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lundi 9 avril 2012

Les treize mouches



Il y avait, autrefois, un tisserand fainéant comme un chien. Jamais on
n'entendait le bruit de son métier. Pourtant, le tisserand n'avait pas son
pareil pour tisser et pour remettre, au jour marqué, autant de belle et
fine toile que ses pratiques lui en avaient commandé. Jamais il ne
bêchait son jardin. Jamais il ne labourait son champ. Jamais il ne
travaillait sa vigne. Pourtant, il y récoltait treize fois plus que ses voisins.

La femme du tisserand ne pouvait s'imaginer comment cela pouvait se
faire. Au bout de sept ans de mariage elle n'en savait pas plus que le
premier jour. Un matin, le tisserand dit en se levant :

- Femme, j'ai besoin d'aller à la foire. Tu garderas la maison jusqu'à ce
   que je sois revenu.
- Mon homme, sois tranquille. La maison sera bien gardée.

Le tisserand partit. Sa femme le suivait doucement, doucement, en se
cachant derrière les arbres et les haies. Arrivé au milieu d'un petit bois,
son mari tira quelque chose de sa poche, le cacha au pied d'un genévrier,
et repartit. Cinq minutes après la femme avait trouvé la chose cachée.

C'était une noix, grosse comme un oeuf de dinde, d'où l'on entendait
crier :

- Brrr. Ouvre-moi. Brrr. Où est l'ouvrage ? Brrr. Ouvre la noix.

Enfin, la femme ouvrit la noix. Treize mouches se mirent à voler par la
chambre.

- Brrr. Où est l'ouvrage ? Brrr. Où est l'ouvrage ? Brrr. Où est l'ouvrage ?

Alors la femme, épouvantée, commanda :

- Mouches, rentrez toutes dans la noix.

Les treize mouches rentrèrent aussitôt dans la noix. Mais toujours elles
criaient :

- Brrr. Ouvre la noix. Brrr. Où est l'ouvrage ? Brrr. Ouvre la noix.

La femme, impatientée, alla remettre la noix au pied du genévrier où le
tisserand l'avait cachée. Le soir, quand il fut de retour, elle lui dit, en
mangeant la soupe :

- Mon homme, je connais maintenant les ouvrières qui travaillent à ta place.
   Ce sont treize mouches que tu tiens prisonnières dans une noix grosse comme
   un oeuf de dinde.
- Femme, tu as dit la vérité. Puisque tu connais mes ouvrières, commande-leur
   tout ce que tu voudras. Elles t'obeiront comme à moi-même.

A partir de ce jour, la femme du tisserand n'eut plus qu'à se croiser les bras. Quel
que fût le travail, les treize mouches l'avaient fait en un moment. Aussitôt, elles
rentraient dans la noix, que la femme tenait cachée sous son coussin. Mais alors,
elles criaient :

- Brrr. Ouvre la noix. Brrr. Où est l'ouvrage ? Brrr. Ouvre la noix.

A ce bruit, la femme perdait souvent patience. Dans sa colère, elle commandait aux
treize mouches les choses les plus difficiles. Mais, quel que fût le travail, elles
l'avaient fait en un moment. Aussitôt, elles rentraient dans la noix que la femme
tenait cachée sous son coussin. Mais alors, elles criaient :
 
- Brrr. Ouvre la noix. Brrr. Où est l'ouvrage ? Brrr. Ouvre la noix.
 
Un  jour, la femme ne put plus y tenir. Elle ouvrit la noix, en criant :

- Mouches, voici six cibles, six tamis, et une barrique défoncée de chaque bout.
   Volez jusqu'à Gers, et rapportez ici toute l'eau de la rivière.

En un moment, le Gers était à sec, et tout le pays Mounet-du-Hours dans l'eau.
Aussitôt, les treize mouches rentrèrent dans la noix que la femme tenait cachée
sous son coussin, et toujours elles criaient :

- Brrr. Ouvre la noix. Brrr. Où est l'ouvrage ? Brrr. Ouvre la noix.
- Mon homme, ces mouches-là me feraient perdre la tête. Renvoyons-les.
- Femme, tu vas avoir contentement. Mouches, partez. Voici treize corbeaux, treize
   corbeaux qui volent là-bas, là-bas, vers la forêt du Ramier. Prenez-les en
   paiement de vos peines.

Les treize mouches s'envolèrent, emportant les treize corbeaux. Depuis lors,
l'homme et sa femme ne les revirent jamais, jamais.

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