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lundi 11 avril 2011

Le vounioupi

Jadis, il y a longtemps, très longtemps, de
l'autre côté de la terre, prospérait un
peuple très heureux. Les hommes
chassaient et pêchaient; les femmes faisaient
cuire les aliments; les vieillards restaient
chez eux et donnaient des conseils aux
jeunes gens.

Un jour, après une période de grande
sécheresse, les hommes d'un petit village partirent pour trouver de quoi nourrir
leurs femmes et leurs enfants. Le soleil était brûlant, mais les chasseurs aimaient
la chaleur. Ils couraient, ils sautaient. Ils lançaient le plus loin possible leur javelot
ou leur boomerang. Bientôt, ils arrivèrent au bord d'une vaste plaine marécageuse.
En temps normal, elle était inondée, mais à cette époque de sécheresse, on ne
pouvait distinguer çà et là que quelques étangs envahis par les joncs.

Quelques-uns des chasseurs qui étaient friands de racines de joncs coururent vers
les étangs et se mirent à en cueillir de pleins paniers, tandis que les autres jetèrent
leurs lignes à l'eau dans l'espoir de ramener quelques belles anguilles.

Le soleil baissait déjà à l'horizon, et les pêcheurs n'avaient encore rien pris. Ils
commençaient à s'inquiéter lorsque, soudain, un jeune garçon cria qu'il sentait
quelque chose remuer au bout de sa ligne. Elle était entraînée par un très gros
poids, et il avait du mal à la tenir. Les autres pêcheurs vinrent à son secours, et tous
se mirent à tirer sur la ligne jusqu'à ce que, épuisés et hors d'haleine, ils réussissent
à ramener sur la berge un animal qui n'était ni un phoque ni un veau, mais un peu
les deux à la fois. Ils frissonnèrent d'horreur car, sans l'avoir jamais vu auparavant,
pas un des pêcheurs n'ignorait que cette bête étrange était le petit du terrible
Vounioupi.

Terrifiées, les pêcheurs gardèrent le silence
qui tout à coup fut rompu par un long
gémissement. C'était la mère du petit qui
apparut au milieu des joncs. Elle se mit à
crier, puis à hurler. Elle tirait sa langue qui
était rouge comme le feu. Ses yeux
étincelaient de rage, et elle s'avança vers
les pêcheurs.

- Lâche le petit, lâche-le ! criaient les
   pêcheurs.

Mais le jeune garçon qui l'avait capturé voulait garder sa proie.

- J'ai promis à ma fiancée de lui rapporter de la viande pour son père et pour ses
   frères, dit-il.

Et quoique le petit de Vounioupi ne fût pas bon à manger, le garçon pensait qu'il
ferait toujours un joli jouet pour les enfants. Il lança son javelot vers la mère 
Vounioupi pour l'effrayer et, chargeant le petit de Vounioupi sur ses épaules, il se
mit à courir en direction du village, suivi de tous les autres chasseurs. Ils couraient
à perdre haleine.

Le soleil s'était couché, et la plaine était baignée dans l'ombre; seuls les sommets
des plus hautes montagnes étaient encore éclairés par les derniers rayons du soleil.
Les jeunes gens, qui commençaient à se rassurer, entendirent soudain derrière eux
un murmure insolite. En se retournant, ils constatèrent que l'eau des étangs
montait rapidement et qu'elle gagnait déjà la plaine et les coteaux.

- Que se passe-t-il ? s'écria l'un deux, il n'y a pourtant pas de nuages dans le ciel !

Très inquiets, ils se hâtèrent pour atteindre les montagnes. Celui qui portait sur son
dos le petit de Vounioupi courait encore plus vite que les autres. Arrivés enfin en
haut d'une montagne, ils se retournèrent encore une fois. L'eau montait toujours
plus vite et, déjà, recouvrait la cime des arbres.

Prenant leurs jambes à leur cou, ils ne
s'arrêtèrent que lorsqu'ils aperçurent les toits
de leur village où les attendaient les femmes
et les vieillards. A la vue du petit Vounioupi,
même les enfants devinèrent qu'un grand
danger les menaçait.

- L'eau monte, l'eau monte, l'eau s'approche !
   cria un garçon.

Et au même instant, l'eau bondit jusqu'au sommet des montagnes. L'eau était
partout et on entendait son murmure, ses grondements. Les parents et les
enfants se serrèrent les uns contre les autres, et le jeune garçon qui avait
capturé le Vounioupi, prenant sa fiancée dans ses bras, s'écria :

- Montons sur cet arbre. L'eau ne pourra pas nous atteindre !

Mais comme il prononçait ces mots, il eut l'impression que ses jambes étaient
glacées et il vit avec stupeur que ses pieds s'étaient transformés en pattes
d'oiseau. Sa fiancée était devenue un grand oiseau noir, et tous ses amis
étaient aussi métamorphosés en oiseaux qui agitaient de grandes ailes. Il
voulut se couvrir le visage de ses mains, mais à la place de ses doigts et il n'y
avait plus que des plumes et quand il essaya
de parler, un son étrange sortit de sa gorge.
Déjà l'eau lui arrivait jusqu'à la taille. Dans
les reflets dansants des vagues, il vit
l'image d'un grand cygne noir.
Il vit autour de lui d'autres oiseaux noirs. Les
uns s'envolèrent, puis revinrent se poser à
la surface de l'eau. Les cygnes noirs ne
redevinrent jamais des hommes; mais ils sont
différents des autres cygnes car, la nuit, si on se
donne la peine de les écouter, on les 
entend converser dans un langage qui n'est pas
celui des cygnes; parfois même, ils 
semblent rire et parler comme des êtres humains.
Quand au petit de Vounioupi, il fut repris par sa mère. Les eaux se retirèrent.
Aujourd'hui encore les hommes évitent soigneusement les abords de l'étang
ou demeure Vounioupi, car sait-on jamais ? Elle pourrait bien saisir le
voyageur imprudent et l'entraîner dans son repaire. On dit que, sous l'étang,
elle possède une maison remplie de trésors et de merveilles, entourée d'un
jardin merveilleux où poussent des fleurs de toutes les couleurs entre des
pierres qui brillent même la nuit. Mais comment pourrait-on le savoir puisque
personne n'en est jamais revenu ?

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