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mercredi 24 octobre 2012

Le cochon d'Hollywood

Il était une fois un cochon qui se voyait au sommet, mais n'était
qu'un petit poucet. Il lui poussait de grandes oreilles pour
s'envoler vers les merveilles, avec des jambes de sept lieues
il se prenait pour un dieu. Avec de longs cheveux dorés du
haut d'un donjon il rêvait. Mais dans son miroir magique il avait
l'air beaucoup moins chic.

Le lundi je serai jongleur : il s'entraînait sans peur. Le mardi : poésie
jusqu'à la nuit. Le mercredi : des jugements rendit. Le jeudi il joue
d'Artagnan et chante avec les enfants. Vendredi son jour de sport
il bat tous les records. Samedi un éléphant mâle l'emmène jusqu'au
Taj-Mahâl. Le dimanche, gros comme une baleine il s'échoue au pays des rennes.

Les Esquimaux sont très gentils mais il a très froid dans son lit. Le
facteur sonna deux fois... d'Hollywood vint un contrat. Très vite il
fait ses valises et fonce sur les banquises. Le temps presse, c'est la
panique, il attrape le "Titanic". Le bateau traverse la nuit lorsqu'un
iceberg surgit. Un glaçon vient à propos, notre héros est plus au
chaud.

Longtemps, il vogue à la dérive, en vue de New York il arrive.

- Hello ! s'exclame Miss Liberty, il y eut plein de confettis.

Il traverse l'Amérique, Hollywood c'est fantastique ! Le scénario
servi par Wong; son premier rôle : le singe Pig-Kong. Notre homme
crève l'écran. Quel triomphe ! Époustouflant ! En homme singe
nommé Tarzan, sa carrière prend son élan.

Villas, femmes et voitures; une étoile est née c'est sûr ! Un soir
jouant au piano il rencontre un affreux Jojo. L'affreux Jojo n'est
pas tendre : il envoie notre ami s'étendre. De ses blessures remis
bientôt, il retourne sur le plateau. Jouant "Ben Hur et son char",
il vole de victoire en victoire.

Les américains le font président et lui construisent un monument.

mardi 23 octobre 2012

Pirouette cacahuète


Il était un petit homme, pirouette cacahuète
Il était un petit homme qui avait une drôle de maison, qui avait une drôle de maison.

Sa maison est en carton, pirouette cacahuète
Sa maison est en carton, les escaliers sont en papier, les escaliers sont en papier

Si vous voulez y monter, pirouette cacahuète
Si vous voulez y monter vous vous casserez le bout du nez, vous vous casserez le bout du nez

Le facteur y est monté, pirouette cacahuète
Le facteur y est monté, il s'est cassé le bout du nez, il s'est cassé le bout du nez

On lui a raccommodé, pirouette cacahuète
On lui a raccommodé avec du joli fil doré, avec du joli fil doré

Le beau fil, il s'est cassé, pirouette cacahuète
Le beau fil, il s'est cassé, le bout du nez s'est envolé, le bout du nez s'est envolé

Un avion à réaction, pirouette cacahuète
Un avion à réaction a rattrapé le bout du nez, a rattrapé le bout du nez

Mon histoire est terminée, pirouette cacahuète
Mon histoire est terminée, messieurs, mesdames applaudissez

Bout de paille, braise et haricot

Dans un petit village vivait une pauvre vieille femme, qui
s'était ramassé un plat de haricots et voulait les faire cuire.
Elle dressa son feu dans la cheminée et l'alluma avec une
bonne poignée de paille pour qu'il brûle plus vite. Quand
elle mit ses haricots dans la marmite, il y en eut un qui lui
échappa par mégarde, et qui vint choir sur le sol juste à
côté d'un brin de paille; l'instant d'après, c'était un bout
de braise qui sautait du foyer et qui venait tomber auprès
des autres. Le bout de paille entama la conversation :

- Chers amis, d'où arrivez-vous comme cela ?
- La chance m’a permis de sauter hors du feu, répondit la braise et sans la force de cet
   élan, c'était pour moi la mort certaine : je serais maintenant réduite en cendres.
- Je l’ai échappé belle aussi, répondit le haricot à son tour, car si la vieille femme m’avait
   jeté dans la marmite, irrémissiblement c'en était fait de moi et j'étais cuit avec les autres.
- Croyez-vous peut-être que j’aurais eu un destin plus clément ? reprit le bout de paille.
   Tous mes frères, la vieille les a fait passer en feu et en fumée : soixante d'un coup, qu'elle
   avait pris, auquel elle a ôté la vie ! Moi, par bonheur, je lui ai filé entre les doigts.
- Et maintenant, qu’est-ce que nous allons faire ? demanda la braise.
- A mon avis, dit le haricot, puisque nous avons tous les trois si miraculeusement échappé à
   la mort, nous devrions nous unir en bons camarades et partir tous d'ici pour gagner un
   autre pays, afin d'éviter quelque nouveau malheur.

La proposition convint aux deux autres, et tous
ensemble ils se mirent en chemin. Ils arrivèrent
bientôt devant un ruisselet qui n'avait pas le
moindre pont, ni-même une passerelle, et ils ne
savaient pas comment passer de l'autre côté. Le
fétu eut alors une bonne idée et dit :

- Je vais me coucher en travers, et vous pourrez
   ainsi passer sur moi comme sur un pont.

La paille, donc, se suspendit entre une rive et l'autre,
et sur ce pont improvisé, la braise, avec son naturel ardent, s'avança hardiment, mais à tout petits pas pour ne pas renverser le fragile édifice. Arrivée au milieu, toutefois, en entendant le bruit que faisait le courant au-dessous d'elle, la peur la prit et elle s'immobilisa, n'osant pas se risquer plus avant ; aussi le bout de paille commença-t-il à prendre feu, se rompant net par le milieu et tombant dans l'eau, entraînant dans sa perdition la braise, qui chuinta en touchant l’eau et rendit aussitôt l'esprit.

Le haricot, demeuré prudemment sur la rive, partit d'un tel fou rire en voyant cette
histoire, et s’en tordit tellement sans pouvoir s'arrêter, que, pour finir, il éclata. C’en
eût été fini de lui pareillement, si par bonheur un compagnon tailleur qui faisait son
tour d'Allemagne ne s'était arrêté au bord de ce ruisseau pour se reposer. Par ce
qu'il avait bon cœur et l'âme secourable, le tailleur prit du fil et une aiguille et se mit
aussitôt à le recoudre.

Le haricot lui en fit ses remerciements chaleureux et
choisis comme on l'imagine; mais comme il avait
utilisé du fil noir, c'est pour cela que, depuis ce
temps -là, tous les haricots ont une couture noire.

Conte de Grimm

dimanche 14 octobre 2012

Les pattes de vautour

Un père et une mère avaient cinq enfants. Quatre garçons et une fille, la benjamine, qui était la préférée de tous. Un jour, la mère se rendit avec la petite fille dans la montagne pour y chercher une belle chèvre aux poils noirs qui s'était égarée.

- Je suis sûre qu'elle est allée sur le pré au bord du ravin. L'herbe
   y est très tendre, dit la mère à sa fille. Je vais aller la chercher.
   Attends-moi ici, car je ne voudrais pas que tu tombes dans le
   ravin.

La petite fille approuva. De toute façon, elle avait déjà mal aux jambes et n'avait aucune envie de monter la pente abrupte. La mère fit un nœud à son mouchoir et dit :

- Tiens ! Voilà une poupée, joue avec elle et attends-moi !

La petite fille était tellement absorbée par le jeu qu'elle ne vit pas le temps passer. Soudain, un lourd nuage noir voguant dans le ciel comme un immense bateau s'arrêta au-dessus de sa tête. Capusa, un fantôme au grand pouvoir, en descendit. Ce spectre pouvait revêtir n'importe quelle forme : une pierre, un animal, ou même un être humain. La seule chose qui le trahissait alors était les pattes qu'il avait à la place des jambes. Il ne pouvait pas les changer. Elles étaient semblables à celles d'un vautour, avec de la peau pendante et de grandes griffes acérées.

- Depuis longtemps, j'ai envie d'une petite fille exactement comme celle-ci, se dit Capusa en
   voyant la gamine. Elle me tiendra compagnie dans ma maison. 

Et, aussitôt, il prit l'aspect de la mère de la fillette. Celle-ci se réjouit de revoir sa maman, car elle commençait à avoir faim. Elle ne se doutait pas que la personne à qui elle tendait la main n'était pas sa mère, car les pattes de vautour de Capusa étaient dissimulées sous sa longue jupe.

- Viens avec moi, dit-il, je t'emmènerai dans un endroit où tu n'as encore jamais été. Nous y
   vivrons ensemble et nous y serons bien. 

Il fit un signe de la main et la Terre s'ouvrit devant eux. Un grand
couloir les mena jusqu'à la maison de Capusa, où ils disparurent.
Ayant retrouvé sa chèvre, la véritable mère chercha en vain sa
petite fille. Pas une trace ! Elle courut chercher son mari et ses fils
pour qu'ils l'aident à la retrouver. Peine perdue.

Persuadés que la petite fille était tombée dans le ravin, ils la
pleurèrent comme si elle était morte et firent célébrer une messe.
La maison parut soudain bien vide sans les babillages de la petite
fille. Mais le temps passa, les larmes des parents et des frères séchèrent petit à petit et, à la fin de l'année, ils en avaient presque fait le deuil.

Un jour, le père partit dans la montagne avec ses fils pour chasser la perdrix. La chance ne leur avait pas vraiment souri, mais ils purent tout de même accrocher quelques oiseaux à leur ceinture. Fatigués après une longue marche, ils s'assirent dans un pré pour se reposer. Les garçons s'assoupirent mais leur père resta éveillé. Soudain, il vit une pierre bouger, puis basculer. Une route apparut alors et sur celle-ci marchait une petite fille.

- Dieu miséricordieux ! C'est ma fille ! se dit le père.

Il était près de l'appeler, lorsqu'il se ravisa, persuadé qu'il devait y avoir quelque magie
là-dessous. La petite fille agissait comme si elle ne voyait ni son père ni ses frères. Elle
s'assit dans l'herbe et se mit à jouer avec la poupée confectionnée par sa maman et
avec des cailloux. Quelques instants plus tard, une voix venue des profondeurs de la
Terre se fit entendre :

- Rentre à la maison, ma petite fille, le déjeuner est servi ! 

Quand il l'entendit, l'homme fit rapidement un signe de croix, car il avait reconnu la voix de sa femme ! La petite fille prit alors ses jouets et rentra sous terre. La pierre se remit aussitôt en place et tout redevint comme avant. Le père réveilla alors ses fils, leur raconta tout ce qu'il avait vu et leur dit :

- Demain, à midi, nous reviendrons ici et si votre sœur réapparaît, nous l'attraperons et
   l'emporterons à la maison !

Ils décidèrent de ne rien dire à leur retour, pour le moment, afin que la mère de la petite fille ne se désespère pas si, par malheur, ils n'arrivaient pas à l'arracher au pouvoir maléfique. Le lendemain, ils se rendirent à nouveau dans le pré, se cachèrent derrière les pierres et attendirent. Soudain, l'une des pierres bougea, puis bascula, laissant apparaître un chemin. La petite fille s'installa et se mit à jouer avec sa poupée et ses cailloux. Le père et les frères s'approchèrent d'elle sans faire de bruit et l'attrapèrent par les bras et par les jambes. La petite fille se mit à crier et à appeler comme si on l'écorchait vive, car elle n'avait reconnu ni ses frères ni son père :

- Maman, maman ! Viens à mon secours !

Capusa sortit des entrailles de la Terre sous l'aspect de sa vraie mère. La ressemblance était telle que l'homme en resta comme pétrifié.

- Que fais-tu là ? laissa-t-il échapper.

Il faillit lâcher sa petite fille, quand le vent, qui se mit à souffler, souleva la jupe de la femme. Apercevant les pattes de vautour de Capusa, ils comprirent tous alors à qui ils avaient affaire.

- Sainte Vierge, protège-nous ! s'écria le père en faisant un signe de croix.

Ses fils firent de même et le fantôme perdit aussitôt son pouvoir. Il resta près de la pierre incapable de prononcer un mot. Le père prit la petite fille dans ses bras et se mit à courir en dévalant la pente. Mais la petite fille ne cessait pas de pleurer et continuait à répéter :

- Maman, maman ! Viens à mon secours ! 

Ils pensèrent que, dès qu'elle verrait sa vraie mère, la maison, le jardin, la petite fille retrouverait la mémoire. Mais elle était ensorcelée et ne reconnaissait rien de ce qui avait bercé son enfance. En vain, sa mère la serrait dans ses bras, lui chantait des berceuses et coiffait ses cheveux. La petite fille ne faisait que pleurer et appeler sa mère. Elle ne voulait même pas manger et ne buvait que de l'eau. Aussi, elle s'affaiblissait de jour en jour. Son père décida alors d'aller voir une guérisseuse des corps et des âmes.

La route fut très longue et la vieille femme demanda beaucoup d'argent pour louer ses services, mais qu'est-ce que des parents ne feraient pas pour sauver leur enfant d'une malédiction ? Le père accepta et porta lui-même la guérisseuse sur son dos afin d'être plus vite de retour à la maison. Quand elle vit la petite fille couchée sur son lit, presque sans âme, la guérisseuse comprit aussitôt ce qui s'était passé.

- Votre fille a été ensorcelée par Capusa. Dans son corps se trouve une ombre noire qui
   voile tous ses souvenirs. C'est pourquoi elle ne se rappelle pas son passé. Apportez-moi
   deux épis de maïs, je vais essayer de vous aider.

Ils lui apportèrent ce qu'elle avait demandé et la femme commença à frotter le corps de la petite fille avec les épis de maïs tout en récitant des prières. Petit à petit, les grains jaunes des épis devenaient noirs. C'était l'ombre qui sortait du corps de la petite fille. Quand la dernière graine eut noirci, la petite fille ouvrit les yeux et s'écria :

- Maman ! Papa ! J'ai fait un drôle de rêve !

Tous se réjouirent de sa guérison et du fait qu'elle ne se souvenait plus de Capusa. La guérisseuse ordonna ensuite de faire brûler les épis noircis dans la cheminée, pour que le mauvais esprit soit définitivement chassé. Depuis lors, toute la famille vit heureuse. Et, comme ils racontent leur histoire à toutes les personnes qu'ils croisent sur leur chemin, les enfants apprennent ce qu'il faut faire chaque fois qu'un inconnu les interpelle. Ils doivent baisser la tête et regarder attentivement les jambes de la personne, car Capusa, ne pouvant pas les transformer, est ainsi trahi à chaque fois qu'il veut s'emparer d'un enfant.

Les pattes de vautour (Pascal GOUDET - Contes des Amériques)

Pandore


Lorsque Zeus créa le monde, seuls les hommes peuplaient la Terre. Ils étaient protégés
par Prométhée, un Titan farouchement opposé au pouvoir suprême du père des dieux.
Dans la guerre qui opposait Zeus aux Titans, le rusé Prométhée parvint à dérober le feu
aux divinités de l'Olympe et le donna aussitôt aux hommes. C'est ainsi qu'il subit le
terrible châtiment qui l'enchaînait au Caucase.

Mais Zeus ne pouvait en rester là et voulut se venger des êtres humains en leur offrant le
plus bel objet de leur désir, afin de leur inspirer passions et tourments. Il créa la première
femme, aussi fascinante que capricieuse.

Pandore, c'était son nom, fut façonnée à partir de l'argile. Zeus dut demander à Héphaïstos
de l'aider, et ils mirent au jour la créature la plus parfaite au monde. Ainsi, après des jours
et des jours de labeur, les dieux, impatients, se pressèrent pour admirer enfin la ravissante
jeune femme. Zeus avait intimé l'ordre à Athéna de lui insuffler la vie, et Pandore s'anima,
gracieuse et sublime.

Mais elle ne pouvait se présenter ainsi aux hommes, et la déesse dut dissimuler sa nudité
sous un voile vermeil et étincelant, alors qu'Aphrodite la parait de somptueux atours et
donnait à ses traits le privilège de la beauté, auquel nul être ne saurait résister. Tous les
dieux ajoutèrent à la nouvelle égérie un de leurs agréments pour atteindre à la perfection.
Ainsi douée de tous les talents, elle excellait aussi dans l'art du mensonge, telle que l'avait
voulu Hermès.

Zeus n'était que trop fier de son admirable créature dont la tendresse n'avait pas d'égal, et il
décida de la présenter à l'homme. Or, Prométhée avait un frère, Épiméthée, connu pour
être quelque peu déraisonnable. Zeus décida de lui offrir la main de la douce Pandore. À sa
vue, Épiméthée fut aussitôt envoûté par le charme de cette créature. Un sentiment
jusque-là inconnu l'étreignit. L'éclat du regard de la jeune femme suffisait à inspirer la
passion et l'émerveillement. Elle était si somptueuse qu'il en oublia la promesse faite à son
frère : il avait fait le serment à Prométhée de ne jamais accepter de présents provenant de
Zeus. Mais il avait été foudroyé par l'amour et aurait donné sa vie pour passer le restant de
ses jours auprès de la belle Pandore, qu'il gardait alors jalousement près de lui, loin des
regards envieux des autres hommes, s'évertuant à satisfaire le moindre de ses désirs.

Avant d'envoyer Pandore sur Terre, les dieux lui avaient remis une boîte, sans lui dire ce
qu'elle contenait, et ils lui ordonnèrent de ne jamais l'ouvrir. Aux côtés de son époux,
Pandore jouissait de la vie et savourait son bonheur. Elle avait dissimulé la cassette des
dieux, mais ses regards intrigués se portaient souvent sur elle, et comme celle-ci n'avait
pas de serrure, il lui était difficile de réprimer son désir de connaître son contenu.

Elle passait et repassait devant le coffret sans oser y porter la main, attirée par l'envie de lui
ôter son couvercle, mais aussitôt arrêtée par le souvenir de l'interdiction formelle des
dieux. Un jour, n'y tenant plus, elle s'approcha irrésistiblement de la boîte, et piquée par
une trop vive curiosité, Pandore sentit grincer le délicat objet sous sa main.

À peine eut-elle entrouvert la mystérieuse boîte que tous les maux de l'humanité qu'elle
renfermait s'échappèrent. Ainsi, la guerre, la maladie, le vice, la vieillesse, la perfidie, la
misère et tant d'autres fléaux encore se répandirent. Figée par l'effroi, consciente de son
impardonnable faute, Pandore se décida à refermer le funeste coffret, mais en vain, car
tout s'était envolé… Tout, à l'exception de l'espérance qui s'éveillait lentement au fond de
la boîte, fragile et solitaire.

Ainsi l'espérance peut être perçue comme un terrible mal, le plus atroce tourment que
l'homme garde au fond de lui-même. Pour certains, au contraire, elle suggère que l'homme,
lorsqu'il se voit frappé par le malheur, ne doit jamais perdre espoir…

Pandore (Violaine Troffiqué - Mythes et Légendes)

mercredi 10 octobre 2012

Cassandre

Du plus loin que je m'en souvienne, Cassandre est mon
amie. Aujourd'hui, c'est ma meilleure amie. Cassandre,
elle a tout. Elle est jolie, elle a de longs cheveux blonds
et un drôle de prénom. Tout le monde l'envie à l'école,
surtout la grosse Martine...

C'est vrai que moi aussi parfois je l'envie. Elle a de si
belles robes, surtout celle à fleurs jaunes avec le petit
ruban rose. Moi, c'est Marie-Paule. Papa m'a donné
ce prénom quand j'étais bébé. Il y a longtemps déjà.
C'était le prénom de sa maman, qui est morte juste
avant ma naissance.

Mort, c'est quand on ne respire plus, m'a dit papa. J'ai essayé de ne plus respirer
pour voir comment c'était... J'ai été morte au moins vingt secondes. C'est dur
d'être mort tout le temps !

Cassandre, elle a tout. Vous ne me croyez pas ? Eh bien, quand le Père Noël est
passé chez elle, il lui a donné un ours en peluche, des patins à roulettes et une
poupée avec tous ses habits. Une garde-robe complète ! C'est elle qui a reçu le
plus de cadeaux de toute l'école. Josse, il n'a rien reçu. Il est vache parfois le
Père-Noël !

Pour moi, il a apporté... Attendez, je vais le chercher... Voilà,
je vous présente Martin. Il n'a pas l'air terrible comme ça. Il ne
ferme pas les yeux, ne fais pas pipi, ne dis pas papa-maman...
rien ! Martin, il est venu tout seul, nu comme un ver.
Alors, maman et moi, on s'est vite mises à l'ouvrage. Et on lui
a fait :

- Un pull jacquard ( avec ma vieille écharpe), trois pantalons
   (un en prince de Galles pour le dimanche), un petit ciré jaune
   (il est super là-dedans !)

On se comprend bien tous les deux. Je l'ai aimé dès le premier jour. Comme
Cassandre. Cassandre n'aime pas ses patins à roulettes, je voudrais bien les essayer, mais il ne sont pas à ma pointure. Je chausse du 28... C'est pas de chance.

Son ours en peluche est sympa, mais Cassandre le trouve trop gros. Sa poupée
Michèle ne sait dire que papa-maman et faire pipi... Moi, avec Martin, j'ai de
grandes conversations.

Cassandre aussi aime beaucoup Martin. Un jour, on a fait échange : je lui ai prêté
Martin et j'ai reçu Michèle. Pipi-caca, je l'appelle, mais seulement quand je suis
toute seule ! Et bien, il m'a vite manqué Martin. C'est long tout un week-end...

Quand elle me l'a rendu, Cassandre a voulu l'échanger
contre son ours et ses patins à roulettes. Mais moi, je
préférais garder mon petit bonhomme. Le lendemain,
après l'école, elle est venue à la maison avec son ours,
ses patins et sa poupée Michèle. Je lui ai dit que je
préférais garder Martin, mais que je le lui prêterais
encore puisqu'elle l'aimait aussi.

Seulement Cassandre est têtue. Elle m'a proposé sa
belle robe à fleurs jaune.

- Je dois réfléchir, je lui ai dit.

Cette nuit-là, je n'ai pas bien dormi. L'ours, les patins, pipi-caca et toute sa
garde-robe, plus la belle robe à fleurs jaunes avec le petit ruban rose...Tout ça
contre Martin ! Vous vous rendez compte ! Ce n'est plus un échange, ça !

- Tu as de la chance que je t'aime, Martin ! je lui ai dit.

Le lendemain matin, à l'école, j'ai rassemblé toutes mes forces et je n'ai pensé
qu'à lui. Puis j'ai arrêté de respirer et j'ai dit à cassandre :

- Non, je le garde !

J'ai eu du mal, vous savez... Mais maintenant, j'ai
beaucoup réfléchi. Je crois que Cassandre doit
aimer Martin très fort pour me donner tout ça.
Lundi, quand je retournerai à l'école, je lui dirai :

- J'ai un cadeau pour toi, Cassandre.

Et je lui donnerai Martin et tous ses habits. Pour rien. Cassandre, c'est ma meilleure amie.

 Cassandre (Rascal / Pastel)

Après le travail

Après le travail, Ciboule, la poule, prépare une délicieuse tarte aux pommes pour ses
petits poussins. Ciboule est hôtesse de l'air.

Après le travail, William, l'hippopotame, prend un bon bain et ne pense plus à rien.
William est professeur de danse classique au Conservatoire.

Après le travail, Arnaud, le taureau, se fait beau : il a rendez-vous avec Pistache.
Arnaud est journaliste au magazine Coincoin.

Après le travail, Félicien, le chien, joue au boomerang.
Félicien est archéologue.

Après le travail, Gontran, l'orang-outan, passe tout son temps devant le petit écran.
Gontran est boulanger-pâtissier, spécialisé dans les petits gâteaux à la noix de coco.

Après le travail, Augustin, le pingouin, aime s'asseoir face à la mer et ne rien faire.
Augustin est marchand de glaces.

Après le travail, Gérard, le guépard, file au parc pour rester en forme.
Gérard est livreur de pizzas.

Après le travail, Petit-Jean, l'éléphant, écrit ses mémoires.
Petit-Jean est pompier.

Après le travail, Jacquou, le loup, emmène sa famille dans les bois.
Jacquou est instituteur.

Après le travail, Melody, la souris, joue de son instrument favori.
Melody travaille dans une entreprise de déménagement.

Après le travail, Bernard, le renard, parle de tout et de rien avec ses concitoyens.
Bernard est dans la politique.

Après le travail, Bill, le gorille, fait de la peinture à l'huile, qui est bien plus difficile
que la peinture à l'eau. Bill est agent de police.

Après le travail, Valentin, le lapin, fait des galipettes avec ses enfants.
Valentin est vétérinaire.

Après le travail, Epitaphe, la girafe, plonge avec délice dans la lecture.
Epitaphe est astronaute.

Après le travail, Pascal, le cheval, travaille plus pour gagner plus.
Pascal est informaticien.

Après le travail, Janos, le rhinocéros, prend soin de son petit jardin.
Janos est gardien de prison.

Après le travail, Pistache, la vache, se fait belle : elle a rendez-vous avec Arnaud.
Pistache est conductrice de trains.

Après le travail, Sacha, le chat, partage son repas avec les petits oiseaux. Sacha est
demandeur d'emploi, depuis que son patron s'est débarrassé de lui pour raison économique.

Après le travail, Jean-François, le panda, fait une petite sieste.
Jean-François est professeur de karaté.

Après le travail, Simon, le lion, s'émerveille devant le coucher du soleil.
Demain est un autre jour.

Après le travail (Mario Ramos / Pastel)

lundi 8 octobre 2012

Le torchecul

Gargantua, depuis les trois jusqu'à cinq ans, fut nourri
et éduqué en toute discipline par le commandement
de son père. Il passa ce temps-là comme les petits
enfants du pays : c'est à savoir à boire, manger et
dormir; à manger, dormir et boire; à dormir, boire et
manger.

Le reste du temps, il se vautrait dans la boue, se
barbouillait le nez, se salissait la figure, éculait ses souliers, baillait souvent aux mouches,
aimait à courir après les papillons. Il pissait sur ses souliers, il chiait en sa chemise, il se
mouchait à ses manches, il morvait dedans sa soupe, et patrouillait par tout lieu, et
buvait en sa pantoufle, et se frottait ordinairement le ventre d'un panier.

Il aiguisait ses dents sur un sabot, sa lavait les mains dans le potage, se peignait d'un
gobelet, s'asseyait entre deux chaises, le cul à terre. Il se grattait où ne le démangeait
point, se chatouillait pour se faire rire.

Les petits chiens de son père mangeaient en son
écuelle; lui, de même, mangeait avec eux. Il leur
mordait les oreilles, ils lui égratignaient le nez; il
leur soufflait au cul, ils lui léchaient les badigoinces.

Sur la fin de la cinquième année, Grandgousier,
retournant de la guerre, visita son fils Gargantua.
Là, il fut réjoui, comme un tel père pouvait l'être
devant un tel enfant. En l'embrassant et l'étreignant, il l'interrogeait de petits propos puérils en diverses sortes.

Et il but sans compter avec lui et ses gouvernantes, auxquelles, par grand soin, il
demanda si elles l'avaient tenu propre et net. A ce Gargantua fit réponse qu'il s'y était
pris de telle façon qu'en tout le pays n'était garçon plus propre que lui.

- Comment cela ? dit Grandgousier.
- J'ai (répondit Gargantua), par longue et curieuse 
   expérience, inventé un moyen de me torcher le 
   cul : le plus seigneurial, le plus excellent, le plus 
   efficace que jamais on ait vu.
- Lequel ? dit Grandgousier.
- Comme je vais vous le dire présentement (dit 
   Gargantua). Je me torchai une fois d'un cache-nez 
   de velours d'une demoiselle, et le trouvai bon, car sa 
douceur soyeuse me causa au fondement une volupté bien grande. Une autre fois des cache-oreilles d'un bonnet de satin cramoisi, mais la dorure d'un tas de saletés de perles qui y étaient m'écorchèrent tout le derrière. Ce mal passa me torchant d'un bonnet de page, bien emplumé à la Suisse. Puis fientant derrière un buisson, j'y trouvai un chat belliqueux et m'en torchai, mais ses griffes me déchirèrent tout le périnée. Ce dont je guéris au lendemain, me torchant des gants parfumés de ma mère. Puis me torchai aux draps, à la couverture, aux rideaux, d'un coussin, d'un tapis de jeu, d'une serviette, d'un mouche-nez, d'un peignoir. En tout, j'y trouvai grand plaisir.
- Certes (dit Grandgousier), mais lequel torchecul trouvas-tu meilleur ?
- J'y étais (dit Gargantua), et bientôt vous saurez le fin mot de l'histoire. Je me torchai
   ensuite d'un couvre-chef, d'un oreiller, d'une pantoufle, d'une gibecière, d'un panier.
   Mais oh ! le mal plaisant torchecul ! Puis d'un chapeau. Et notez que, des chapeaux,
   les uns sont ras, d'autres à poil, les autres de velours, les autres de taffetas, les autres
   de satin. Le meilleur de tous est celui de poil car il absorbe bien la matière.
- Oh ! dit Grandgousier, que tu as bon sens, petit garçonnet ! Un de ces jours, je te
   ferai passer docteur en gai savoir, pardieu ! car tu as de raison plus que d'âge. Or,
   poursuis ce propos torcheculatif, je t'en prie.
- Je me torchai ensuite d'une poule, d'un coq, d'un poulet, de la peau d'un veau, d'un
   lièvre, d'un pigeon, d'un cormoran, d'une sacoche d'avocat, d'un passe-montagne,
   d'une coiffe. Mais pour conclure, je dis et maintiens qu'il n'y a de meilleur torchecul
   qu'un oison bien duveteux. Et m'en croyez sur mon honneur ! Car vous sentez au
   trou du cul une volupté mirifique, tant par la douceur de ce duvet, que par la chaleur
   tempérée de l'oison, laquelle facilement est communiquée au boyau culier et autres
   intestins, jusqu'à venir à la région du coeur et du cerveau.

Ces propos entendus, le bonhomme Grandgousier fut béat 
d'admiration, considérant le haut sens et le merveilleux 
entendement de son fils Gargantua. Il déclara à ses
gouvernantes :

- Je vous dis qu'en ce seul propos que j'ai tenu présentement 
   devant vous à mon fils Gargantua, je comprends que son 
   entendement participe de quelque divinité; tant je le vois 
   aigu, subtil, profond et serein. Et il parviendra à un degré 
   souverain de sagesse, s'il est bien éduqué.

Le torchecul (Rabelais-Pef / Editions Mouck)

Attention extraterrestre

Perdue quelque part au fond de l'univers il y a l'étoile
que voici. Si loin et si perdue qu'elle n'a pas de nom.
Autour de cette étoile sans nom tournent des planètes,
sans nom elles aussi. Parmi les planètes sans nom qui
tournent autour de l'étoile sans nom, il y a la petite
planète que voilà et que personne ne remarque jamais.

C'est une boule de fer avec des volcans d'où sortent
des cailloux et des gaz qui puent. Presque pas d'eau et
rien qui pousse. Enfin, il y a tout de même un arbre
qui pousse. Mais c'est un arbre bizarre. A la bonne saison, des fruits bizarres apparaissent sur l'arbre bizarre.

En grandissant, les fruits deviennent de vilains petits bonshommes. Ces vilains petits
bonshommes sont les fameux extraterrestres avec lesquels on nous casse les pieds
depuis des années. quand ils sont tout à fait poussés, ils tombent de l'arbre. Puis ils
s'en vont à la queue leu leu, en grattant le sol avec leurs pieds, jusqu'à la ville des
extraterrestres.

Leur ville est moche comme tout. Les maisons sont en forme
de boîtes de conserve et des cailloux traînent au milieu des
rues. Les extraterrestres ont trois activités principales.
1 . Le shopping : ils achètent des cailloux. 2 . le jogging : ils
courent dans tous les sens en portant des cailloux. 3 . Le
meeting : ils circulent en l'air sur de ridicules petites motos
de l'espace en déplaçant des cailloux.

Le meeting c'est ce qui se passe quand on ne regarde pas
devant soi. Les extraterrestres sont très intelligents. C'est
prouvé, il y a des exemples.

Exemple 1 : Ils n'ont pas besoin d'ouvrir la bouche pour parler. Ils échangent leurs points
de vue par transmission de pensée.
Exemple 2 : Avec leurs yeux, ils peuvent faire des projections de diapositives en 3D
pendant des heures.
Exemple 3 : Ils parviennent à résoudre des problèmes métaphysiques très compliqués
sans le moindre effort.

Pour comprendre comment ils font pour être intelligents, il suffit d'ouvrir le panneau
devant leur tête. On constate que le cerveau occupe tout l'espace à l'intérieur. On
découvre aussi que leur sang c'est du citron pressé. Malgré leur meeting, leur
jogging, leur shopping et leur grande intelligence, les extraterrestres ont un
problème : ILS S'ENNUIENT !
C'est pour ça qu'un soir, ils organisent une réunion dans la
salle polyvalente. Ils imaginent alors un plan horrible : Ils
décident de partir dans leurs engins de l'espace...
pour venir jusque sur la Terre ET NOUS ENVAHIR !!!.

Comme nous ne sommes pas aussi intelligents qu'eux, on
n'a évidement pas remarqué qu'ils sont sur le point de
débarquer. Ils atterrissent en Hollande, dans un grand
champ de betteraves. En regardant par sa fenêtre, Jan le
fermier a aperçu d'inquiétantes lueurs à l'horizon. Il vient inspecter son champ accompagné de son chien Rex. Tiens ? un extraterrestre !

Les extraterrestres transportent Jan et Rex, raides comme des statues, dans leur engin de
l'espace pour leur faire subir des expériences désagréables : les couper en petits morceaux
pour voir comment les habitants de la terre sont faits à l'intérieur, par exemple.

Ouf, non ! Ils ne font pas d'expériences. Ils lisent dans
les pensées. Ils arrivent à lire dans les pensées du
fermier. Mais pas dans celles du petit chien. Ils font
tout de même une expérience avec le fermier : ils lui
mettent un sachet rempli de mystérieuses petites
boules noires dans la poche de sa salopette.

Ensuite, grâce à leur système de télétransportation
mentale, ils déposent doucement le fermier et son
chien au beau milieu du champ de betteraves. Puis ils
repartent dans l'espace et on ne les revoit plus jamais. Je n'ai rien compris ! C'était quoi leur plan diabolique pour envahir la terre, alors ?

Si, ça y est, j'ai compris ! Ce qu'ils ont mis dans la poche du fermier, ce sont des graines.
Surtout ne plantez pas ces graines, monsieur Jan ! Ce sont des graines de ... Trop tard,
il les plante. C'est son métier de planter. Et il ne sait pas que ce sont des graines d'arbre
à extraterrestres.

L'arbre pousse vite. En trois jours il a déjà poussé de moitié
et des fruits bizarres apparaissent sur ses branches. Au
secours ! On va être envahis par ces horribles petits
extraterrestres... C'est affreux ! Ils vont nous construire
leurs hideuses maisons boîtes de conserve partout et nous
obliger à faire du shopping, du jogging et des meetings.

Oui mais le fermier dit toujours que si on veut que les fruits
aient un bon goût de citron pressé... il faut les cueillir avant
qu'ils ne tombent de l'arbre ! C'est bien meilleur comme ça.  

Attention extraterrestre ( Benoît Jacques / BJ Books)