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jeudi 26 avril 2012

Les trois énigmes

Un très vieux gouverneur dirigeait avec
sagesse une province de la vaste
Mongolie. La vie s'y déroulait
tranquillement. Mais là comme ailleurs,
la jalousie faisait parfois naître des
problèmes quand il n'y en avait pas.
Des intriguants qui lorgnaient son poste répondirent une rumeur affirmant que ce gouverneur était un incapable. L'écho en parvint jusqu'à la capitale, Karakorom.

Le grand Khan fit aussitôt convoquer par son intendant général le
gouverneur ainsi décrié. Après de sévères remontrances, le ministre
lui posa trois questions pour le mettre à l'épreuve :

- Combien me faudrait-il de temps pour faire le tour de la terre ?
   Si tu devais m'acheter, à quelle somme estimerais-tu mon prix ?
   Dis-moi ce que je ressens en ce moment, qui n'est pas la vérité ?

Le vieil homme resta coi, incapable de trouver le
moindre début de réponse. L'intendant général
lui ordonna alors avec sévérité :

- Retourne à ton poste, réfléchis et reviens dans
   sept jours avec les réponses, sinon tu seras
   destitué par le grand Khan en personne.

De retour dans sa province, le gouverneur
s'enferma dans sa yourte sans manger ni dormir.
Des proches qui s'inquiétaient pour sa santé voulurent l'aider, mais aucun n'en fut capable.

Les sept jours passés, le gouverneur cira avec de la graisse de mouton
ses bottes rouges, prit dans son coffre une tunique d'apparat, son chapeau
de fourrure, ajusta sa ceinture et endossa son manteau brodé. Puis il
s'apprêta à monter à  cheval. A ce moment, sa plus jeune fille retint le
cheval par la bride et supplia une dernière fois son père de lui confier ses
tourments. Le gouverneur se délivra alors du poids de ses soucis.

- Et maintenant, laisse-moi partir, ma fille. Je dois rejoindre la capitale où
   m'attend mon riste destin, et la route est longue !
- Si ce sont là tes seuls soucis, sois rassuré, père ! Je sais ce qu'il faut
   répondre.

La fille instruisit son vieux père des réponses pertinentes. Rasséréné,
celui-ci enfourcha sa monture et pris la route d'un trot allègre. A Karakorom,
le grand Khan en personne et l'intendant général l'attendaient dans leur grande
yourte blanche. L'intendant, certain d'avoir à entendre des inepties, fut bien
surpris des réponses données par le gouverneur :

- Votre éminence, pour faire le tour de la terre, il vous
   faudra vingt-quatre heures si vous marchez aussi
   rapidement que le soleil. Pour le prix auquel je vous
   estime, il est de cinquante möngös*.

L'intendant général s'indigna :

- Cinquante möngos seulement ! Ce n'est pas cher pour
   le deuxième personnage de l'empire !
- Sauf votre respect, votre éminence, c'est la moitié
   de ce que vaut le grand Khan, dont le portrait
   figure sur nos pièces d'un tugrik*, il est juste que
   votre prix soit moindre.

Le grand Khan sourit de cette impertinence, laissant cependant l'intendant général
reprendre :

- Voilà un raisonnement fort perspicace ! On a voulu te faire passer pour un sot,
   je vois qu'au contraire tu es un homme de grande réflexion ! Réponds donc,
   pour voir, à ma troisième question !

Le vieil homme s'inclina respectueusement.

- Ce que vous pensez en ce moment, votre éminence, est que j'ai trouvé moi-même
   ces réponses. Ce n'est pas la vérité. Ces réponses m'ont été soufflées par ma
   plus jeune fille.

Le grand Khan ordonna qu'on aille chercher
la fille de son gouverneur sur-le-champ.
Quand il put juger qu'elle était non seulement
vive d'esprit, mais aussi très belle, il la
demanda en mariage.

Le vieux gouverneur conserva son poste. Il continua d'administrer sa province avec compétence. Sa fille quant à elle, devenue l'épouse du grand Khan, gouverna à ses côtés. Elle lui apporta ses conseils éclairés et sa grande sagesse. Elle fut aimée et respectée par son peuple.


* L'unité de monnaie mongole est le tugrik. Un tugrik est divisé en cent möngös.

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