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dimanche 15 mai 2016

JOJO LA MAGIE


Jojo voulait devenir magicien. Il était
équipé pour ça. Ses jeux de cartes
étaient pleins d'as… ses boîtes
d'allumettes avaient toutes un double
fond… Son mouchoir changeait de
couleur, selon qu'il le sortait de sa
poche droite ou gauche.

Sans arrêt, il demandait à son
entourage de lui prêter quelque
accessoire.

- Tu n'as plus besoin de ton journal ?
  ou une attention soutenue. Prends
  une carte, n'importe laquelle !

À la maison, son talent n'était pas
reconnu et ses expériences pas
toujours applaudies. Il aurait surtout aimé réussir le coup de la disparition. Mais son public était décidément mauvais joueur.

- On voit tes yeux ! Tu serais pas sous    ton lit ?

Lassé de travailler pour ces ingrats, il alla dans le jardin public essayer ses
tours. Les cartes qui reviennent tout le temps… la pièce de 5 euros qui
disparaît… la guillotine à cigarettes… eurent un grand succès.

De redoutables bandits passaient par là. Espérant une partie de cartes
interdite (ou une occasion de fouiller les poches des badauds) ils admirèrent
Jojo.

- Ce gamin est diabolique. Il nous le faut ! Il nous apprendra à tricher aux
  cartes… il piquera les portefeuilles à notre place… et les clefs de toutes
  les banques…

Ils enlevèrent Jojo qui ne s'inquiéta pas : sans doute des admirateurs qui en
redemandent…

Mais quand, dans la cave où ils s'enfermèrent, ils lui demandèrent :

- Maintenant tu vas nous dire
  tes trucs ! Jojo refusa. Un
  magicien ne dévoile
  jamais ses tours !

Ils lui confisquèrent son
matériel et essayèrent d'en
percer les secrets. En vain.
Les bandits devinrent alors
très méchants…

- Ce gamin ne nous sera
  d'aucune utilité. Ouais. Il
  faut le faire disparaître.
  Le coup de la disparition !
  Dans la flotte… Dans les
  bois… ou un précipice ?

Jojo n'avait plus envie, mais alors plus envie du tout, de DISPARAÎTRE !

- Bon, d'accord. Je vais vous
  apprendre à faire les nœuds.
  Ne bougez plus, fermez les yeux… et quand vous saurez défaire ceux-là… vous serez
  de vrais magiciens !

À la maison, on le fêta. Désormais, on fait très attention à ses tours. Ses parents
lui ont même offert un lapin, un vrai. Un lapin qui fait apparaître des crottes
sans qu'on prononce aucune formule magique !


Jojo la magie (Bruno Heitz - circonflexe)

samedi 14 mai 2016

La perle de vent


Il était une fois, dans la lointaine Chine, il y a des milliers et des milliers de
lunes de cela, un roi qui avait un fils unique. Celui-ci avait toutes les qualités
possibles, et un seul défaut.

Beau, intelligent, bien fait de sa personne, cultivé autant que l'on pouvait
l'être, il était cependant aussi lent à courir qu'à prendre des décisions.

Pour accomplir la moindre chose, il mettait cent fois plus de temps que
n'importe lequel de ses semblables. Aussi, était-il tout le temps le dernier
partout, et lorsque le soleil se couchait, n'avait-il pas accompli le quart des
choses qu'il avait souhaité faire au matin.

Comme, en plus, cela le faisait bien souvent pleurer, il se trouvait encore
ralenti par son chagrin. Etre le dernier à la course, le dernier aux joutes ou
le dernier aux tournois du palais n'était pas pour lui le plus grave. Le plus
vilain tour que pouvait lui jouer sa lenteur se déroulait chaque automne
lors de la fête des récoltes.

A cette occasion, le grand chambellan donnait un bal auquel paraissait sa
fille, la sublime Lin-Fang. Nulle femme n'était plus belle en ce monde. Elle
possédait une taille de roseau, un teint de lune, d'immenses yeux noirs, et
une chevelure de soie lui caressait les épaules.

Bien sûr, le prince en était éperdument amoureux. Et, bien sûr, sa lenteur
l'empêchait chaque année d'être le premier à l'inviter à danser. Lorsque
après moult détours, il arrivait enfin dans la grande salle éclairée de mille
lampions, c'était toujours pour la voir au bras d'un autre.

Le prince en concevait un tel chagrin qu'il le gardait au cœur toute une année
jusqu'au bal suivant... où la même scène se reproduisait.

Un beau jour, sa souffrance devint si intolérable qu'il résolut de demander
de l'aide au dieu de la montagne. Lui, d'habitude si hésitant, ne tergiversa
pas cette fois et s'en alla aussitôt seller son meilleur cheval aux écuries.

Il savait que le voyage qui l'attendait serait périlleux et qu'il n'en reviendrait
peut-être pas. Mais la mort lui semblait lors préférable à cette vie qu'il traînait
comme une chaîne pesante.

Pour rejoindre celui qu'il voulait implorer, le prince devait escalader
quatre-vingt-dix-neuf montagnes. Au sommet de la dernière, il aperçut
une femme si vieille qu'elle aurait pu être née en même temps que le monde.

Elle demanda au prince les raisons de sa venue. Et celui-ci lui expliqua
son tourment et le mal d'amour qui lui rongeait le cœur depuis tant d'années.
Après avoir réfléchi un long moment, la vieille lui dit :

- Jeune homme, pour une telle requête, tu dois t'adresser directement au dieu
  de la montagne. Tu le trouveras sous la cascade que tu vois là-bas. Prononce
  trois fois son nom, et il t'apparaîtra.

Puis elle se remit à filer sa laine, comme si elle ne le voyait déjà plus. Le prince
alla à la cascade et fit ce qu'on lui avait dit de faire. Dans un immense nuage de
fumée, le dieu lui apparut soudain. il était si grand que son crâne touchait la
voûte du ciel.

Le prince, qui n'avait jamais vu pareil prodige, tremblait comme une feuille
de mûrier dans le vent. Il parvint malgré tout à balbutier quelques mots :

- O grand dieu de la montagne ! Je suis venu implorer ton aide, car je suis
  affligé, depuis ma naissance, d'un terrible défaut. Ma lenteur est telle que,
  chaque année, au grand bal des récoltes, j'arrive trop tard pour serrer dans
  mes bras celle que mon cœur a choisie entre toutes.

Le dieu de la montagne, que l'on dérangeait souvent pour des questions
d'argent, de pouvoir ou de maladies, fut touché par un chagrin aussi
singulier. Aussi décida-t-il d'aider le jeune prince. Plongeant sa main droite
dans les plis de son vêtement, il en sortit quelque chose que le jeune homme
ne put tout d'abord distinguer.

Lorsque le dieu l'eut déposer dans sa main, le jeune homme vit qu'il s'agissait
d'une perle à peine plus grosse qu'un grain de riz.

- Ce que tu tiens là est une perle de vent. Lorsque tu voudras aller vite, tu
  la placeras dans ta bouche, et alors tu deviendras aussi rapide que le vent
  le plus puissant. Mais attention, tu ne pourras t'en servir qu'une seule fois !

Ces derniers mots à peine prononcés, le dieu de la montagne, tel un songe au
réveil, s'évanouit. Fou de joie, le jeune prince s'en retourna à son palais. Il
arriva le matin de la grande fête des récoltes. Tout le jour, il serra la perle de
vent dans son poing fermé.

Lorsque le soir arriva enfin, il s'approcha de la grande salle. A travers les
ouvertures, il distinguait Lin-Fang qui se tenait aux côtés de son père. Le
moment était venu. Il plaça la perle de vent dans sa bouche et le prodige
se produisit. Ce fut comme si un souffle puissant le soulevait soudain de
terre.

Hélas ! mille fois hélas ! la poussée fut telle qu'il ne parvint pas à s'arrêter
dans la salle de bal. Il la traversa de part en part et se retrouva bientôt en
pleine campagne si loin du lieu de la fête qu'il n'en entendait même plus
la musique.

Il lui fallut plusieurs heures pour revenir, et, bien sûr, lorsqu'il y parvint,
il trouva l'élue de son cœur qui dansait avec un autre. Peu de temps après,
le père de Lin-Fang annonça à la cour les fiançailles de ce jeune homme
avec sa fille.

Le prince en conçut un chagrin si grand qu'il resta plusieurs mois sans
sortir de sa chambre. Un jour, il partit rendre visite à un moine de grand
renom auquel il raconta sa triste histoire. Celui-ci lui expliqua qu'il ne
servait à rien de s'imaginer être quelqu'un d'autre le temps d'un trop
fugace instant.

Il lui dit aussi que tout ce qui faisait l'intérêt de l'existence se trouvait
dans la mesure qu'il fallait chercher à mettre en toute chose. Des années
durant, le jeune prince réfléchit aux paroles du moine.

Lorsqu'il accéda au trône de son père, il pensa les avoir enfin comprises.
Ce fut peut-être pourquoi, après un long règne, il laissa le souvenir d'un
souverain juste et plein de sagesse.

Mille ans de contes pour rire (Milan Jeunesse)

mercredi 11 mai 2016

Histoires courtes

Besoin d'aide

Un jour, un paysan qui vivait au bord d'un fleuve fut pris dans une
inondation. L'eau monta d'abord petit à petit, puis, comme une digue
vint à lâcher, il se retrouva totalement submergé. Son seul refuge fut
le toit de sa maison. Là, il s'adressa à dieu :

- J'ai toujours honnêtement travaillé ! Je n'ai jamais fait de mal à
  quiconque ! Tu dois m'aider !

A ce moment-là, un voisin dans sa barque s'approcha et lui propose
de monter à bord. L'homme refusa son aide.

- Dieu va me secourir... Va sauver quelqu'un d'autre ! lui cria-t-il.

Une heure plus tard, ce fut le maire du village d'à côté qui vint et lui
proposa également de le faire monter dans son embarcation. L'homme
lui fit la même réponse. Puis ce fut un oncle qui vint à lui, s'étant dit
que son neveu avait peut-être besoin d'aide. Lui aussi se vit répondre
la même chose. Il reprit donc ses rames et s'éloigna.

A la tombée du soir, l'homme avait déjà de l'eau au mollet et il
comprit que sa fin était proche. Une dernière foi, il s'adressa à Dieu :

- Tu es injuste ! Pour une fois que je te demandais quelque chose, tu
  m'as abandonné !

Alors, Dieu, sortant de sa réserve habituelle, lui répondit :

- Là, je crois bien que c'est toi qui es injuste ! Je t'ai envoyé trois
  barques et tu n'as voulu monter dans aucune d'elles !


Le hareng et l'intelligence

Un marchand racontait à qui voulait l'entendre qu'il avait un secret
pour rendre les gens intelligents. Une femme qui manquait cruellement
d'intelligence depuis qu'elle était née entendit parler de lui et vint le voir.

- C'est tout simple, lui dit-il. Il faut manger des têtes de hareng.
- C'est tout ? demanda la femme.
- C'est aussi simple que cela, répondit-il.

Elle lui en acheta six et rentra chez elle. Une semaine plus tard, elle
revint le voir.

- Votre méthode n'a eu aucun résultat, se plaignit-elle. Je me sens
  toujours aussi stupide...
- C'est que vous n'en avez pas mangé assez ! lui répondit le marchand
  imperturbable.

Elle se laissa convaincre et en acheta une douzaine, puis s'en retourna
chez elle. Mais cette fois, elle n'attendit pas une semaine pour revenir
le voir. Dès le lendemain matin, elle faisait irruption dans la boutique.

- Tu n'es qu'un voleur ! s'écria-t-elle. Tu vends les têtes de hareng un
  rouble pièce, alors qu'un hareng entier ne vaut qu'un demi-rouble !
- Eh bien, tu vois que ma méthode marche ! Tu commences à devenir
  intelligente !

Mille ans de contes pour rire (Milan Jeunesse)