêtre et lui demanda sans dissimuler son
envie :

- Alors il ne me reste plus qu'à vous demander de partager, curé ! Voilà
   un bien gros chapon pour un saint homme ! Il y aura bien part pour deux.
   Je vous en donnerai un bon prix.

C'était sans compter sur la gourmandise du curé qui, entourant le plat de ses
deux bras, répondit, offusqué :

- Pour qui me prenez-vous ? Je n'ai que faire des biens matériels ! Gardez
   votre argent ! Moi, je garde ma nourriture.

Le voyageur dut se résigner à mastiquer son pain, sans quitter pour autant
le chapon des yeux. Il suivait chaque bouchée que le curé avalait. Enfin, il
déclara malicieusement en pliant son couteau :

- Révérend, merci ! Je me suis empli les yeux de votre chapon, au point
   que mon pain en a pris le goût. C'était délicieux !

Le curé, qui ne prisait guère la plaisanterie, s'écria :

- Et tu oses t'en vanter, voleur ? Tu dois me payer le prix de l'odeur que
   tu as mangée !

Le voyageur crut à une boutade. Mais l'homme d'église n'en démordait pas.
Les clients de l'auberge commençaient à faire cercle autour des belligérants.
Les paris allaient s'ouvrir sur qui l'emporterait. Le curé fit appeler son
sacristain et lui demanda de juger l'affaire de façon impartiale. Celui-ci s'enquit :

- A combien estimez-vous le dommage, révérend ?

- Il m'en a bien mangé pour un réal* d'argent.

S'adressant au voyageur, le sacristain dit :
- Confiez-moi, messire, un réal d'argent.

L'homme s'exécuta. Le curé se frottait déjà les
mains. Le sacristain lança la pièce sur le sol,
où elle rebondit en résonnant. Le serviteur,
qui avait quelque bonne raison de se plaindre
de son curé, déclara :

- Avez-vous entendu le bruit du réal d'argent, mon père ?
- Oui, je ne suis pas sourd !
- Vous voilà donc payé du bruit d'un réal pour l'odeur volée d'un chapon !

Les badauds rirent sous cape, en pensant qu'à défaut d'un bon curé ils avaient au
moins un excellent sacristain.


* Ancienne monnaie espagnole valant un quart de peseta.

Les trois énigmes

Un très vieux gouverneur dirigeait avec
sagesse une province de la vaste
Mongolie. La vie s'y déroulait
tranquillement. Mais là comme ailleurs,
la jalousie faisait parfois naître des
problèmes quand il n'y en avait pas.
Des intriguants qui lorgnaient son poste répondirent une rumeur affirmant que ce gouverneur était un incapable. L'écho en parvint jusqu'à la capitale, Karakorom.

Le grand Khan fit aussitôt convoquer par son intendant général le
gouverneur ainsi décrié. Après de sévères remontrances, le ministre
lui posa trois questions pour le mettre à l'épreuve :

- Combien me faudrait-il de temps pour faire le tour de la terre ?
   Si tu devais m'acheter, à quelle somme estimerais-tu mon prix ?
   Dis-moi ce que je ressens en ce moment, qui n'est pas la vérité ?

Le vieil homme resta coi, incapable de trouver le
moindre début de réponse. L'intendant général
lui ordonna alors avec sévérité :

- Retourne à ton poste, réfléchis et reviens dans
   sept jours avec les réponses, sinon tu seras
   destitué par le grand Khan en personne.

De retour dans sa province, le gouverneur
s'enferma dans sa yourte sans manger ni dormir.
Des proches qui s'inquiétaient pour sa santé voulurent l'aider, mais aucun n'en fut capable.

Les sept jours passés, le gouverneur cira avec de la graisse de mouton
ses bottes rouges, prit dans son coffre une tunique d'apparat, son chapeau
de fourrure, ajusta sa ceinture et endossa son manteau brodé. Puis il
s'apprêta à monter à  cheval. A ce moment, sa plus jeune fille retint le
cheval par la bride et supplia une dernière fois son père de lui confier ses
tourments. Le gouverneur se délivra alors du poids de ses soucis.

- Et maintenant, laisse-moi partir, ma fille. Je dois rejoindre la capitale où
   m'attend mon riste destin, et la route est longue !
- Si ce sont là tes seuls soucis, sois rassuré, père ! Je sais ce qu'il faut
   répondre.

La fille instruisit son vieux père des réponses pertinentes. Rasséréné,
celui-ci enfourcha sa monture et pris la route d'un trot allègre. A Karakorom,
le grand Khan en personne et l'intendant général l'attendaient dans leur grande
yourte blanche. L'intendant, certain d'avoir à entendre des inepties, fut bien
surpris des réponses données par le gouverneur :

- Votre éminence, pour faire le tour de la terre, il vous
   faudra vingt-quatre heures si vous marchez aussi
   rapidement que le soleil. Pour le prix auquel je vous
   estime, il est de cinquante möngös*.

L'intendant général s'indigna :

- Cinquante möngos seulement ! Ce n'est pas cher pour
   le deuxième personnage de l'empire !
- Sauf votre respect, votre éminence, c'est la moitié
   de ce que vaut le grand Khan, dont le portrait
   figure sur nos pièces d'un tugrik*, il est juste que
   votre prix soit moindre.

Le grand Khan sourit de cette impertinence, laissant cependant l'intendant général
reprendre :

- Voilà un raisonnement fort perspicace ! On a voulu te faire passer pour un sot,
   je vois qu'au contraire tu es un homme de grande réflexion ! Réponds donc,
   pour voir, à ma troisième question !

Le vieil homme s'inclina respectueusement.

- Ce que vous pensez en ce moment, votre éminence, est que j'ai trouvé moi-même
   ces réponses. Ce n'est pas la vérité. Ces réponses m'ont été soufflées par ma
   plus jeune fille.

Le grand Khan ordonna qu'on aille chercher
la fille de son gouverneur sur-le-champ.
Quand il put juger qu'elle était non seulement
vive d'esprit, mais aussi très belle, il la
demanda en mariage.

Le vieux gouverneur conserva son poste. Il continua d'administrer sa province avec compétence. Sa fille quant à elle, devenue l'épouse du grand Khan, gouverna à ses côtés. Elle lui apporta ses conseils éclairés et sa grande sagesse. Elle fut aimée et respectée par son peuple.


* L'unité de monnaie mongole est le tugrik. Un tugrik est divisé en cent möngös.

mercredi 25 avril 2012

Qui est le plus fort

Ce matin-là, Hitar Petar et le géant
Krali Marko se disputaient sur la
place du village. Chacun prétendait
être plus fort que l'autre avec une
égale conviction. Krali Marko
lança alors un défi à son adversaire :

- Tu vois cette énorme massue. Je
   suis capable de la lancer si haut
   qu'elle atteindra les étoiles.

Hitar Petar réfléchit un instant et dit
à son tour :

- C'est facile, ce que tu proposes. Moi,
   je peux faire mieux ! Avec cette
   même massue, je peux faire descendre les étoiles sur terre !
- C'est impossible ! Tu n'es qu'un vantard !
- Eh bien, Ouvre grand tes yeux, les étoiles arrivent !

A ces mots, Hitar Petar s'empara de la massue et en asséna un coup terrible
sur le crâne de Krali Marko. Assommé, ce dernier vit trente-six étoiles. La
foule, qui s'était assemblée spontanément, applaudit à cet exploit qui resterait
dans toutes les mémoires. Plus tard, ayant repris ses esprits, le géant
malheureux s'en alla en répétant :

- Les étoiles du ciel me sont tombées sur la tête ! Ce Hitar Petar est le diable
   en personne ! Il dit des choses terribles, et de plus, il les fait !

Depuis cette mésaventure, Krali Marko vit dans un lointain exil d'où il ne sort
jamais.

Le partage d'Ali

Au temps du roi Malek, Ali vivait très pauvrement avec sa mère. Cette
année-là, la récolte fut abondante. Pour fêter l'événement, Ali acheta
un canard. Sa mère, excellente cuisinière, en fit un plat si merveilleux
que tous les voisins du quartier en salivaient rien qu'à respirer son
parfum.

Le jeune homme pensa que ce plat royal méritait d'être gouté par le
roi et décida d'aller le lui offrir. Le roi, renommé pour sa gourmandise,
accepta l'offrande et invita le généreux donateur à sa table. Il le chargea
de découper lui-même le canard, curieux de voir comment il allait s'y
prendre.

Après une courte réflexion, Ali servit les convives à son idée. La reine,
quand vint son tour, entra dans une belle fureur; elle traita le jeune garçon
d'impertinent et de malotru. Le roi, dissimulant mal son amusement,
feignant d'être offusqué, interpella le jeune homme :

- Pourquoi as-tu distribué les morceaux ainsi ? Explique-toi et prends
   garde ! Si tes raisons ne sont pas bonnes, tu auras la tête tranchée !

Ali justifia son partage avec une logique déconcertante :

- Pour toi, majesté, j'ai servi le cou et la tête, car tu es la tête pensante
   du royaume. Tes deux fils en sont les piliers, aussi ont-ils reçu les
   pilons. Les ailes revenaient à tes deux filles, car un jour elles se marieront
   et quitteront le palais. Pour la reine, qui passe ses journées assise sur son
   séant à ne rien faire, le croupion sied à merveille. Je me suis réservé les
   filets, comme tu l'aurais fait toi-même, car tu traites toujours tes invités
   avec la plus grande délicatesse.

Le roi Malek fut satisfait de ces réponses pertinentes. Il mangea de fort
bel appétit et offrit sa fille aînée en mariage à Ali. La mère du jeune homme
devint cuisinière de la cour. Tous deux n'ont plus jamais manqué de rien.

Pourquoi la queue de l'ours est si courte

En un temps où le temps était plus long
qu'aujourd'hui, un écureuil laissa tomber
une noix. Un lapin la ramassa. L'ayant
vu, un loup terrible le menaça :

- Qu'as-tu ramassé ! Ce n'est pas à toi,
   donne-moi ça tout de suite !

Le lapin, malgré la peur qui lui glaçait le sang,
écrasa la noix en la faisant craquer entre ses
pattes et l'avala. Puis il dit :

- Oh quel délice, cet oeil de loup ! J'en reprendrais bien un autre !

Le loup, saisit d'horreur, s'enfuit sans plus d'explications. En chemin,
il heurta un ours brun. Celui-ci s'indigna :

- Tu ne peux pas faire attention ! On ne bouscule pas les gens comme
   ça !

Le loup articula péniblement entre deux halètements :

- Excuse-moi ! Mais je viens de voir un animal
   terrifiant ! Figure-toi qu'il mange des yeux
   de loup ! As-tu déjà entendu parler d'un tel
   monstre ?
- Non ! Il doit être très méchant ! Je
   n'aimerais pas le rencontrer seul au coin
   d'un bois !
- Il faut tenter quelque chose, sinon nous
   ne serons jamais tranquilles ! Si nous y retournons à deux, c'est peut-être lui qui aura peur !
- Je n'y tiens pas plus que ça ! En plus, qui me dit que tu ne te sauveras
   pas en me laissant tout seul ?
- Écoute ! Nouons nos deux queues, ainsi je ne pourrai pas te laisser seul !
- Bon d'accord ! Allons-y !

Ils attachèrent leurs longues queues l'une à l'autre et, se tenant par le bras,
partirent à la rencontre du monstre. A leur vue, le lapin réfléchit très vite et
dit :

- On ne peut vraiment pas se fier à la parole d'un loup ! Ton père m'avait
   promis d'attraper et de me livrer un ours
   blanc, et voici qu'il t'envoie m'apporter
   un simple ours brun ! Il se moque de
   moi !

Entendant cela, l'ours crut que le loup lui
avait tendu un piège pour régler la dette
de son père. Effaré, il voulut fuir et tira
de toutes ses forces pour se libérer de ce noeud qui le liait au loup. Brusquement,
sa queue se cassa. Il était libre mais amputé. Il se réfugia dans les montagnes
dans l'espoir que sa queue repousserait.

 C'est depuis ce jour que la queue de l'ours est si courte.

mardi 24 avril 2012

La fiancée du crocodile

Il était une fois un homme et une femme qui se
désolait de ne pas avoir d'enfant. Un matin, la
femme puisait de l'eau au bord de la rivière,
quand Seigneur Crocodile s'approcha de la
rive et demanda :

- Pourquoi pleures-tu si fort ?
- Mon coeur se brise quand je vois un bébé,
   répondit la femme.
- Je veux bien t'aider, dit Seigneur Crocodile, mais
   jure d'abord que tu exécuteras mes ordres.
- Je ferai tout ce que vous me direz, promit la femme.
- Va chez toi chercher trois oeufs et rapporte-les-moi.

La femme obéit aussitôt. Peu après, elle revint et tendit les oeufs. Seigneur
Crocodile les prit et dit d'une voix forte :

- Ton enfant naîtra dans neuf lunes. Si c'est un garçon, tu lui apprendras à
   protéger les crocodiles. Si c'est une fille, elle sera mon épouse quand elle
   aura grandi.
- Je vous le promets ! s'écria la femme, folle de joie. Merci !

Neuf lunes plus tard, la femme mis au monde une ravissante petite fille. Les
années passèrent... Et l'enfant devint une jeune fille si belle et si gentille que tous
les hommes de la région rêvaient de l'épouser. C'est pourquoi le père était fort
en colère.

- Tu n'aurais jamais dû faire cette promesse au
   Crocodile, disait-il à sa femme. Je veux que
   notre enfant soit l'épouse d'un prince, et non
   d'une horrible bête.

Mais comme il avait peur de Seigneur
Crocodile, il enfermait soigneusement sa
fille dans la case avant de partir travailler aux
champs. Un jour, Seigneur Crocodile marcha
jusqu'à la maison de la jeune fille et cria :

- Ouvrez-moi !

La jeune fille suivit le conseil de son père et ne répondit pas. Mais Seigneur
Crocodile gronda avant de partir :

- Je sens que tu es là. Bien avant ta naissance, tes parents ont promis que tu
   serais ma femme. Demain, je viendrai te chercher.

Quand les parents rentrèrent à la tombée de la nuit, la jeune fille leur raconta en
pleurant ce qui s'était passé.

- Je sais ce que je vais faire ! décida le père.

Le lendemain matin, il se cacha à l'intérieur de la case
bien fermée et il attendit l'arrivée de Seigneur
Crocodile. Quand celui-ci approcha, le père lui
envoya dans l'oeil une flèche empoisonnée.
Seigneur Crocodile poussa un grand cri et mourut.
Quelques semaines plus tard, le prince d'un pays
voisin, qui avait entendu parler de la belle jeune fille,
vint la chercher et l'épousa.

Depuis ce temps-là, les crocodiles ne sont plus les amis des hommes. Quand
quelqu'un s'approche de la rivière, ils ouvrent une large gueule et clac ! Ils
l'entraînent au fond de l'eau. Voilà ce qui arrive quand on ne tient pas
les promesses qu'on a faites à son bienfaiteur ! 

Le cheval et la plume enchantée

Quelque part loin de là, vivait un couple
marié depuis des lustres. A un âge
avancé, ils eurent un fils. Hélas, quand
leur enfant n'était pas encore tout à
fait un homme, les parents rendirent
l'âme. C'est alors qu'un vieux mendiant
de passage fit à l'adolescent une
proposition étrange :

- Cela te dirait de vaquer avec moi de par le vaste monde pour y chercher
   fortune ?
- Cela me dirait, assura le garçon.
- Il faudra venir en aide à quiconque sera dans la détresse... ajouta le mendiant.
- Je suis d'accord.
- Alors, tu dois dire à haute et intelligible voix : Que ce vieux mendiant se
   métamorphose en cheval fringuant !

Le garçon de faire le voeu, le vieux mendiant de se métamorphoser en cheval
fringuant, le garçon de sauter sur son dos, et tous deux de vaquer de par le
vaste monde pour y chercher fortune.

Un beau matin, alors qu'ils sont en route, le garçon ramasse sur la berge d'une
rivière un poisson près de s'asphyxier. Il
remet à l'eau le gardon, qui le remercie :

- A l'avenir, si tu te trouves dans l'ennui,
   appelle-moi. Je saurai me souvenir de
   toi.

Le jour suivant, les compères parviennent au pied d'une montagne. Le cheval
recommande :

- Ne touche ni n'emporte rien de ce qui lui appartient.

Volette une plume jusque dans la bouche du garçon. Il la recrache, et la recrache,
et la recrache, rien à faire, la plume volette, et volette, et volette jusque dans sa
bouche. Le jeune homme la trouve jolie, l'attrape et la fourre dans sa poche.
Au-delà de la montagne, les voyageurs touchent aux marches d'une forteresse :
y habite un géant solitaire souffrant la faim, à qui le garçon offre le contenu de sa
gibecière. Rassasié, le géant le remercie :

- A l'avenir, si tu te trouves dans l'ennui, appelle-moi. Je
   saurai me souvenir de toi.

Chemin faisant, le cheval s'inquiète :

- N'aurais-tu pas emporté une chose qui appartient à la
   montagne ?
- Rien que cette plume.
- Cette plume est enchantée et source d'ennuie.
   Maintenant que tu l'as, hélas, il te faut la garder,
   soupire le cheval.

Après des kilomètres, les tours d'un palais surgissent à l'horizon. Le garçon se
présente à l'entrée :

- Auriez-vous du travail pour moi ?
- Le maître d'écriture a besoin d'un nouvel aide. Si tu es intéressé, tu peux t'inscrire
   pour passer les épreuves.

Comme le garçon est engagé, les copistes s'interrogent :

- D'où vient à ce si jeune garçon un tel talent pour l'écriture ?

Un jour un copiste vola la plume et la montre au maître d'écriture :

- Maître, celui qui a obtenu la plume peut obtenir l'oiseau auquel elle appartient.

Aussitôt, le maître d'écriture exige du garçon
qu'il aille lui chercher l'oiseau. Le cheval
lui indique la marche à suivre :

- Réclame trois jours de congé et trois sacs
   d'or.

Il s'en vont chercher l'oiseau, qui est laid et
sale, le capturent et le rapportent au maître
d'écriture :

- Maître, cet oiseau n'est pas si mal mais la femme à qui il appartient est bien mieux.

Le maître d'écriture exige du garçon qu'il lui ramène la femme à qui appartient
l'oiseau. Le cheval sermonne le jeune homme :

- Je te l'avais dit que cette plume allait te causer des ennuis. Réclame trois jours
   de congé et trois sacs d'or, puis dis à haute et intelligible voix : Que ce cheval
   fringuant se métamorphose en bateau sachant voguer !

Chargé de tissus précieux, le bateau vogue jusqu'au château de la femme à qui
appartient l'oiseau. Elle monte sur le bateau, admire les soieries. Le garçon en
profite et lève l'encre. Alors, la femme jette ses clefs à l'eau. A l'arrivée de la
femme à qui appartient l'oiseau, le copiste qui a volé la plume murmure au maître
d'écriture :

- Maître, celui qui a obtenu la femme obtient le château.

Le cheval indique au garçon la marche à suivre :

- Réclame trois jours de congé et trois sacs d'or, et allons de ce pas nous
   rappeler au bon souvenir du géant et à celui du gardon.

Venir en aide au garçon ? Le géant et le gardon ne demandent pas mieux.

- Toi, géant, dit le cheval, bloque l'accès du château de la femme à qui
   appartient l'oiseau avec une chaîne gigantesque et toi, gardon, frétille dans
   les douves et rapporte les clés de la femme à qui appartient l'oiseau.

Quand le garçon rend ses clés à la femme,
elle l'interroge :

- Qu'est-ce que tu préfères, avoir la tête
   coupée ou que ton maître ait la tête
   coupée ?
- Avoir la tête coupée, répond le garçon.
- Tu as bien répondu. C'est celle de ton
   maître qui va rouler sur le sol.

C'est ainsi que le garçon qui avait dérobé
à la montagne la plume de l'oiseau qui appartient à la femme épousa cette dernière.

dimanche 22 avril 2012

La robe rayée du zèbre

Autrefois, le babouin était le gardien d'un
monde aride où coulait un filet d'eau dont
il se proclamait le propriétaire :

- Personne n'a le droit de boire sans ma
   permission.

Le singe avait même érigé un bûcher de
branches qui interdisait l'accès du
ruisselet. Un jour, un zèbre assoiffé s'avance vers la source. A l'époque, la robe du zèbre est d'un blanc éblouissant. Quand le babouin s'aperçoit, il se précipite en glapissant :

- Tu n'as pas le droit de boire !
- Cette eau est à tout le monde, rétorque le zèbre.
- Tu veux te battre ? demande le singe furieux.
- Pourquoi pas, répond le zèbre blanc.

Alors, ils engagent le combat. A un moment, le
zèbre envoie un coup de sabot au singe, qui
valdingue dans les rochers. Mais le zèbre perd
l'équilibre. Il tombe au milieu du bûcher. Les
branches incandescentes impriment leur
marque brunâtre sur son pelage blanc, qui se
met à roussir.

Endolori, le zèbre part au galop. Peu à peu, il
aime sa nouvelle apparence qui le distingue des
autres. Quand il devient père, ses petits lui ressemblent, et les petits de ses petits lui ressemblent, et ainsi de suite jusqu'à ce que tous les zèbres portent une robe rayée.


Les zoologistes ne sont pas d'accord sur la fonction des rayures de la robe
des zèbres. Pour certains, elles permettraient aux animaux de se fondre
dans la végétation et, dans le même temps, de se reconnaître entre membres
d'une même harde, notamment les petits, qui identifieraient plus facilement
leur mère grâce à elles. Pour d'autres, les zébrures éloigneraient la mouche
tsé-tsé, qui véhicule la terrible maladie du sommeil.

Le renard alléché par la viande de cheval

Affalé par terre, un ours déguste la viande du cheval
qu'il a tué. Dans les parages, un renard alléché se
faufile. Reniflant de droite, reniflant de gauche, il
s'embusque juste derrière le dos de l'ours. Et, sans
crier gare, le voilà qui fait un bond par-dessus le
fauve, tombe pile poil au beau milieu de la carcasse,
en arrache un morceau et détale.

Le carnassier n'est point pataud, il saute sur ses
pattes d'ours, attrape le goupil par sa queue touffue.

- Attends un peu, toi, grogne le fauve. Je m'en vais t'expliquer de quelle façon
   on capture un cheval.
- Quel être généreux tu fais... Murmure le
   renard prudent. Mille fois merci. Pour
   sûr, je te le revaudrai.
- Je n'en espérais pas moins de toi, est la
   réponse de l'ours. Alors, écoute, quand
   tu vois un cheval paressant au soleil,
   approche-toi de lui en tapinois. Puis
   cramponne-toi aux longs crins de sa queue
   qu'en aucun cas tu ne devras lâcher. Et,
   direct dans sa cuisse, plante tes crocs
   sans hésiter.

Peu après, le renard aperçoit paressant au soleil un cheval. Ni une, ni deux,
le voilà agrippé à la queue du cheval et planté par les crocs dans sa cuisse.
De douleur, la noble bête se dresse, se met à ruer, se lance dans une
galopade effrénée avec, cramponné à sa queue, le renard
qu'il traîne sur un sol jonché de cailloux, de gravillons et
de pierres.

Pour conclure, le goupil miraculeusement rescapé de
l'aventure, depuis ce jour, n'a plus cessé de clamer :

- Vrai, il y a sur terre en quantité d'autres choses bien
   meilleures à manger que cette chair chevaline. C'est
   à n'y rien comprendre que tant de gens en fassent un plat.