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samedi 26 novembre 2016

Le chapeau de l'épouvantail

- Voilà un bien beau chapeau, dit la poule à l'épouvantail.
- Oui, c'est vrai, répondit l'épouvantail, mais je préférerais avoir
  une canne. Je suis debout ici depuis des années et
  mes bras sont tellement fatigués... Je rêve d'une
  canne sur laquelle m'appuyer. Je serais prêt à
  échanger mon chapeau contre une canne.

La poule n'avait pas de canne, mais connaissait
quelqu'un qui en avait une.

- Voilà, une bien jolie canne, dit la poule au
  blaireau.
- Oui, c'est vrai, répondit le blaireau, mais je
  préférerais avoir un ruban. Il se met à faire chaud et ça sent
  le renfermé sous terre, alors je tiens ma porte ouverte en la
  calant avec ma canne, mais je trébuche tout le temps dessus.
  Si j'avais un ruban, je pourrais attacher la porte. Je serais prêt
  à échanger ma canne contre un ruban.

La poule n'avait pas de ruban, mais connaissait quelqu'un qui en
avait un.

- Voilà un bien joli ruban, dit la poule au choucas.
- Oui, c'est vrai, dit le choucas, mais je préférerais avoir un peu
  de laine. Mon nid est perché sur ce rocher, et la vie y est très
  pénible. Je rêve d'un peu de laine chaude et douce pour le rendre
  plus confortable. Je serais prêt à échanger ce ruban contre de la
  laine.

La poule n'avait pas de laine, mais connaissait quelqu'un qui en
avait.

- Voilà un bien beau manteau de laine, dit la poule au mouton.
- Oui, c'est vrai, répondit le mouton, mais je préférerais avoir une
  paire de lunettes. Je dois surveiller le loup, et mes yeux ne sont
  plus aussi bons qu'autrefois. J'ai vraiment besoin d'une paire de
  lunettes. Je serais prêt à échanger un peu de ma laine contre une
  paire de lunettes.

La poule n'avait pas de paire de lunettes, mais connaissait quelqu'un
qui en avait une.

- Voilà une bien belle paire de lunettes, dit la poule à la chouette.
- Oui, c'est vrai, répondit la chouette. Mes vieilles lunettes sont
  cassées, et j'ai dû en prendre une nouvelle paire. Mais je préférerais
  avoir une couverture sous laquelle dormir car le soleil entre par ma
  fenêtre et me tient éveillée toute la journée. Je serais prête à
  échanger mes lunettes contre une couverture.

La poule n'avait pas de couverture, mais connaissait quelqu'un qui
en avait une.

- Voilà une bien belle couverture, dit la poule à l'âne.
- Oui, c'est vrai, répondit l'âne. Mais je préférerais avoir quelques
  plumes. Les mouches me rendent fou, à bourdonner autour de mes
  oreilles. Ma queue n'est pas tout à fait assez longue pour les chasser;
  si je la prolongeais de quelques plumes, je pourrais les balayer
  facilement. Je serais prêt à échanger ma couverture contre quelques
  plumes.

En un clin d'œil, la poule arracha une, deux, trois de ses longues plumes
et les attacha à la queue de l'âne. L'âne était enchanté et, comme convenu,
échangea sa couverture contre les plumes.

La poule porta la couverture à la chouette qui l'échangea contre ses
lunettes (les vieilles, bien sûr). Elle porta les lunettes au mouton qui
les échangea contre sa laine.

Elle porta la laine au choucas qui l'échangea contre son ruban. Elle
porta le ruban au blaireau qui l'échangea contre sa canne.

Enfin, elle porta la canne à l'épouvantail. Avec un soupir de soulagement,
il appuya ses bras fatigués sur la canne et, reconnaissant, l'échangea contre
son vieux chapeau cabossé. La poule prit le chapeau et le remplit d'une
paille fraîche à l'odeur sucrée.

- Voilà un bien beau nid, dit le canard.
- Oui, c'est vrai, répondit la poule, et je ne l'échangerais pour rien au monde !


Le chapeau de l'épouvantail (Ken Brown - Folio Cadet - Gallimard Jeunesse)

mercredi 23 novembre 2016

La sorcière aux trois crapauds


Il était une fois une sorcière appelée Baba Yaga.

- Vous êtes vraiment laide à faire peur ! lui disaient souvent ses
   fidèles crapauds.
- Je l'espère bien, répondait alors Baba Yaga. Je suis là pour ça !

Un jour, en regardant dans sa boule de cristal, Baba Yaga vit
apparaître trois petites filles : Toute-Douce, Toute-Vilaine et
Toute-Méchante.

- Je sais déjà laquelle des trois viendra bientôt me rendre visite,
   dit la sorcière.

Au même moment, Toute-Vilaine et Toute-Méchante décidèrent
de chasser Toute-Douce hors de la maison.

- Nous ne voulons pas de toi ici. Va-t'en ! Tu es trop gentille pour
   jouer avec nous.
- Je sais bien que vous ne m'aimez pas, répondit Toute-Douce. Mais
   je ne peux pas rester toute seule. Que vais-je devenir ?
- Tu n'as qu'à aller dans la forêt, lui lança Toute-Vilaine.
- C'est ça ! ajouta Toute-Méchante. Va donc voir Baba Yaga et
   rapporte-nous l'un de ses crapauds parés d'or et de bijoux. Si
   tu y arrives, nous te laisserons peut-être revenir à la maison.

Cette nuit-là, Toute-Douce alla chercher la poupée que sa mère lui
avait donnée juste avant de mourir.

- Que vais-je faire ? lui demanda-t-elle. Je n'ai pas envie de rester ici...
   mais je n'ai pas envie de partir non plus.
- Personne ne peut rester et partir en même temps, répondit la poupée.
   Aussi, mets-moi dans ta poche et écoute bien les conseils que je te
   donnerai. Et maintenant, en route !

Toute-Douce partit donc avec sa petite poupée en poche. Du plus
profond de la forêt, Baba Yaga la sentit arriver.

Elle fronça son long nez crochu, si bien que de profil elle ressemblait
à un terrifiant croissant de lune. Après avoir rassemblé son balai, son
chaudron et ses trois crapauds, elle ordonna à sa cabane de déplier ses
longues pattes de poulet, et toute la maisonnée partit à la rencontre de
la fillette.

Quand Toute-Douce vit la maison s'approcher d'elle en courant et Baba
Yaga sortir la tête hors de la cheminée, elle sentit ses jambes trembler.

- Je n'y arriverai jamais, dit-elle, effarée.
- Mais si, tu y arriveras, chuchota la poupée du fond de sa poche. Il
   suffit d'aller frapper à la porte et tout ira bien.

Toute-Douce alla donc frapper à la porte de la maison.

- Que veux-tu ? cria la sorcière.

La fillette resta muette de terreur.

- Bah ! Cela n'a aucune importance, poursuivit Baba Yaga. De toute façon,
   on n'a rien pour rien. Si tu veux quelque chose, il te faudra travailler pour
   l'avoir.

Sur ce, la sorcière désigna une montagne de vaisselle sale et une énorme
pile de linge à laver.

- Que tout soit fait demain matin, ou bien Chaudron te fera cuire à gros
   bouillons ! menaça la sorcière.

Aussitôt, Toute-Douce se mit au travail. Elle lava, frotta et repassa toute
la nuit. Mais, quand minuit sonna, elle commença à trembler de peur.

- Je n'y arriverai jamais, dit-elle à la poupée. Je vais finir dans le chaudron,
   c'est sûr et certain.
- Mais si, tu y arriveras, reprit la poupée du fond de sa poche. Tu pourrais
   même le faire en dormant. D'ailleurs, va te coucher et tout ira bien.

Toute-Douce alla donc s'allonger dans un coin et la poupée fit le travail
à sa place.

Le lendemain matin, à son réveil, Baba Yaga n'en crut pas ses yeux mais
elle cacha son étonnement. Dans la cour, elle montra du doigt un énorme
tas de terre et dit à Toute-Douce :

- Trie pour moi toutes les graines de coquelicot qui se sont mélangées à
   cette terre. Si tu n'as pas terminé en fin de journée, mes crapauds te
   croqueront toute crue.

La fillette se mit aussitôt au travail. Mais les heures passèrent et elle
commença à trembler en voyant le soleil baisser dans le ciel.

- Je n'y arriverai jamais en un seul jour... ni même en mille, soupira
   Toute-Douce. Je vais finir dans le ventre des crapauds, c'est sûr.
- Mais si, tu y arriveras, murmura la poupée du fond de sa poche. Tu
   pourrais même le faire les yeux fermés et les mains liées. D'ailleurs,
   repose-toi un instant et tu verras, tout ira bien.

Toute-Douce alla donc s'asseoir à l'ombre, puis elle ferma les yeux et la
poupée fit le travail à sa place.

Quand Baba Yaga revint de sa promenade en forêt, elle n'en crut pas ses
yeux mais elle cacha sa surprise. Elle montra à Toute-Douce une
montagne de victuailles et lui dit :

- Prépare-nous un magnifique festin ! Quand tu auras fini, tu viendras
   dîner avec moi.

Quand tous les plats furent prêts et que la table fut mise, Toute-Douce
s'assit en face de Baba Yaga. Les yeux de la sorcière brillaient comme
des charbons ardents.

- Maintenant, fillette, gronda-t-elle, réponds-moi correctement ou bien
   je te mangerai en entrée ! Pourquoi es-tu venu chez moi ?

Toute-Douce ouvrit la bouche pour avouer "Je suis venue chercher l'un
de vos crapauds." Mais elle sentit la poupée s'agiter au fond de sa poche
et comprit ce qu'il fallait dire. Et tandis que Baba Yaga l'observait de ses
yeux brûlants, Toute-Douce répondit calmement :

- Je suis venue ici pour avoir peur, bien sûr, puisque vous êtes là pour ça !

Baba Yaga n'en crut pas ses oreilles mais, cette fois, elle ne chercha pas à
cacher sa surprise. Elle sauta sur la table à pieds joints, puis entraîna balai,
chaudron et crapauds dans une folle farandole.

- Voilà la réponse que j'attendais, fillette ! Je vois qu'avec toi la sagesse
   n'attend point le nombre des années. Dis-moi comment tu as fait pour
   passer ces épreuves avec succès.
- Eh bien... c'est grâce à un cadeau de ma maman, déclara Toute-Douce.
- Ah ah ! gloussa la sorcière. Un cadeau en appelle un autre. Tiens !

Et elle lui fit présent d'un de ses trois crapauds. Il portait une cape brodée
de perles fines, un collier de diamants et une longue laisse sertie d'émeraudes.
Toute-Douce rentra donc chez elle avec son précieux cadeau.

En la voyant arriver, Toute-Vilaine et Toute-Méchante n'eurent même pas
le temps de dire un mot, car le crapaud ouvrit une large gueule et...

Gloup ! Gloup ! Il n'en fit que deux bouchées. Puis il repartit à grands
bonds vers la forêt. Depuis ce jour-là, Toute-Douce arrêta de se montrer trop
bonne, ce qui n'a rien d'étonnant après tout ce qui lui était arrivé. Elle devint
donc une petite fille gentille, mais pas trop...


La sorcière aux trois crapauds (Hiawyn Oram - Ruth Brown - Folio Cadet)

samedi 19 novembre 2016

Sur la piste du bandit

Chapitre 1

A Lilly City, Black Jack le bandit sème la terreur. Il a dévalisé l'épicerie,
attaqué la diligence et tout cassé au saloon. Les habitants en ont assez :

- Mais que fait notre shérif ?
- Il est trop vieux, changeons - le !

Billy le shérif est vexé :

- Moi, trop vieux ? Nom d'un coyote, je vais l'attraper, ce hors-la-loi
  à la noix ! Euh, voyons... où est mon révolver, Mary ?
- A ta ceinture, papa
- Ah oui !

Mary, la fille du shérif, est inquiète : son père est trop vieux pour une
mission aussi dangereuse. Mary essaie de le retenir, elle lui fait le plus
beau des sourires.

- Je ne risque rien ! la rassure Billy. J'ai ma griffe d'ours magique. Elle
  va me porter chance.

Et voilà le vieux chérif qui part à la poursuite du bandit. Nom d'un cactus !
Mary ne veut pas le laisser seul ! Vite elle enfourche son cheval. Et, sans
un bruit, elle le suit en cachette. A l'entrée du désert, Billy découvre une
carte à jouer par terre.

- Ha ha, Black Jack est passé par ici ! s'exclame-t-il.

Sans hésiter, le shérif s'élance au galop. Mais il fait chaud, trop chaud,
comme avant un orage. Mary frémit :

- Papa a oublié d'emporter à boire ! Il va mourir de soif sous ce soleil !

L'instant d'après, Billy fait une découverte : là-bas, au creux du sable,
une gourde est apparue comme par magie !

- Ca, c'est un coup de ma chère petite griffe ! affirme-t-il.

Cachée derrière un rocher, Mary sourit.


Chapitre 2

Tout ragaillardi, le vieux shérif remonte sur son cheval. Il repère bientôt
des traces : ce sont celles du bandit.

- Gare à toi, Black Jack ! s'écrie Billy.

Et il se met à suivre la piste. De loin, Mary le surveille. Peu après, Billy
s'arrête pour se reposer. Il ne voit pas qu'un puma rôde par là. Mary, elle,
l'a vu : il va attaquer son papa ! D'un coup de lasso, Mary capture le
fauve illico ! Billy sursaute :

- Hein ? On dirait que quelque chose a remué... Non, j'ai dû rêver.

Le shérif reprend sa route. Il atteint une rivière déchainée.

- Zut, le pont est cassé, constate-t-il. Tant pis, je traverse à la nage !

Du haut de la colline, Mary s'affole :

- Il va se noyer ! Vite, une idée !

Ho hisse ! Elle pousse un tronc d'arbre, qui roule, qui roule... et finit sa
course en travers de la rivière. Billy n'en croit pas ses yeux :

- Comme la magie de ma griffe est puissante ! Voilà un pont parfait !

Et il repart sur la piste du bandit. Le ciel est noir, un vrai ciel d'orage.
Soudain, le vieux shérif aperçoit une cabane. Les sens aux aguets, il
s'immobilise :

- Le repaire de Black Jack !

Il descend de cheval et, à pas de sioux, il s'approche de la cabane. Mary
veut le suivre, mais un serpent à sonnette lui barre le chemin ! Mary n'a
peur de rien ... sauf des serpents à sonnette.

- Papa ! A l'aide ! hurle-t-elle.
- Nom d'un coyote ! Mary ? Toi, ici ?

Le vieil homme se précipite. Sa fille est en danger ! Pan pan ! Il tire
sur le serpent. Ouf ! Mary est sauvée. Elle se jette dans les bras de son
papa.


Chapitre 3

 Mais tout ce chahut a alerté Black Jack. Le bandit pointe son fusil par
la fenêtre de sa cabane :

- Les mains en l'air, vous deux !

Billy et Mary obéissent sagement. Le vieux shérif chuchote à Mary :

- Ne t'en fais pas, ma griffe magique va nous aider !

A cet instant, l'orage éclate et la foudre s'abat sur la cabane. Sous le choc,
Black Jack est projeté au dehors. Le voici assommé. Quel chance ! Mary
n'en revient pas. Billy n'est pas surpris :

- Depuis le début, ma griffe m'a protégé. Mais dis-moi, que faisais-tu
  par là ?
- Moi ? Euh ... je chassais le puma.

De retour à Lilly City avec son prisonnier, le vieux shérif est acclamé.
A ses côtés, Mary trottine, à la fois fière et soulagée :

- Et si tu prenais ta retraite, papa ? Tu pourrais te reposer.
- Surement pas. J'ai encore trop de hors-la-loi à capturer !


Sur la piste du bandit (Pascal Hédelin - Milan poche)

dimanche 6 novembre 2016

Souris grise et souriceau



Une souris grise repasse ses chemises

Un jeune souriceau recoud son chapeau

Un rat d'opéra reprise ses bas

Une souricette lave ses chaussettes

Un petit rat d'hôtel fixe ses bretelles

Une souris des champs astique ses gants

Un joli raton met son pantalon

Une souris blanche retrousse ses manches

Un beau rat musqué lace ses souliers

Une jeune rate renoue sa cravate

Mais un vieux rat d'égout ne fait rien du tout.


Souris grise et souriceau (Jean-Pierre Vallotton - Petits Poèmes pour tous les jours - Nathan)

L'oiseau du Colorado

L'oiseau du Colorado
Mange du miel et des gâteaux
Du chocolat des mandarines
Des dragées des nougatines
Des framboises des roudoudous
De la glace et du caramel mou.

L'oiseau du Colorado
Boit du champagne et du sirop
Suc de fraise et lait d'autruche
Jus d'ananas glacé en cruche
Sang de pêche et navet
Whisky menthe et café

L'oiseau du Colorado
Dans un grand lit fait un petit dodo
Puis il s'envole dans les nuages
Pour regarder les images
Et jouer un bon moment
Avec la pluie et le beau temps


L'oiseau du Colorado (Robert Desnos - Petits poèmes pour tous les jours - Nathan)

Trois petits oiseaux

Au matin se sont rassemblés
Trois petits oiseaux dans les blés
Ils avaient tant à se dire
Qu'ils parlaient tous à la fois,
Et chacun forçait sa voix.
Ca faisait un tire lire,
Tire lire la ou la.
Un vieux pommier planté là
A trouvé si gai cela
Qu'il s'en est tordu de rire


Trois petits oiseaux (Jean Richepin - Petits poèmes pour tous les jours - Nathan)

Ah ! que la terre est belle ?






Ah ! que la terre est belle
Crie une voix là-haut,
Ah ! que la terre est belle
Sous le beau soleil chaud !


Elle est encor plus belle,
bougonne l'escargot,
Elle est encor plus belle
Quand il tombe de l'eau.


Vue d'en bas, vue d'en haut,
La terre est toujours belle,
Et vive l'hirondelle,
Et vive l'escargot.


Ah ! que la terre est belle ! (Pierre Menanteau - Petits Poèmes pour tous les jours - Nathan)

samedi 5 novembre 2016

Landisoa et les trois cailloux



Sa mère dormait encore quand Landisoa se réveilla. La lumière filtrait
à travers les murs de bambou. Landisoa partit dans le brouillard du petit
matin.

Landisoa passa le village, passa le fleuve, passa les champs, se retrouva
dans les collines. Elle marchait encore tandis que le brouillard semblait
s'épaissir.

Elle s'arrêta enfin devant un étang rempli de nénuphars. Là, un voropotsy,
un oiseau tout blanc, l'arrêta et lui demanda :

- Que fais-tu ici ? si loin de chez toi ?
- Je vais, répondit Landisoa, je vais.

A-t-on déjà entendu pareille réponse ?

L'oiseau lui demanda à boire. Landisoa prit un peu d'eau de l'étang et
servit le voropotsy dans ses mains. Celui-ci, reconnaissant, lui donna
trois cailloux : un caillou multicolore, un caillou argenté, un caillou
noir. Il disparut juste après.

Landisoa le regarda s'envoler et rêva de partir aussi. Elle passa l'étang.
Elle répéta à l'infini :

- Je vais. Je vais.

Et sa voix porta sur tout l'étang et sa voix réveilla tous les animaux :
les oiseaux, les papillons, les libellules... Le brouillard devenait plus
épais encore.

Landisoa ne voyait plus devant elle que la blancheur du brouillard.
Elle jeta le caillou multicolore et vit un animal par terre. C'était le
serpent arc-en-ciel.

- Monte sur mon dos, lui dit-il. Je te sors d'ici.

Le serpent arc-en-ciel se redressa au-dessus du brouillard, l'emmena
très haut et la déposa sur la plus haute des montagnes. Les Montagnes
étaient bleues. Le brouillard s'étendait en bas. Landisoa voyait, reposant
dessus, des traits argentés.

Elle regarda les cailloux dans sa main. Elle jeta celui qui avait la même
couleur argentée. Les traits s'animèrent d'un coup. Les traits argentés
étaient des éclairs, des serpents-éclairs.

- Pourquoi nous déranges-tu ? s'écrièrent-ils.
- Je vais, répondit précipitamment Landisoa, je vais.

Les éclairs tombaient tout autour d'elle. Elle essaya de s'enfuir mais les
rochers étaient trop abrupts. Elle tremblait de peur quand elle se souvint
de son dernier caillou, le noir. Elle le jeta au milieu des éclairs.

Une grande obscurité emplit tout à coup la montagne. Un vorombe,
un oiseau géant, avait surgi de nulle part et attiré les éclairs dans ses
serres terribles. De plus, ses ailes étaient tellement immenses qu'elles
cachaient le soleil. On aurait dit les ailes de la nuit.

L'oiseau ferma les yeux de Landisoa qui tremblait encore. Il l'emmena
au pays des rêves. Ils survolaient les villages, survolaient les fleuves,
survolaient les mers. Landisoa était heureuse mais, petit à petit, les
contours de la case de sa mère se dessinèrent dans son esprit. Elle
rouvrit les yeux.

- Dépose-moi, s'il te plait, demanda-t-elle à l'oiseau de nuit, je vais.
- Tu vas ?
- Je vais dans les bras de Nény, ma maman...

Vorombe déposa Landisoa près de la case. Elle rentra sur la pointe
des pieds, embrassa sa mère qui se réveilla. Elles s'étreignirent.

- Tu as bien dormi, ma chéri ? Bien rêvé ?
- Oui, répondit-elle.

Dans sa main, il y avait, une fois encore, trois cailloux...

Mais je ne vous dirai pas leurs couleurs...

Landisoa et les trois cailloux (Raharimanana - Jean A.Ravelona - Tsipika - Edicef)

vendredi 4 novembre 2016

La diablesse et son enfant

Une diablesse allait de maison en maison et demandait ?

- Où est mon enfant ? Je l'ai perdu. Avez-vous vu mon enfant ?

Cette diablesse avait un visage agréable à regarder. Sa peau était
sombre et ses yeux luisants. Elle frappait aux portes, à la nuit tombée,
et demandait :

- Quelqu'un parmi vous sait-il où se trouve mon enfant ?

Et la personne qui avait ouvert sa porte à la diablesse voyait ses beaux
yeux un peu humides qui brillaient dans l'obscurité, sa jolie figure et
ses habits bien propres.

La personne qui n'avait pas eu peur d'ouvrir sa porte à la nuit s'apprêtait
à sourire et à tenter d'aider la diablesse, quand soudain son regard tombait
sur les pieds de celle qui venait de frapper.

Et la personne qui avait oublié d'avoir peur en ouvrant grande sa porte sur
la pénombre, était alors glacée de terreur en découvrant que celle qui
cherchait son enfant à la nuit n'avait pas de pieds mais des sabots.

C'était de petits sabots noirs et fins comme ceux d'une chèvre, séparés
par une longue fente.

Aussitôt la porte se refermait en claquant et toute lumière s'éteignait
dans la maison. Chacun attendait, tremblant, que la diablesse s'éloigne.
Et chacun frémissait de crainte : on pensait que la diablesse allait
peut-être se fâcher et se venger d'une manière terrible.

Mais cette diablesse-là ne savait même pas ce que cela signifiait. Elle
ne savait même pas pourquoi on la redoutait. Elle soupirait puis s'en
allait de son pas léger, et ses petits sabots de chèvre claquaient sur la
route, tip-tap, tip-tap.

Quand le bruit des sabots avait disparu, la lumière s'allumait de nouveau
dans les maisons. Chacun se promettait de ne plus ouvrir sa porte après
la tombée de la nuit. Car on avait peur des sabots de la diablesse, de ses
petits sabots noirs et fins, plus que de n'importe quoi au monde.

La diablesse s'en allait et cherchait une autre maison.

- J'ai perdu mon enfant. N'est-il pas chez vous ?

Ses yeux scintillaient, pleins de larmes et d'espoir. Mais, chaque fois,
le sourire se figeait sur les lèvres de celui qui s'apprêtait à répondre,
qui se préparait à réconforter cette pauvre femme dont l'enfant n'était
pas revenu avant  la nuit. Il n'y avait pas de pitié possible pour la
diablesse, dès lors qu'on s'apercevait qu'elle n'avait pas le pied humain.

On avait trop peur, bien trop peur de ces petits sabots fendus. On avait
tellement peur qu'on ne se demandait même pas quel pouvait être cet
enfant de la diablesse.

- Mais où est mon enfant ? demandait-elle, partout, sans trêve, avec
  son beau visage doux qui brillait dans la nuit.

On avait tellement peur qu'on était persuadé d'une chose : c'est que la
diablesse était capable d'inventer n'importe quelle histoire pour
s'introduire dans les maisons et y apporter le malheur par sa seule
présence.

De même, pensait-on, la diablesse a su se faire une jolie figure, afin
d'émouvoir et de se faire inventer à entrer, en pleine nuit, chez les
gens qui prenaient pitié de ses yeux mouillés.

On pensait : il n'y a que ses sabots, ses horribles sabots qu'elle n'a
pas pu changer, heureusement pour nous. Sinon, comment
saurait-on que cette femme est une diablesse ?

Mais la diablesse, elle, se rappelait avoir eu un enfant, longtemps
auparavant. Elle se rappelait avoir tenu un tout petit enfant dans ses
bras et elle se rappelait que cet enfant avait été le sien, qu'elle l'avait
aimé, nourri, cajolé, avant qu'un jour il disparaisse. Elle ne savait
plus comment.

Elle se rappelait seulement que, depuis ce jour, ses yeux ne cessaient
de couler. C'est depuis ce jour également qu'elle avait de petits sabots
noirs et fins à la place des pieds. La diablesse n'avait pas de maison.

Elle se rappelait aussi avoir eu une maison, longtemps auparavant,
et que dans sa maison son enfant dormait. La maison avait disparu
en même temps que l'enfant. La diablesse ne savait plus comment.
C'était simplement arrivé.

Cela avait existé et cela n'existait plus. Elle avait eu dans sa maison
une belle lumière jaune qui éclairait la campagne tout autour. Et la
diablesse se rappelait que son enfant avait aimé regarder la lumière
jaune avant de s'endormir le soir.

Quand elle marchait encore dans sa maison, la diablesse avait eu de
petits pieds fins de jeune femme ordinaire. On était dans une région
chaude, où les gens marchent le plus souvent pieds nus.

La diablesse se rappelait qu'à cette époque, quand elle marchait dans
sa maison, quand elle entrait dans la chambre où son enfant dormait,
elle n'entendait pas : tip-tap, tip-tap.

Elle entendait le bruit de ses pieds nus sur le sol de sa maison. Ce n'est
que depuis que sa maison et son enfant n'étaient plus là où ils avaient
été, que le bruit de son pas avait changé et qu'elle voyait, en baissant
les yeux vers ses pieds, de petits sabots de chèvre qui l'étonnaient
encore maintenant.

La diablesse vivait dans la forêt. La forêt de cette région était épaisse
et sombre. La diablesse y trouvait de quoi manger car, dans les forêts
humides et tièdes de cette région où il fait toujours très chaud,
beaucoup de fruits poussent sur les arbres, beaucoup de plantes sortent
de la terre.

La diablesse dormait le jour et sortait à la nuit. Elle se rappelait que
c'est un soir, un triste soir, qu'elle avait regardé le creux de ses bras
arrondis et constaté que son enfant n'y était plus.

Elle sortait de la forêt, marchait sur la route de son pas dansant.
Lorsqu'elle apercevait un enfant qui se dépêchait de rentrer chez lui,
elle courait dans sa direction. Et l'enfant qui entendait courir les
petits sabots voulait s'enfuir et se mettait à courir lui aussi. Il courait
en criant :

- Voilà la diablesse ! A moi !

Alors la diablesse s'arrêtait aussitôt.

- Si ce petit était le mien, il ne crierait pas ces mots-là, se disait-elle.

La région tout entière connaissait maintenant la diablesse. Tout le
monde savait qu'elle cherchait son enfant. On se mit à dire :

- Et s'il était vrai qu'elle ait eu un enfant et que cet enfant se soit sauvé ?
  Comment être sûr qu'il n'est pas parmi nous ?

On regarda attentivement les enfants qui jouaient dans la rue, qui allaient
à l'école, qui creusaient des trous dans le sable, les enfants qui se baignaient
dans la mer ou qui rêvaient, assis sur une pierre. On observa de près les
enfants qui glissaient sur les toboggans ou s'envolaient sur les balançoires.

On examinait tout particulièrement les pieds des enfants afin de voir s'ils
ne ressemblaient pas un tout petit peu aux sabots de la diablesse.

Un soir, au moment de quitter la forêt, la diablesse prit une décision. Elle
se sentait découragée, fatiguée.

- Personne ne me dira jamais où se cache mon enfant, pensa-t-elle. Je sens
  bien, à présent, que personne ne me le dira jamais.

Alors elle décida que le premier enfant qu'elle rencontrerait en sortant de
la forêt serait le sien. Elle avança sur la route de son pas habituel, tip-tap.
Elle aperçut bientôt une petite silhouette assise dans l'herbe, au bord de
la route.

Elle sortit son cœur battre si fort qu'elle n'entendait plus le bruit de ses sabots.
Elle s'approcha et toucha l'épaule de l'enfant assis au bord de la route. C'était
une petite fille à la tête couverte de petites nattes.

- Viens, viens avec moi, lui dit la diablesse très doucement.

La fillette se leva et posa sa toute petite main dans la main un peu tremblante
de la diablesse. Celle-ci referma ses doigts bien fort. Puis elle allait
reprendre la direction de la forêt, emmenant avec elle la petite fille, lorsqu'elle
se rendit compte que l'enfant boitait. Alors elle baissa les yeux vers les pieds
de la fillette et vit qu'ils étaient difformes.

Le matin de ce même jour, les habitants du village voisin avaient chassé la
petite fille. Ils croyaient avoir trouvé l'enfant de la diablesse et s'étaient dit :

- Chassons celle-là ou elle nous portera malheur. Ses tout petits pieds mal
  formés vont tourner en sabots, et alors il sera trop tard.

Voyant cela, voyant comment la fillette avait du mal à marcher, la diablesse
la porta. La petite fille passa ses bras autour du cou de la diablesse et soupira
de soulagement.

Elle regardait la jolie figure de la diablesse, ses yeux doux, elle respirait l'odeur
de forêt de la diablesse et finit par s'endormir tranquillement. La diablesse
revenait vers la forêt. Son cœur battait un peu moins fort. La nuit était calme
et chaude.

Soudain la diablesse se rendit compte qu'elle n'entendait plus le ti-tap, tip-tap
de ses petits sabots noirs. La nuit était si sombre maintenant que la diablesse,
en se penchant, ne put apercevoir ses sabots. Mais elle entendait un bruit
différent. Et la diablesse comprit que c'était le frottement de ses pieds nus sur la
route.

Puis comme elle passait devant une petite maison tout éclairée, elle se rappela
que cette maison n'était pas là tout à l'heure. Elle poussa la porte, entra dans
la pièce où brillait une belle lampe jaune. Elle déposa tendrement la petite
fille qui dormait toujours dans un lit bien propre et frais.

Ensuite, elle s'assit sur une chaise, fit glisser ses pieds sur le parquet ciré
et dit tout haut, d'une voix gaie :

- Je ne savais pas qu'une aussi petite fille était aussi lourde à porter !

La diablesse et son enfants (Marie Ndiaye - Mouche l'Ecole des Loisirs)