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vendredi 9 décembre 2016

La soupe à rétrécir

Chapitre 1 : Le stand bizarre

C'était la fête de l'école. Tandis que mes parents tenaient la buvette,
j'essayais les jeux avec mes copines.

Après la course en sac, j'ai remarqué un stand bizarre, à l'écart des autres.
Pendant que mes amies se reposaient, je suis allée le voir.

Une dame, drôlement bien déguisée en sorcière, remuait de la soupe dans
un chaudron, près d'un vieux balai. Elle m'a dit d'une voix grinçante :

- Approche, Léa.

J'ai voulu lui demander comment elle savait mon prénom, mais elle m'a
tout de suite déclaré :

- Tu dois goûter ma soupe et en deviner les ingrédients.

Ca avait l'air amusant, alors j'ai pris une gorgée de soupe. Elle avait un
goût atroce ! La dame a dit :

- C'est mauvais, hein ? C'est à cause des pustules de crapaud. Si je n'en
  mets pas, la potion ne marche pas.

Soudain, je me suis sentie rétrécir. En quelques secondes, je suis devenue
minuscule... La dame était une vraie sorcière !

La sorcière m'a aussitôt attrapée et jetée dans un sac. Je me suis retrouvée
dans le noir, terrifiée. J'ai crié, mais personne ne m'entendait !

C'est alors que le sac s'est brusquement ouvert. Avant qu'il se referme, j'ai
juste eu  le temps de voir atterrir mon copain Baptiste. La sorcière a
ricané :

- Vous êtes exactement les enfants qu'il me faut ! Il ne me reste plus qu'à
  me rendre invisible et à voler jusqu'à chez moi !

Elle a prononcé une formule magique : "Décollé ksassott, balai, au manoir
de la forêt ! Nous avons été terriblement secoués. Puis la sorcière a ouvert
le sac. Nous étions dans une pièce sombre, pleine de fioles et de potions...

Très vite, la sorcière nous a glissés dans une sorte de boîte en carton, avec
juste quelques trous pour respirer, comme si nous étions des hamsters !
Un homme est entré et a dit :

- Chérie, les invités arrivent pour le repas d'anniversaire !
- Je viens ! a répondu la sorcière, je finis juste d'emballer le cadeau de notre
  petite Lucifère adorée !

Baptiste et moi, nous nous sommes regardés, épouvantés : le cadeau
d'anniversaire, c'était nous !

Chapitre 2 : Le cadeau surprise

A travers un trou du paquet-cadeau, nous avons assisté avec angoisse au
repas des sorciers. Au dessert, Lucifère a soufflé six bougies sur un gâteau
gluant qui sentait les œufs pourris. Puis elle a ouvert ses cadeaux. En nous
découvrant, Lucifère s'est exclamée :

- Super ! Des poupées !
- Nous sommes des enfants, pas des jouets ! a protesté Baptiste.
- Plus maintenant ! a ricané la petite sorcière.

Et elle nous a emmenés dans sa chambre. Lucifère nous a installés dans
une maison de poupée, puis elle nous a obligés à prendre un faux repas
dans des assiettes vides. Et elle nous a changés de vêtements quatre fois.

Assis par terre, son chat ne nous quittait pas des yeux. Au bout d'un moment,
la sorcière a appelé sa fille :

- Viens dans le jardin, ma grenouillette chérie ! Le feu d'artifice va commencer !

La petite sorcière nous a menacés :

- Si vous osez sortir de ma maison de poupée, mon chat Méphisto vous
  mangera

Et elle est partie.

- C'est affreux ! Qu'est-ce qu'on va faire ? a gémi Baptiste.

Une idée m'est venue :

- La sorcière a sûrement une potion qui fait grandir. Peux-tu occuper Méphisto
  pendant que j'essaie de la trouver ?

Tandis que Baptiste appelait le chat par la fenêtre, je me suis faufilée hors
de la maison de poupée... J'ai couru jusqu'à la pièce sombre où nous avions
atterri. J'étais si petite que j'ai eu l'impression de parcourir des kilomètres !...

La porte était entrouverte. J'ai escaladé les étagères en lisant les étiquettes
des potions. Derrière un crapaud empaillé, j'ai fini par trouver un flacon
d'élixir pour grandir.

Comme j'étais trop petite pour l'ouvrir, j'ai poussé le flacon jusqu'à ce qu'il
tombe par terre. Il s'est écrasé sur le sol en faisant une immense mare. J'ai
bu un peu de potion et j'ai aussitôt retrouvé ma taille normale. Il était temps
d'aller délivrer Baptiste !

Chapitre 3 : La fuite

Dans la chambre de Lucifère, Méphisto essayait de démolir la maison de
poupée. Je lui ai donné un coup de pied et il s'est sauvé en crachant. Baptiste
est sorti tout étourdi de la maisonnette. Je l'ai porté jusqu'à la salle des potions
pour qu'il boive l'élixir. Et dès qu'il a eu retrouvé sa taille, j'ai proposé :

- Si on prenait un balai magique pour rentrer chez nous ? Je me souviens
  de la formule pour le faire voler.

Nous avons vite traversé le jardin. Les invités ne faisaient pas attention
à nous, ils applaudissaient en regardant le ciel. Leurs balais étaient appuyés
sur le portail. Nous en avons enfourché un et j'ai dit :

- Décollé Ksassott, balai, à l'école !

Ensuite, on s'est cramponnés comme on a pu, jusqu'à ce que le balai
atterrisse dans la cour de l'école. La cour était déserte. La fête était finie.
Nous sommes sortis dans la rue où une patrouille de police nous a tout
de suite repérés.

- Ce sont les enfants qu'on recherche ! s'est exclamé un des agents en nous
  faisant monter dans la voiture. Vite, au commissariat !

Au commissariat, nos parents nous ont serrés dans leurs bras en disant :

- Où étiez-vous passés ? Nous étions si inquiets !

Baptiste et moi avons raconté notre aventure. Le chef de la police a
annoncé :

- Nous allons mener notre enquête et nous arrêterons tout ce monde-là.

Baptiste et moi, nous avons eu de la chance : tout s'est bien terminé.
Mais si un jour, à la fête de l'école, une sorcière te propose de goûter de la
soupe... un bon conseil : sauve-toi !


La soupe à rétrécir (Anne Rivière - Gwendal Le Bec - Bayard poche)

Angelo

Il y a bien longtemps de cela, vivait en Italie un jeune garçon qui
s'appelait Angelo.

Sa mère et son père parcouraient le pays en
roulotte. Angelo les accompagnait. Il avait
deux frères aînés, les jumeaux Beppo et
Benno; et aussi un petit frère, Sandro.

Tout ce qu'il possédaient, ils le
transportaient avec eux.

A chaque arrivée dans un village, ils garaient
la roulotte sur la place. Le père d'Angelo et les deux
jumeaux bâtissaient une estrade avec des planches.
Le reste de la famille accrochait rideaux et banderoles pour le décor.

Ensuite, ils sortaient une malle pleine de costumes et chacun
enfilait le sien. Et le spectacle commençait !

Bientôt la place s'emplissait de monde, et des gens se penchaient
aux fenêtres pour regarder. Tandis que le père d'Angelo battait
du tambour, Beppo et Benno faisaient d'incroyables acrobaties.

Beppo pouvait porter Benno à l'envers sur sa tête, ou encore ils
se faisaient tomber avec des croche-pieds.

Puis le père d'Angelo interprétait des chansons amusantes en
jouant de la guitare, pendant que sa femme agitait son tambourin.
Et même Sandro tapait sur un tambour plus grand que lui !

Mais le clou du spectacle, c'était bien Angelo et son numéro
d'équilibriste. Il grimpait sur une corde raide et marchait dessus.

Il savait même danser sur une corde ! Et jamais il ne tombait.
Au-dessous de lui, le public émerveillé applaudissait.

Après le spectacle, ils démontaient l'estrade et rangeaient leurs
costumes. Puis la famille campait sous les arbres et la mère
d'Angelo préparait le dîner. Parfois Beppo et Benno jonglaient
avec des œufs; et leur père jouait de la guitare.

C'est ainsi qu'ils traversaient l'Italie de village en village.

Un jour, au moment où Angelo venait de finir son numéro, il
aperçut une petite fille qui pleurait à chaudes larmes.

- Pourquoi pleures-tu ? demanda-t-il.
- J'aimerais tellement être funambule et parcourir le pays comme
  toi, répondit-elle.

Puis elle lui raconta son histoire. Et, chose étrange, elle s'appelait
Angelina. Pauvre Angelina ! Elle n'avait ni père ni mère et vivait
avec son oncle, un homme lugubre et méchant.

Il était censé s'occuper d'elle, mais en réalité, c'était elle qui
s'occupait de lui. Elle devait épousseter les tables et les chaises, et
aussi laver tous les sols qui étaient vraiment immenses.

Ensuite elle devait laver la vaisselle, laver le linge... et faire tout
le repassage. La nuit, elle dormait dans un lit étroit et dur. Dans sa
chambre logeaient deux souris à qui elle parlait le soir. C'était là
ses seules amies car son oncle lui permettait rarement de sortir.

Chaque nuit, l'oncle d'Angelina fermait toutes les portes à double
tour avec un énorme trousseau de clés.

- J'aimerais tant partir avec toi, dit Angelina. Mais mon oncle me
  gardera enfermée ici pour toujours.
- Ne t'en fais pas, dit Angelo. J'ai une idée.

Cette nuit-là, quand les rues furent désertes, Angelo et
ses deux frères se faufilèrent dehors avec la malle à
costumes. Angelo grimpa sur les épaules de Beppo...
qui grimpa sur les épaules de Benno... et Benno grimpa
sur la malle.

Ils arrivèrent juste sous la fenêtre où Angelina les
attendait. Ils la firent descendre et très vite ils la
cachèrent dans le panier. Ils coururent d'un trait
jusqu'à la roulotte.

Le lendemain, au lever du jour, la famille d'Angelo était loin,
et Angelina aussi.

Depuis ce jour-là, Angelina fit partie de la famille. Elle les
accompagnait partout, et chaque jour, Angelo lui donnait
des leçons d'équilibre.

Au début, Angelina tombait assez souvent. Mais pour finir, elle
apprit vraiment à danser sur la corde. Et la mère d'Angelo
confectionna pour elle un magnifique costume.

C'est ainsi qu'Angelo et Angelina dansèrent en duo sur une corde.
Et partout les spectateurs applaudissaient.


Angelo (Quentin Blake - Petite Bibliothèque Calligram)

samedi 26 novembre 2016

Le chapeau de l'épouvantail

- Voilà un bien beau chapeau, dit la poule à l'épouvantail.
- Oui, c'est vrai, répondit l'épouvantail, mais je préférerais avoir
  une canne. Je suis debout ici depuis des années et
  mes bras sont tellement fatigués... Je rêve d'une
  canne sur laquelle m'appuyer. Je serais prêt à
  échanger mon chapeau contre une canne.

La poule n'avait pas de canne, mais connaissait
quelqu'un qui en avait une.

- Voilà, une bien jolie canne, dit la poule au
  blaireau.
- Oui, c'est vrai, répondit le blaireau, mais je
  préférerais avoir un ruban. Il se met à faire chaud et ça sent
  le renfermé sous terre, alors je tiens ma porte ouverte en la
  calant avec ma canne, mais je trébuche tout le temps dessus.
  Si j'avais un ruban, je pourrais attacher la porte. Je serais prêt
  à échanger ma canne contre un ruban.

La poule n'avait pas de ruban, mais connaissait quelqu'un qui en
avait un.

- Voilà un bien joli ruban, dit la poule au choucas.
- Oui, c'est vrai, dit le choucas, mais je préférerais avoir un peu
  de laine. Mon nid est perché sur ce rocher, et la vie y est très
  pénible. Je rêve d'un peu de laine chaude et douce pour le rendre
  plus confortable. Je serais prêt à échanger ce ruban contre de la
  laine.

La poule n'avait pas de laine, mais connaissait quelqu'un qui en
avait.

- Voilà un bien beau manteau de laine, dit la poule au mouton.
- Oui, c'est vrai, répondit le mouton, mais je préférerais avoir une
  paire de lunettes. Je dois surveiller le loup, et mes yeux ne sont
  plus aussi bons qu'autrefois. J'ai vraiment besoin d'une paire de
  lunettes. Je serais prêt à échanger un peu de ma laine contre une
  paire de lunettes.

La poule n'avait pas de paire de lunettes, mais connaissait quelqu'un
qui en avait une.

- Voilà une bien belle paire de lunettes, dit la poule à la chouette.
- Oui, c'est vrai, répondit la chouette. Mes vieilles lunettes sont
  cassées, et j'ai dû en prendre une nouvelle paire. Mais je préférerais
  avoir une couverture sous laquelle dormir car le soleil entre par ma
  fenêtre et me tient éveillée toute la journée. Je serais prête à
  échanger mes lunettes contre une couverture.

La poule n'avait pas de couverture, mais connaissait quelqu'un qui
en avait une.

- Voilà une bien belle couverture, dit la poule à l'âne.
- Oui, c'est vrai, répondit l'âne. Mais je préférerais avoir quelques
  plumes. Les mouches me rendent fou, à bourdonner autour de mes
  oreilles. Ma queue n'est pas tout à fait assez longue pour les chasser;
  si je la prolongeais de quelques plumes, je pourrais les balayer
  facilement. Je serais prêt à échanger ma couverture contre quelques
  plumes.

En un clin d'œil, la poule arracha une, deux, trois de ses longues plumes
et les attacha à la queue de l'âne. L'âne était enchanté et, comme convenu,
échangea sa couverture contre les plumes.

La poule porta la couverture à la chouette qui l'échangea contre ses
lunettes (les vieilles, bien sûr). Elle porta les lunettes au mouton qui
les échangea contre sa laine.

Elle porta la laine au choucas qui l'échangea contre son ruban. Elle
porta le ruban au blaireau qui l'échangea contre sa canne.

Enfin, elle porta la canne à l'épouvantail. Avec un soupir de soulagement,
il appuya ses bras fatigués sur la canne et, reconnaissant, l'échangea contre
son vieux chapeau cabossé. La poule prit le chapeau et le remplit d'une
paille fraîche à l'odeur sucrée.

- Voilà un bien beau nid, dit le canard.
- Oui, c'est vrai, répondit la poule, et je ne l'échangerais pour rien au monde !


Le chapeau de l'épouvantail (Ken Brown - Folio Cadet - Gallimard Jeunesse)

mercredi 23 novembre 2016

La sorcière aux trois crapauds


Il était une fois une sorcière appelée Baba Yaga.

- Vous êtes vraiment laide à faire peur ! lui disaient souvent ses
   fidèles crapauds.
- Je l'espère bien, répondait alors Baba Yaga. Je suis là pour ça !

Un jour, en regardant dans sa boule de cristal, Baba Yaga vit
apparaître trois petites filles : Toute-Douce, Toute-Vilaine et
Toute-Méchante.

- Je sais déjà laquelle des trois viendra bientôt me rendre visite,
   dit la sorcière.

Au même moment, Toute-Vilaine et Toute-Méchante décidèrent
de chasser Toute-Douce hors de la maison.

- Nous ne voulons pas de toi ici. Va-t'en ! Tu es trop gentille pour
   jouer avec nous.
- Je sais bien que vous ne m'aimez pas, répondit Toute-Douce. Mais
   je ne peux pas rester toute seule. Que vais-je devenir ?
- Tu n'as qu'à aller dans la forêt, lui lança Toute-Vilaine.
- C'est ça ! ajouta Toute-Méchante. Va donc voir Baba Yaga et
   rapporte-nous l'un de ses crapauds parés d'or et de bijoux. Si
   tu y arrives, nous te laisserons peut-être revenir à la maison.

Cette nuit-là, Toute-Douce alla chercher la poupée que sa mère lui
avait donnée juste avant de mourir.

- Que vais-je faire ? lui demanda-t-elle. Je n'ai pas envie de rester ici...
   mais je n'ai pas envie de partir non plus.
- Personne ne peut rester et partir en même temps, répondit la poupée.
   Aussi, mets-moi dans ta poche et écoute bien les conseils que je te
   donnerai. Et maintenant, en route !

Toute-Douce partit donc avec sa petite poupée en poche. Du plus
profond de la forêt, Baba Yaga la sentit arriver.

Elle fronça son long nez crochu, si bien que de profil elle ressemblait
à un terrifiant croissant de lune. Après avoir rassemblé son balai, son
chaudron et ses trois crapauds, elle ordonna à sa cabane de déplier ses
longues pattes de poulet, et toute la maisonnée partit à la rencontre de
la fillette.

Quand Toute-Douce vit la maison s'approcher d'elle en courant et Baba
Yaga sortir la tête hors de la cheminée, elle sentit ses jambes trembler.

- Je n'y arriverai jamais, dit-elle, effarée.
- Mais si, tu y arriveras, chuchota la poupée du fond de sa poche. Il
   suffit d'aller frapper à la porte et tout ira bien.

Toute-Douce alla donc frapper à la porte de la maison.

- Que veux-tu ? cria la sorcière.

La fillette resta muette de terreur.

- Bah ! Cela n'a aucune importance, poursuivit Baba Yaga. De toute façon,
   on n'a rien pour rien. Si tu veux quelque chose, il te faudra travailler pour
   l'avoir.

Sur ce, la sorcière désigna une montagne de vaisselle sale et une énorme
pile de linge à laver.

- Que tout soit fait demain matin, ou bien Chaudron te fera cuire à gros
   bouillons ! menaça la sorcière.

Aussitôt, Toute-Douce se mit au travail. Elle lava, frotta et repassa toute
la nuit. Mais, quand minuit sonna, elle commença à trembler de peur.

- Je n'y arriverai jamais, dit-elle à la poupée. Je vais finir dans le chaudron,
   c'est sûr et certain.
- Mais si, tu y arriveras, reprit la poupée du fond de sa poche. Tu pourrais
   même le faire en dormant. D'ailleurs, va te coucher et tout ira bien.

Toute-Douce alla donc s'allonger dans un coin et la poupée fit le travail
à sa place.

Le lendemain matin, à son réveil, Baba Yaga n'en crut pas ses yeux mais
elle cacha son étonnement. Dans la cour, elle montra du doigt un énorme
tas de terre et dit à Toute-Douce :

- Trie pour moi toutes les graines de coquelicot qui se sont mélangées à
   cette terre. Si tu n'as pas terminé en fin de journée, mes crapauds te
   croqueront toute crue.

La fillette se mit aussitôt au travail. Mais les heures passèrent et elle
commença à trembler en voyant le soleil baisser dans le ciel.

- Je n'y arriverai jamais en un seul jour... ni même en mille, soupira
   Toute-Douce. Je vais finir dans le ventre des crapauds, c'est sûr.
- Mais si, tu y arriveras, murmura la poupée du fond de sa poche. Tu
   pourrais même le faire les yeux fermés et les mains liées. D'ailleurs,
   repose-toi un instant et tu verras, tout ira bien.

Toute-Douce alla donc s'asseoir à l'ombre, puis elle ferma les yeux et la
poupée fit le travail à sa place.

Quand Baba Yaga revint de sa promenade en forêt, elle n'en crut pas ses
yeux mais elle cacha sa surprise. Elle montra à Toute-Douce une
montagne de victuailles et lui dit :

- Prépare-nous un magnifique festin ! Quand tu auras fini, tu viendras
   dîner avec moi.

Quand tous les plats furent prêts et que la table fut mise, Toute-Douce
s'assit en face de Baba Yaga. Les yeux de la sorcière brillaient comme
des charbons ardents.

- Maintenant, fillette, gronda-t-elle, réponds-moi correctement ou bien
   je te mangerai en entrée ! Pourquoi es-tu venu chez moi ?

Toute-Douce ouvrit la bouche pour avouer "Je suis venue chercher l'un
de vos crapauds." Mais elle sentit la poupée s'agiter au fond de sa poche
et comprit ce qu'il fallait dire. Et tandis que Baba Yaga l'observait de ses
yeux brûlants, Toute-Douce répondit calmement :

- Je suis venue ici pour avoir peur, bien sûr, puisque vous êtes là pour ça !

Baba Yaga n'en crut pas ses oreilles mais, cette fois, elle ne chercha pas à
cacher sa surprise. Elle sauta sur la table à pieds joints, puis entraîna balai,
chaudron et crapauds dans une folle farandole.

- Voilà la réponse que j'attendais, fillette ! Je vois qu'avec toi la sagesse
   n'attend point le nombre des années. Dis-moi comment tu as fait pour
   passer ces épreuves avec succès.
- Eh bien... c'est grâce à un cadeau de ma maman, déclara Toute-Douce.
- Ah ah ! gloussa la sorcière. Un cadeau en appelle un autre. Tiens !

Et elle lui fit présent d'un de ses trois crapauds. Il portait une cape brodée
de perles fines, un collier de diamants et une longue laisse sertie d'émeraudes.
Toute-Douce rentra donc chez elle avec son précieux cadeau.

En la voyant arriver, Toute-Vilaine et Toute-Méchante n'eurent même pas
le temps de dire un mot, car le crapaud ouvrit une large gueule et...

Gloup ! Gloup ! Il n'en fit que deux bouchées. Puis il repartit à grands
bonds vers la forêt. Depuis ce jour-là, Toute-Douce arrêta de se montrer trop
bonne, ce qui n'a rien d'étonnant après tout ce qui lui était arrivé. Elle devint
donc une petite fille gentille, mais pas trop...


La sorcière aux trois crapauds (Hiawyn Oram - Ruth Brown - Folio Cadet)

samedi 19 novembre 2016

Sur la piste du bandit

Chapitre 1

A Lilly City, Black Jack le bandit sème la terreur. Il a dévalisé l'épicerie,
attaqué la diligence et tout cassé au saloon. Les habitants en ont assez :

- Mais que fait notre shérif ?
- Il est trop vieux, changeons - le !

Billy le shérif est vexé :

- Moi, trop vieux ? Nom d'un coyote, je vais l'attraper, ce hors-la-loi
  à la noix ! Euh, voyons... où est mon révolver, Mary ?
- A ta ceinture, papa
- Ah oui !

Mary, la fille du shérif, est inquiète : son père est trop vieux pour une
mission aussi dangereuse. Mary essaie de le retenir, elle lui fait le plus
beau des sourires.

- Je ne risque rien ! la rassure Billy. J'ai ma griffe d'ours magique. Elle
  va me porter chance.

Et voilà le vieux chérif qui part à la poursuite du bandit. Nom d'un cactus !
Mary ne veut pas le laisser seul ! Vite elle enfourche son cheval. Et, sans
un bruit, elle le suit en cachette. A l'entrée du désert, Billy découvre une
carte à jouer par terre.

- Ha ha, Black Jack est passé par ici ! s'exclame-t-il.

Sans hésiter, le shérif s'élance au galop. Mais il fait chaud, trop chaud,
comme avant un orage. Mary frémit :

- Papa a oublié d'emporter à boire ! Il va mourir de soif sous ce soleil !

L'instant d'après, Billy fait une découverte : là-bas, au creux du sable,
une gourde est apparue comme par magie !

- Ca, c'est un coup de ma chère petite griffe ! affirme-t-il.

Cachée derrière un rocher, Mary sourit.


Chapitre 2

Tout ragaillardi, le vieux shérif remonte sur son cheval. Il repère bientôt
des traces : ce sont celles du bandit.

- Gare à toi, Black Jack ! s'écrie Billy.

Et il se met à suivre la piste. De loin, Mary le surveille. Peu après, Billy
s'arrête pour se reposer. Il ne voit pas qu'un puma rôde par là. Mary, elle,
l'a vu : il va attaquer son papa ! D'un coup de lasso, Mary capture le
fauve illico ! Billy sursaute :

- Hein ? On dirait que quelque chose a remué... Non, j'ai dû rêver.

Le shérif reprend sa route. Il atteint une rivière déchainée.

- Zut, le pont est cassé, constate-t-il. Tant pis, je traverse à la nage !

Du haut de la colline, Mary s'affole :

- Il va se noyer ! Vite, une idée !

Ho hisse ! Elle pousse un tronc d'arbre, qui roule, qui roule... et finit sa
course en travers de la rivière. Billy n'en croit pas ses yeux :

- Comme la magie de ma griffe est puissante ! Voilà un pont parfait !

Et il repart sur la piste du bandit. Le ciel est noir, un vrai ciel d'orage.
Soudain, le vieux shérif aperçoit une cabane. Les sens aux aguets, il
s'immobilise :

- Le repaire de Black Jack !

Il descend de cheval et, à pas de sioux, il s'approche de la cabane. Mary
veut le suivre, mais un serpent à sonnette lui barre le chemin ! Mary n'a
peur de rien ... sauf des serpents à sonnette.

- Papa ! A l'aide ! hurle-t-elle.
- Nom d'un coyote ! Mary ? Toi, ici ?

Le vieil homme se précipite. Sa fille est en danger ! Pan pan ! Il tire
sur le serpent. Ouf ! Mary est sauvée. Elle se jette dans les bras de son
papa.


Chapitre 3

 Mais tout ce chahut a alerté Black Jack. Le bandit pointe son fusil par
la fenêtre de sa cabane :

- Les mains en l'air, vous deux !

Billy et Mary obéissent sagement. Le vieux shérif chuchote à Mary :

- Ne t'en fais pas, ma griffe magique va nous aider !

A cet instant, l'orage éclate et la foudre s'abat sur la cabane. Sous le choc,
Black Jack est projeté au dehors. Le voici assommé. Quel chance ! Mary
n'en revient pas. Billy n'est pas surpris :

- Depuis le début, ma griffe m'a protégé. Mais dis-moi, que faisais-tu
  par là ?
- Moi ? Euh ... je chassais le puma.

De retour à Lilly City avec son prisonnier, le vieux shérif est acclamé.
A ses côtés, Mary trottine, à la fois fière et soulagée :

- Et si tu prenais ta retraite, papa ? Tu pourrais te reposer.
- Surement pas. J'ai encore trop de hors-la-loi à capturer !


Sur la piste du bandit (Pascal Hédelin - Milan poche)

dimanche 6 novembre 2016

Souris grise et souriceau



Une souris grise repasse ses chemises

Un jeune souriceau recoud son chapeau

Un rat d'opéra reprise ses bas

Une souricette lave ses chaussettes

Un petit rat d'hôtel fixe ses bretelles

Une souris des champs astique ses gants

Un joli raton met son pantalon

Une souris blanche retrousse ses manches

Un beau rat musqué lace ses souliers

Une jeune rate renoue sa cravate

Mais un vieux rat d'égout ne fait rien du tout.


Souris grise et souriceau (Jean-Pierre Vallotton - Petits Poèmes pour tous les jours - Nathan)

L'oiseau du Colorado

L'oiseau du Colorado
Mange du miel et des gâteaux
Du chocolat des mandarines
Des dragées des nougatines
Des framboises des roudoudous
De la glace et du caramel mou.

L'oiseau du Colorado
Boit du champagne et du sirop
Suc de fraise et lait d'autruche
Jus d'ananas glacé en cruche
Sang de pêche et navet
Whisky menthe et café

L'oiseau du Colorado
Dans un grand lit fait un petit dodo
Puis il s'envole dans les nuages
Pour regarder les images
Et jouer un bon moment
Avec la pluie et le beau temps


L'oiseau du Colorado (Robert Desnos - Petits poèmes pour tous les jours - Nathan)

Trois petits oiseaux

Au matin se sont rassemblés
Trois petits oiseaux dans les blés
Ils avaient tant à se dire
Qu'ils parlaient tous à la fois,
Et chacun forçait sa voix.
Ca faisait un tire lire,
Tire lire la ou la.
Un vieux pommier planté là
A trouvé si gai cela
Qu'il s'en est tordu de rire


Trois petits oiseaux (Jean Richepin - Petits poèmes pour tous les jours - Nathan)

Ah ! que la terre est belle ?






Ah ! que la terre est belle
Crie une voix là-haut,
Ah ! que la terre est belle
Sous le beau soleil chaud !


Elle est encor plus belle,
bougonne l'escargot,
Elle est encor plus belle
Quand il tombe de l'eau.


Vue d'en bas, vue d'en haut,
La terre est toujours belle,
Et vive l'hirondelle,
Et vive l'escargot.


Ah ! que la terre est belle ! (Pierre Menanteau - Petits Poèmes pour tous les jours - Nathan)

samedi 5 novembre 2016

Landisoa et les trois cailloux



Sa mère dormait encore quand Landisoa se réveilla. La lumière filtrait
à travers les murs de bambou. Landisoa partit dans le brouillard du petit
matin.

Landisoa passa le village, passa le fleuve, passa les champs, se retrouva
dans les collines. Elle marchait encore tandis que le brouillard semblait
s'épaissir.

Elle s'arrêta enfin devant un étang rempli de nénuphars. Là, un voropotsy,
un oiseau tout blanc, l'arrêta et lui demanda :

- Que fais-tu ici ? si loin de chez toi ?
- Je vais, répondit Landisoa, je vais.

A-t-on déjà entendu pareille réponse ?

L'oiseau lui demanda à boire. Landisoa prit un peu d'eau de l'étang et
servit le voropotsy dans ses mains. Celui-ci, reconnaissant, lui donna
trois cailloux : un caillou multicolore, un caillou argenté, un caillou
noir. Il disparut juste après.

Landisoa le regarda s'envoler et rêva de partir aussi. Elle passa l'étang.
Elle répéta à l'infini :

- Je vais. Je vais.

Et sa voix porta sur tout l'étang et sa voix réveilla tous les animaux :
les oiseaux, les papillons, les libellules... Le brouillard devenait plus
épais encore.

Landisoa ne voyait plus devant elle que la blancheur du brouillard.
Elle jeta le caillou multicolore et vit un animal par terre. C'était le
serpent arc-en-ciel.

- Monte sur mon dos, lui dit-il. Je te sors d'ici.

Le serpent arc-en-ciel se redressa au-dessus du brouillard, l'emmena
très haut et la déposa sur la plus haute des montagnes. Les Montagnes
étaient bleues. Le brouillard s'étendait en bas. Landisoa voyait, reposant
dessus, des traits argentés.

Elle regarda les cailloux dans sa main. Elle jeta celui qui avait la même
couleur argentée. Les traits s'animèrent d'un coup. Les traits argentés
étaient des éclairs, des serpents-éclairs.

- Pourquoi nous déranges-tu ? s'écrièrent-ils.
- Je vais, répondit précipitamment Landisoa, je vais.

Les éclairs tombaient tout autour d'elle. Elle essaya de s'enfuir mais les
rochers étaient trop abrupts. Elle tremblait de peur quand elle se souvint
de son dernier caillou, le noir. Elle le jeta au milieu des éclairs.

Une grande obscurité emplit tout à coup la montagne. Un vorombe,
un oiseau géant, avait surgi de nulle part et attiré les éclairs dans ses
serres terribles. De plus, ses ailes étaient tellement immenses qu'elles
cachaient le soleil. On aurait dit les ailes de la nuit.

L'oiseau ferma les yeux de Landisoa qui tremblait encore. Il l'emmena
au pays des rêves. Ils survolaient les villages, survolaient les fleuves,
survolaient les mers. Landisoa était heureuse mais, petit à petit, les
contours de la case de sa mère se dessinèrent dans son esprit. Elle
rouvrit les yeux.

- Dépose-moi, s'il te plait, demanda-t-elle à l'oiseau de nuit, je vais.
- Tu vas ?
- Je vais dans les bras de Nény, ma maman...

Vorombe déposa Landisoa près de la case. Elle rentra sur la pointe
des pieds, embrassa sa mère qui se réveilla. Elles s'étreignirent.

- Tu as bien dormi, ma chéri ? Bien rêvé ?
- Oui, répondit-elle.

Dans sa main, il y avait, une fois encore, trois cailloux...

Mais je ne vous dirai pas leurs couleurs...

Landisoa et les trois cailloux (Raharimanana - Jean A.Ravelona - Tsipika - Edicef)

vendredi 4 novembre 2016

La diablesse et son enfant

Une diablesse allait de maison en maison et demandait ?

- Où est mon enfant ? Je l'ai perdu. Avez-vous vu mon enfant ?

Cette diablesse avait un visage agréable à regarder. Sa peau était
sombre et ses yeux luisants. Elle frappait aux portes, à la nuit tombée,
et demandait :

- Quelqu'un parmi vous sait-il où se trouve mon enfant ?

Et la personne qui avait ouvert sa porte à la diablesse voyait ses beaux
yeux un peu humides qui brillaient dans l'obscurité, sa jolie figure et
ses habits bien propres.

La personne qui n'avait pas eu peur d'ouvrir sa porte à la nuit s'apprêtait
à sourire et à tenter d'aider la diablesse, quand soudain son regard tombait
sur les pieds de celle qui venait de frapper.

Et la personne qui avait oublié d'avoir peur en ouvrant grande sa porte sur
la pénombre, était alors glacée de terreur en découvrant que celle qui
cherchait son enfant à la nuit n'avait pas de pieds mais des sabots.

C'était de petits sabots noirs et fins comme ceux d'une chèvre, séparés
par une longue fente.

Aussitôt la porte se refermait en claquant et toute lumière s'éteignait
dans la maison. Chacun attendait, tremblant, que la diablesse s'éloigne.
Et chacun frémissait de crainte : on pensait que la diablesse allait
peut-être se fâcher et se venger d'une manière terrible.

Mais cette diablesse-là ne savait même pas ce que cela signifiait. Elle
ne savait même pas pourquoi on la redoutait. Elle soupirait puis s'en
allait de son pas léger, et ses petits sabots de chèvre claquaient sur la
route, tip-tap, tip-tap.

Quand le bruit des sabots avait disparu, la lumière s'allumait de nouveau
dans les maisons. Chacun se promettait de ne plus ouvrir sa porte après
la tombée de la nuit. Car on avait peur des sabots de la diablesse, de ses
petits sabots noirs et fins, plus que de n'importe quoi au monde.

La diablesse s'en allait et cherchait une autre maison.

- J'ai perdu mon enfant. N'est-il pas chez vous ?

Ses yeux scintillaient, pleins de larmes et d'espoir. Mais, chaque fois,
le sourire se figeait sur les lèvres de celui qui s'apprêtait à répondre,
qui se préparait à réconforter cette pauvre femme dont l'enfant n'était
pas revenu avant  la nuit. Il n'y avait pas de pitié possible pour la
diablesse, dès lors qu'on s'apercevait qu'elle n'avait pas le pied humain.

On avait trop peur, bien trop peur de ces petits sabots fendus. On avait
tellement peur qu'on ne se demandait même pas quel pouvait être cet
enfant de la diablesse.

- Mais où est mon enfant ? demandait-elle, partout, sans trêve, avec
  son beau visage doux qui brillait dans la nuit.

On avait tellement peur qu'on était persuadé d'une chose : c'est que la
diablesse était capable d'inventer n'importe quelle histoire pour
s'introduire dans les maisons et y apporter le malheur par sa seule
présence.

De même, pensait-on, la diablesse a su se faire une jolie figure, afin
d'émouvoir et de se faire inventer à entrer, en pleine nuit, chez les
gens qui prenaient pitié de ses yeux mouillés.

On pensait : il n'y a que ses sabots, ses horribles sabots qu'elle n'a
pas pu changer, heureusement pour nous. Sinon, comment
saurait-on que cette femme est une diablesse ?

Mais la diablesse, elle, se rappelait avoir eu un enfant, longtemps
auparavant. Elle se rappelait avoir tenu un tout petit enfant dans ses
bras et elle se rappelait que cet enfant avait été le sien, qu'elle l'avait
aimé, nourri, cajolé, avant qu'un jour il disparaisse. Elle ne savait
plus comment.

Elle se rappelait seulement que, depuis ce jour, ses yeux ne cessaient
de couler. C'est depuis ce jour également qu'elle avait de petits sabots
noirs et fins à la place des pieds. La diablesse n'avait pas de maison.

Elle se rappelait aussi avoir eu une maison, longtemps auparavant,
et que dans sa maison son enfant dormait. La maison avait disparu
en même temps que l'enfant. La diablesse ne savait plus comment.
C'était simplement arrivé.

Cela avait existé et cela n'existait plus. Elle avait eu dans sa maison
une belle lumière jaune qui éclairait la campagne tout autour. Et la
diablesse se rappelait que son enfant avait aimé regarder la lumière
jaune avant de s'endormir le soir.

Quand elle marchait encore dans sa maison, la diablesse avait eu de
petits pieds fins de jeune femme ordinaire. On était dans une région
chaude, où les gens marchent le plus souvent pieds nus.

La diablesse se rappelait qu'à cette époque, quand elle marchait dans
sa maison, quand elle entrait dans la chambre où son enfant dormait,
elle n'entendait pas : tip-tap, tip-tap.

Elle entendait le bruit de ses pieds nus sur le sol de sa maison. Ce n'est
que depuis que sa maison et son enfant n'étaient plus là où ils avaient
été, que le bruit de son pas avait changé et qu'elle voyait, en baissant
les yeux vers ses pieds, de petits sabots de chèvre qui l'étonnaient
encore maintenant.

La diablesse vivait dans la forêt. La forêt de cette région était épaisse
et sombre. La diablesse y trouvait de quoi manger car, dans les forêts
humides et tièdes de cette région où il fait toujours très chaud,
beaucoup de fruits poussent sur les arbres, beaucoup de plantes sortent
de la terre.

La diablesse dormait le jour et sortait à la nuit. Elle se rappelait que
c'est un soir, un triste soir, qu'elle avait regardé le creux de ses bras
arrondis et constaté que son enfant n'y était plus.

Elle sortait de la forêt, marchait sur la route de son pas dansant.
Lorsqu'elle apercevait un enfant qui se dépêchait de rentrer chez lui,
elle courait dans sa direction. Et l'enfant qui entendait courir les
petits sabots voulait s'enfuir et se mettait à courir lui aussi. Il courait
en criant :

- Voilà la diablesse ! A moi !

Alors la diablesse s'arrêtait aussitôt.

- Si ce petit était le mien, il ne crierait pas ces mots-là, se disait-elle.

La région tout entière connaissait maintenant la diablesse. Tout le
monde savait qu'elle cherchait son enfant. On se mit à dire :

- Et s'il était vrai qu'elle ait eu un enfant et que cet enfant se soit sauvé ?
  Comment être sûr qu'il n'est pas parmi nous ?

On regarda attentivement les enfants qui jouaient dans la rue, qui allaient
à l'école, qui creusaient des trous dans le sable, les enfants qui se baignaient
dans la mer ou qui rêvaient, assis sur une pierre. On observa de près les
enfants qui glissaient sur les toboggans ou s'envolaient sur les balançoires.

On examinait tout particulièrement les pieds des enfants afin de voir s'ils
ne ressemblaient pas un tout petit peu aux sabots de la diablesse.

Un soir, au moment de quitter la forêt, la diablesse prit une décision. Elle
se sentait découragée, fatiguée.

- Personne ne me dira jamais où se cache mon enfant, pensa-t-elle. Je sens
  bien, à présent, que personne ne me le dira jamais.

Alors elle décida que le premier enfant qu'elle rencontrerait en sortant de
la forêt serait le sien. Elle avança sur la route de son pas habituel, tip-tap.
Elle aperçut bientôt une petite silhouette assise dans l'herbe, au bord de
la route.

Elle sortit son cœur battre si fort qu'elle n'entendait plus le bruit de ses sabots.
Elle s'approcha et toucha l'épaule de l'enfant assis au bord de la route. C'était
une petite fille à la tête couverte de petites nattes.

- Viens, viens avec moi, lui dit la diablesse très doucement.

La fillette se leva et posa sa toute petite main dans la main un peu tremblante
de la diablesse. Celle-ci referma ses doigts bien fort. Puis elle allait
reprendre la direction de la forêt, emmenant avec elle la petite fille, lorsqu'elle
se rendit compte que l'enfant boitait. Alors elle baissa les yeux vers les pieds
de la fillette et vit qu'ils étaient difformes.

Le matin de ce même jour, les habitants du village voisin avaient chassé la
petite fille. Ils croyaient avoir trouvé l'enfant de la diablesse et s'étaient dit :

- Chassons celle-là ou elle nous portera malheur. Ses tout petits pieds mal
  formés vont tourner en sabots, et alors il sera trop tard.

Voyant cela, voyant comment la fillette avait du mal à marcher, la diablesse
la porta. La petite fille passa ses bras autour du cou de la diablesse et soupira
de soulagement.

Elle regardait la jolie figure de la diablesse, ses yeux doux, elle respirait l'odeur
de forêt de la diablesse et finit par s'endormir tranquillement. La diablesse
revenait vers la forêt. Son cœur battait un peu moins fort. La nuit était calme
et chaude.

Soudain la diablesse se rendit compte qu'elle n'entendait plus le ti-tap, tip-tap
de ses petits sabots noirs. La nuit était si sombre maintenant que la diablesse,
en se penchant, ne put apercevoir ses sabots. Mais elle entendait un bruit
différent. Et la diablesse comprit que c'était le frottement de ses pieds nus sur la
route.

Puis comme elle passait devant une petite maison tout éclairée, elle se rappela
que cette maison n'était pas là tout à l'heure. Elle poussa la porte, entra dans
la pièce où brillait une belle lampe jaune. Elle déposa tendrement la petite
fille qui dormait toujours dans un lit bien propre et frais.

Ensuite, elle s'assit sur une chaise, fit glisser ses pieds sur le parquet ciré
et dit tout haut, d'une voix gaie :

- Je ne savais pas qu'une aussi petite fille était aussi lourde à porter !

La diablesse et son enfants (Marie Ndiaye - Mouche l'Ecole des Loisirs)

lundi 31 octobre 2016

Légende du loup-garou



Selon la légende, lors des nuits de pleine lune, le loup-garou ayant
d’ordinaire une apparence humaine se transforme en un loup énorme
avec des sens surdéveloppés.

Il acquiert les caractéristiques du loup : puissance musculaire, agilité,
ruse et férocité. Il chasse et attaque sans merci ses victimes pour les
dévorer. Ne contrôlant plus ses faits et gestes, il peut tuer de nombreuses
personnes en une seule nuit
.
Les gens se sont mis à chasser les loups, s’en protégeant avec de l’eau
bénite et les tuant avec une balle en argent. Les loup-garou souffraient
de la même répulsion que les vampires pour les choses sacrées et étaient
considérés comme créatures du Diable.

Ils se multipliaient en mordant. La malédiction commençait dès la première
pleine lune après la morsure de la victime. Une fois la pleine lune passée, les
loups garous pouvaient conserver quelques caractéristiques animales, telles une
modification de leur voix et de leurs yeux, des sourcils se rejoignant au-dessus
du nez, des ongles légèrement rougeâtres, le majeur un peu plus long, les oreilles
implantées un peu plus bas et en arrière de la tête, et de façon générale un peu
plus de poils sur les mains, les pieds et dans le dos.

Le loup-garou est un homme vivant métamorphosé ou un corps qui sort de la
tombe sous la forme d'un loup connu et sous le nom de loup-garou fantôme.

On croyait que le corps métamorphosé était celui d'une âme damnée qui ne
trouvait pas le repos dans sa tombe.

À partir du XVe siècle, les légendes, en Scandinavie, en Russie occidentale
et en Europe centrale, font état de l’existence de philtres magiques pouvant
aider les loups garous à retrouver tout leur aspect humain.

La station service


C'était une nuit sombre et brumeuse.

Denise avait de la difficulté à rester éveillée et la route était trempée.
Le niveau d'essence commençait à être dangereusement bas et elle
n'avait aucune idée d'où se trouvait la prochaine ville.

Juste au moment ou elle allait arrêter la voiture pour dormir sur le bord
de la route, elle aperçoit une petite station d'essence décrépie. Elle s'y
arrête. Le commis semble très distrait par l’arrière de la voiture pendant
qu'elle lui demande de faire le plein.

Il s'exécute enfin, mais lui demande d'ouvrir le capot, parce qu'il flaire
un problème. Le cœur de Denise fait trois tours. Elle est seule dans une
petite station-service crasseuse au milieu de nulle part et le commis a de
drôles d’agissements…

Il lui demande de sortir de la voiture pour venir voir le moteur. Elle
s’exécute tout en se demandant pourquoi elle ne se met pas à crier.
Aussitôt arrivée devant la voiture, il l’attrape par le bras et lui dit :

- Cette voiture a besoin d'une remorqueuse, vous devez venir avec moi
  dans le bureau !

Puis il lui met la main sur la bouche et l'entraîne de force a l'intérieur du
bureau. Une fois à l'intérieur, il lui dit :

- Il y a un homme couché sur le siège arrière de votre voiture ! Nous
devrions appeler la police.

La femme apeurée part en courant vers sa voiture et file à toute vitesse.

Au bout de quelques minutes, Denise regarde dans son rétroviseur. Elle
voit un homme avec un chandail à capuchon et une hache dans la main
sur la banquette arrière.

D'un mouvement de bras, il décapite la pauvre femme avec sa hache. Le
cadavre de Denise est retrouvé quelques jours plus tard.

Des années après ce drame, la police est enfin parvenue à mettre le grappin
sur le tueur en série.

Avez-vous regardé sur la banquette arrière de votre voiture?

La gardienne en danger


Une jeune fille qui économisait pour l'université commence à surveiller la
maison d'un voisin en échange de rémunération. Le voisin, un docteur, lui
demande d’arriver à 19 h.

Une heure après être arrivée à la maison, elle reçoit un appel téléphonique.
L'homme au bout du fil lui dit que si elle ne sort pas de la maison, il la tuera.

Elle raccroche et regarde sur l'afficheur, mais la personne qui téléphone
utilise une ligne privée.

30 minutes plus tard, un autre appel :

- Si tu ne sors pas bientôt de la maison je te tuerai, déclare l’homme à la voix
   rauque au bout du fil.

La jeune fille raccroche et appelle la téléphoniste. Cette dernière suggère de
garder l'homme en ligne environ une minute pour qu’elle puisse retracer
l’appel.

L'homme rappelle après 30 minutes et la gardienne parvient à le garder en
ligne. Il lui répète de sortir de la maison maintenant ou il la tuera. La
téléphoniste rappelle aussitôt pour sommer l’étudiante de sortir de la maison
le plus rapidement possible.

L'appel provient de la deuxième ligne de la maison, celle du deuxième étage.
L’assassin se trouve dans la maison...

BON HALLOWEEN A TOUS


samedi 13 août 2016

La Cigale et la Fourmi


Il était une fois une cigale qui adorait chanter. Travailler dans un grand magasin
l'ennuyait énormément. Cet été là, elle fit des siestes le jour, car elle voulait être
en forme pour chanter toute la nuit.

Pendant ce temps-là, ses collègues les fourmis, elles, ne chantaient pas. Elles
travaillaient dur à sa place !

Chaque soir, la cigale s'éveillait de sa sieste au rayon lits du grand magasin.
Dans le noir, elle gagnait son étage préféré à pas de loup ...

Quelle excitation de se faufiler sans se faire voir par le gardien de nuit ...
une fourmi pleine de poils qui ne dormait que d'un œil !

Et hop ! la cigale allumait le rayon musique. Ravie, elle jouait de tous les
instruments et chantait à tue-tête dans les micros.

Un soir, elle alla même jusqu'au rayon des caméras pour se filmer. Elle
voulait tourner un clip dans un décor fabuleux. Finaude, elle se servit
d'objet du magasin : un parasol, une machine à bulles, un trampoline, une
maison de poupée ! Avec sa guitare, elle s'en donna à cœur joie, sans voir
que le gardien de nuit approchait...

- Hep ! madame la cigale ! lui lança la fourmi avec sévérité. Que faites-vous donc ?
- Je chante ! répondit la cigale. Et vous ?
- Heu ... Je travaille, pardi !
- Mais quelle drôle d'idée ! s'écria la cigale. Faites comme moi, chantez !

Surprise, la fourmi sérieuse arrêta la caméra :

- Mais enfin, petite cigale ... Ça suffit ! Vous devez avoir un métier comme
  tout le monde.
- Travailler ne m'intéresse pas du tout ! soupira la cigale en recommençant à
  jouer de la guitare. Moi je veux chanter. Puis-je vous faire écouter ma voix ?

Énervée par tant d'insouciance, la fourmi tourna les talons. Et la cigale se mit
à fredonner de plus, sûre que son bonheur durerait toujours.

Le lendemain, la directrice du magasin convoqua la cigale :

- C'est d'une vendeuse dont nous avons besoin, pas d'une chanteuse !
- S'il faut choisir, déclara la cigale, je préfère chanter. Je vous tire ma révérence !

Et elle quitta le grand magasin d'un pas décidé. A elle l'aventure !
Elle allait chanter dans la rue, pour un vrai public, quel bonheur !
Elle s'installa avec sa guitare et donna des petits concerts tous les soirs. Des
papillons en promenade, des cousines cigales, des touristes coccinelles, des
scarabées fascinés et même des fourmis, pourtant sérieuses, s'arrêtaient
pour l'écouter.

Bientôt tout le monde se mettait à danser ... et la cigale commença très vite
à animer les bals partout où elle passait. Ses chansons étaient si pétillantes
que personne ne pouvait y résister : farandoles, rondes, nul ne restait assis.
La cigale, ravie, chantait encore mieux et entraînait tout le monde avec elle !

De bal en bal, de chanson en chanson, elle fit le tour du monde, fière de son
succès. Toutes les fourmis en délire venaient l'applaudir. Jamais on n'avait vu
autant de fourmis devenir fans d'une cigale.

Mais la saison des bals passa avec l'été. A l'automne, tous les insectes retournèrent
à leurs occupations pour préparer l'hiver à venir ...
Mais la cigale continua sans s'en apercevoir.

Bientôt les jours froids arrivèrent, et l'hiver, et la neige ... Grelottante, elle
n'avait plus le cœur à chanter. Et il n'y avait plus rien à manger nulle part.
C'est alors qu'elle se retrouva nez à nez avec la gardien de nuit du grand magasin.

- J'ai froid. Pourriez-vous me laisser entrer ? Juste une nuit ...
- Mais que faisiez-vous pendant que moi je travaillais dur ? lui demanda
  la fourmi poilue.
- Vous le savez bien, je chantais, je m'amusais, répondit la cigale.
- Eh bien, dansez maintenant ! lui lança la fourmi.

Honteuse, la cigale ne répondit rien. Mais comme elle s'éloignait la tête basse,
la fourmi se dit qu'elle avait compris la leçon :

- Allez, pour cet hiver, je vous accueille. Mais faîtes attention l'année prochaine !

La Cigale et la Fourmi (Alexandre Jardin - Fred Multier) Hachette Jeunesse


La Cigale et la Fourmi ( Jean de la Fontaine)

La cigale, ayant chanté tout l'été,
se trouva fort dépourvue quand la bise fut venue.
Pas un seul petit morceau de mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine chez la fourmi sa voisine,
la priant de lui prêter quelque grain pour subsister jusqu'à la saison nouvelle.

- Je vous paierai, lui dit-elle, avant l'août, foi d'animal, intérêt et principal.

La fourmi n'est pas prêteuse; c'est la son moindre défaut.

- Que faisiez-vous au temps chaud ? dit-elle à cette emprunteuse.
- Nuit et jour à tout venant je chantais, ne vous déplaise.
- Vous chantiez ? j'en suis fort aise : eh bien ! dansez maintenant.

dimanche 15 mai 2016

JOJO LA MAGIE


Jojo voulait devenir magicien. Il était
équipé pour ça. Ses jeux de cartes
étaient pleins d'as… ses boîtes
d'allumettes avaient toutes un double
fond… Son mouchoir changeait de
couleur, selon qu'il le sortait de sa
poche droite ou gauche.

Sans arrêt, il demandait à son
entourage de lui prêter quelque
accessoire.

- Tu n'as plus besoin de ton journal ?
  ou une attention soutenue. Prends
  une carte, n'importe laquelle !

À la maison, son talent n'était pas
reconnu et ses expériences pas
toujours applaudies. Il aurait surtout aimé réussir le coup de la disparition. Mais son public était décidément mauvais joueur.

- On voit tes yeux ! Tu serais pas sous    ton lit ?

Lassé de travailler pour ces ingrats, il alla dans le jardin public essayer ses
tours. Les cartes qui reviennent tout le temps… la pièce de 5 euros qui
disparaît… la guillotine à cigarettes… eurent un grand succès.

De redoutables bandits passaient par là. Espérant une partie de cartes
interdite (ou une occasion de fouiller les poches des badauds) ils admirèrent
Jojo.

- Ce gamin est diabolique. Il nous le faut ! Il nous apprendra à tricher aux
  cartes… il piquera les portefeuilles à notre place… et les clefs de toutes
  les banques…

Ils enlevèrent Jojo qui ne s'inquiéta pas : sans doute des admirateurs qui en
redemandent…

Mais quand, dans la cave où ils s'enfermèrent, ils lui demandèrent :

- Maintenant tu vas nous dire
  tes trucs ! Jojo refusa. Un
  magicien ne dévoile
  jamais ses tours !

Ils lui confisquèrent son
matériel et essayèrent d'en
percer les secrets. En vain.
Les bandits devinrent alors
très méchants…

- Ce gamin ne nous sera
  d'aucune utilité. Ouais. Il
  faut le faire disparaître.
  Le coup de la disparition !
  Dans la flotte… Dans les
  bois… ou un précipice ?

Jojo n'avait plus envie, mais alors plus envie du tout, de DISPARAÎTRE !

- Bon, d'accord. Je vais vous
  apprendre à faire les nœuds.
  Ne bougez plus, fermez les yeux… et quand vous saurez défaire ceux-là… vous serez
  de vrais magiciens !

À la maison, on le fêta. Désormais, on fait très attention à ses tours. Ses parents
lui ont même offert un lapin, un vrai. Un lapin qui fait apparaître des crottes
sans qu'on prononce aucune formule magique !


Jojo la magie (Bruno Heitz - circonflexe)

samedi 14 mai 2016

La perle de vent


Il était une fois, dans la lointaine Chine, il y a des milliers et des milliers de
lunes de cela, un roi qui avait un fils unique. Celui-ci avait toutes les qualités
possibles, et un seul défaut.

Beau, intelligent, bien fait de sa personne, cultivé autant que l'on pouvait
l'être, il était cependant aussi lent à courir qu'à prendre des décisions.

Pour accomplir la moindre chose, il mettait cent fois plus de temps que
n'importe lequel de ses semblables. Aussi, était-il tout le temps le dernier
partout, et lorsque le soleil se couchait, n'avait-il pas accompli le quart des
choses qu'il avait souhaité faire au matin.

Comme, en plus, cela le faisait bien souvent pleurer, il se trouvait encore
ralenti par son chagrin. Etre le dernier à la course, le dernier aux joutes ou
le dernier aux tournois du palais n'était pas pour lui le plus grave. Le plus
vilain tour que pouvait lui jouer sa lenteur se déroulait chaque automne
lors de la fête des récoltes.

A cette occasion, le grand chambellan donnait un bal auquel paraissait sa
fille, la sublime Lin-Fang. Nulle femme n'était plus belle en ce monde. Elle
possédait une taille de roseau, un teint de lune, d'immenses yeux noirs, et
une chevelure de soie lui caressait les épaules.

Bien sûr, le prince en était éperdument amoureux. Et, bien sûr, sa lenteur
l'empêchait chaque année d'être le premier à l'inviter à danser. Lorsque
après moult détours, il arrivait enfin dans la grande salle éclairée de mille
lampions, c'était toujours pour la voir au bras d'un autre.

Le prince en concevait un tel chagrin qu'il le gardait au cœur toute une année
jusqu'au bal suivant... où la même scène se reproduisait.

Un beau jour, sa souffrance devint si intolérable qu'il résolut de demander
de l'aide au dieu de la montagne. Lui, d'habitude si hésitant, ne tergiversa
pas cette fois et s'en alla aussitôt seller son meilleur cheval aux écuries.

Il savait que le voyage qui l'attendait serait périlleux et qu'il n'en reviendrait
peut-être pas. Mais la mort lui semblait lors préférable à cette vie qu'il traînait
comme une chaîne pesante.

Pour rejoindre celui qu'il voulait implorer, le prince devait escalader
quatre-vingt-dix-neuf montagnes. Au sommet de la dernière, il aperçut
une femme si vieille qu'elle aurait pu être née en même temps que le monde.

Elle demanda au prince les raisons de sa venue. Et celui-ci lui expliqua
son tourment et le mal d'amour qui lui rongeait le cœur depuis tant d'années.
Après avoir réfléchi un long moment, la vieille lui dit :

- Jeune homme, pour une telle requête, tu dois t'adresser directement au dieu
  de la montagne. Tu le trouveras sous la cascade que tu vois là-bas. Prononce
  trois fois son nom, et il t'apparaîtra.

Puis elle se remit à filer sa laine, comme si elle ne le voyait déjà plus. Le prince
alla à la cascade et fit ce qu'on lui avait dit de faire. Dans un immense nuage de
fumée, le dieu lui apparut soudain. il était si grand que son crâne touchait la
voûte du ciel.

Le prince, qui n'avait jamais vu pareil prodige, tremblait comme une feuille
de mûrier dans le vent. Il parvint malgré tout à balbutier quelques mots :

- O grand dieu de la montagne ! Je suis venu implorer ton aide, car je suis
  affligé, depuis ma naissance, d'un terrible défaut. Ma lenteur est telle que,
  chaque année, au grand bal des récoltes, j'arrive trop tard pour serrer dans
  mes bras celle que mon cœur a choisie entre toutes.

Le dieu de la montagne, que l'on dérangeait souvent pour des questions
d'argent, de pouvoir ou de maladies, fut touché par un chagrin aussi
singulier. Aussi décida-t-il d'aider le jeune prince. Plongeant sa main droite
dans les plis de son vêtement, il en sortit quelque chose que le jeune homme
ne put tout d'abord distinguer.

Lorsque le dieu l'eut déposer dans sa main, le jeune homme vit qu'il s'agissait
d'une perle à peine plus grosse qu'un grain de riz.

- Ce que tu tiens là est une perle de vent. Lorsque tu voudras aller vite, tu
  la placeras dans ta bouche, et alors tu deviendras aussi rapide que le vent
  le plus puissant. Mais attention, tu ne pourras t'en servir qu'une seule fois !

Ces derniers mots à peine prononcés, le dieu de la montagne, tel un songe au
réveil, s'évanouit. Fou de joie, le jeune prince s'en retourna à son palais. Il
arriva le matin de la grande fête des récoltes. Tout le jour, il serra la perle de
vent dans son poing fermé.

Lorsque le soir arriva enfin, il s'approcha de la grande salle. A travers les
ouvertures, il distinguait Lin-Fang qui se tenait aux côtés de son père. Le
moment était venu. Il plaça la perle de vent dans sa bouche et le prodige
se produisit. Ce fut comme si un souffle puissant le soulevait soudain de
terre.

Hélas ! mille fois hélas ! la poussée fut telle qu'il ne parvint pas à s'arrêter
dans la salle de bal. Il la traversa de part en part et se retrouva bientôt en
pleine campagne si loin du lieu de la fête qu'il n'en entendait même plus
la musique.

Il lui fallut plusieurs heures pour revenir, et, bien sûr, lorsqu'il y parvint,
il trouva l'élue de son cœur qui dansait avec un autre. Peu de temps après,
le père de Lin-Fang annonça à la cour les fiançailles de ce jeune homme
avec sa fille.

Le prince en conçut un chagrin si grand qu'il resta plusieurs mois sans
sortir de sa chambre. Un jour, il partit rendre visite à un moine de grand
renom auquel il raconta sa triste histoire. Celui-ci lui expliqua qu'il ne
servait à rien de s'imaginer être quelqu'un d'autre le temps d'un trop
fugace instant.

Il lui dit aussi que tout ce qui faisait l'intérêt de l'existence se trouvait
dans la mesure qu'il fallait chercher à mettre en toute chose. Des années
durant, le jeune prince réfléchit aux paroles du moine.

Lorsqu'il accéda au trône de son père, il pensa les avoir enfin comprises.
Ce fut peut-être pourquoi, après un long règne, il laissa le souvenir d'un
souverain juste et plein de sagesse.

Mille ans de contes pour rire (Milan Jeunesse)

mercredi 11 mai 2016

Histoires courtes

Besoin d'aide

Un jour, un paysan qui vivait au bord d'un fleuve fut pris dans une
inondation. L'eau monta d'abord petit à petit, puis, comme une digue
vint à lâcher, il se retrouva totalement submergé. Son seul refuge fut
le toit de sa maison. Là, il s'adressa à dieu :

- J'ai toujours honnêtement travaillé ! Je n'ai jamais fait de mal à
  quiconque ! Tu dois m'aider !

A ce moment-là, un voisin dans sa barque s'approcha et lui propose
de monter à bord. L'homme refusa son aide.

- Dieu va me secourir... Va sauver quelqu'un d'autre ! lui cria-t-il.

Une heure plus tard, ce fut le maire du village d'à côté qui vint et lui
proposa également de le faire monter dans son embarcation. L'homme
lui fit la même réponse. Puis ce fut un oncle qui vint à lui, s'étant dit
que son neveu avait peut-être besoin d'aide. Lui aussi se vit répondre
la même chose. Il reprit donc ses rames et s'éloigna.

A la tombée du soir, l'homme avait déjà de l'eau au mollet et il
comprit que sa fin était proche. Une dernière foi, il s'adressa à Dieu :

- Tu es injuste ! Pour une fois que je te demandais quelque chose, tu
  m'as abandonné !

Alors, Dieu, sortant de sa réserve habituelle, lui répondit :

- Là, je crois bien que c'est toi qui es injuste ! Je t'ai envoyé trois
  barques et tu n'as voulu monter dans aucune d'elles !


Le hareng et l'intelligence

Un marchand racontait à qui voulait l'entendre qu'il avait un secret
pour rendre les gens intelligents. Une femme qui manquait cruellement
d'intelligence depuis qu'elle était née entendit parler de lui et vint le voir.

- C'est tout simple, lui dit-il. Il faut manger des têtes de hareng.
- C'est tout ? demanda la femme.
- C'est aussi simple que cela, répondit-il.

Elle lui en acheta six et rentra chez elle. Une semaine plus tard, elle
revint le voir.

- Votre méthode n'a eu aucun résultat, se plaignit-elle. Je me sens
  toujours aussi stupide...
- C'est que vous n'en avez pas mangé assez ! lui répondit le marchand
  imperturbable.

Elle se laissa convaincre et en acheta une douzaine, puis s'en retourna
chez elle. Mais cette fois, elle n'attendit pas une semaine pour revenir
le voir. Dès le lendemain matin, elle faisait irruption dans la boutique.

- Tu n'es qu'un voleur ! s'écria-t-elle. Tu vends les têtes de hareng un
  rouble pièce, alors qu'un hareng entier ne vaut qu'un demi-rouble !
- Eh bien, tu vois que ma méthode marche ! Tu commences à devenir
  intelligente !

Mille ans de contes pour rire (Milan Jeunesse)

mercredi 27 avril 2016

Histoires Courtes

Gros poisson

Un jour, deux pêcheurs assis sur des rochers se mirent à discuter. Bien sûr,
chacun voulait prouver à l'autre qu'il prenait les plus gros poissons.

- Moi, dit le premier, je pêche des sardines si grosses que je ne trouve
  jamais de poêles assez grandes pour les faire cuire...
- Eh bien moi, dit l'autre, je prends des poissons si énormes qu'ils ne
  pourraient même pas tenir dans une barque !
- Tu ne vas quand même pas me dire que tu pêches la baleine ! dit
  le premier pêcheur en éclatant de rire.
- Bien sûr que non, lui répondit le second. Moi, les baleines, je m'en
  sers comme appât !


Qui est le plus gros ?

Un soir, la lune, bien ronde dans un ciel sans nuage, se mit à dire tout haut
qu'elle était la plus grosse du monde, plus grosse que la terre et le soleil.
Un lac l'entendit fanfaronner et lui répondit :

- Penche-toi et regarde un peu par là... Je suis plus gros que toi, car je peux
  te loger et garder encore de la place pour toutes les étoiles !

La lune, constatant que c'était a vérité, se mit très en colère et commença
à se disputer avec le lac. Ces deux-là firent tant de raffut qu'ils réveillèrent
une souris qui dormait sous les racines d'un arbre. Comprenant la nature de
la querelle, elle interpella les deux ennemis :

- Au lieu de crier comme ça, regardez donc par ici, dans mon œil droit. Je
  peux vous y mettre tous les deux ! Je suis donc beaucoup plus grosse que
  vous !

La souris ne profita pas longtemps de son triomphe. Une chouette fondit
sur elle et l'avala.

- Et voilà, dit l'oiseau. Le plus gros, c'est mon ventre, puisqu'il contient
  la lune, le lac et la souris !

Mille ans de contes pour rire (Milan Jeunesse)

Comment Till l'espiègle planta des graines de fripouilles

Un jour, Till arriva dans une ville située sur les bords de la weser et décida
de s'y installer pour passer l'hiver. Il savait que cette bourgade avait mauvaise
réputation dans tout le pays. Partout, on disait que ses habitants étaient aussi
mauvais que des teignes et aussi médisants que des pintades.

Au bout de quelques jours, Till se rendit compte que cette triste réputation
n'était pas usurpée, tant il était mal accueilli partout. L'envie lui vint de
donner une bonne leçon à ces tristes individus.

Un matin, il partit au bord de la rivière et remplit un grand sac de graviers.
puis il se rendit sur la Grand-Place du marché, où il se mit à creuser des
centaines de petits trous, tous bien alignés, comme s'il s'apprêtait à semer
des carottes ou des radis.

Puis, dans chacun d'eux, il déposa un de ses petits cailloux. Intrigués par
ce manège, les habitants allèrent chercher leur bourgmestre. Celui-ci
s'approcha de Till.

- Peut-on savoir ce que tu es en train de fabriquer ? lui demanda-t-il.
- Je sème des fripouilles, répondit Till.
- Et pourquoi ne sèmes-tu pas de la graine de bonnes gens ? s'offusqua
  l'homme.
- Tout simplement parce qu'ils ne pourraient pas pousser dans un tel endroit !

Bien sûr, le bourgmestre ne goûta pas la plaisanterie et fit chasser Till,
qui, de toute façon, n'était pas mécontent de quitter une telle ville.

Quelques temps plus tard, il apprit par un voyageur de rencontre qu'après
son départ, on avait tout de même fait déterrer tous les graviers, de peur
qu'ils ne donnent naissance à de plus grandes fripouilles que celles qui
habitaient déjà la ville ...

Mille ans de contes pour rire (Milan Jeunesse)