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mardi 12 avril 2011

Le petit chacal et le vieux crocodile

Le petit chacal aimait beaucoup les
coquillages, et il avait l'habitude de
descendre chaque jour à
l'embouchure du fleuve pour y
chercher des moules et des crabes.
Un jour, qu'il avait très faim, il mit
sa patte dans l'eau sans bien regarder
- ce qu'il ne faut jamais faire - et, snap ! en un
clin d'oeil, le vieux crocodile, qui demeure dans la vase noire, l'avait happée dans sa gueule. Pauvre de moi ! pensa le petit chacal, le vieux crocodile tient ma patte
entre ses vilaines mâchoires, il va me tirer dans l'eau et me manger ! Qu'est ce que
je pourrais bien faire pour qu'il me lâche ?..." Il réfléchit un instant, puis se mit à
dire tout haut en riant :

- oh ! oh ! oh ! Est-ce qu'il est aveugle, monseigneur crocodile ? il a attrapé une
   vieille racine, et il croit que c'est ma patte ! oh ! oh ! oh ! j'espère qu'il la
   trouvera tendre !

Le vieux crocodile était couché dans la vase, et les roseaux l'empêchaient de rien
voir. Il pensa : "Tiens, je me suis trompé", et il desserra les mâchoires, et le petit
chacal retira sa patte, et se sauva en criant :

- Oh ! Protecteur du pauvre ! Monseigneur crocodile, c'est bien aimable à vous de
   me laisser partir !

Le vieux crocodile frappa de la queue avec colère, mais le petit chacal était bien
loin. Il évita le bord du fleuve pendant plusieurs jours, mais enfin, il eut une si
grande envie de manger des crabes qu'il ne put pas y résister. Il descendit donc
vers le rivage, en regardant tout autour de lui, soigneusement. Il ne vit rien de
suspect, mais n'osant s'y fier, il se tint à distance en se parlant à lui-même, selon
son habitude.

- Quand je ne vois pas de petits crabes sur le sable,
   dit-il tout haut, j'en vois qui sortent de l'eau,
   ordinairement. Alors, j'étends ma patte et je les
   attrape... Où peuvent-ils bien s'être cachés,
   aujourd'hui ?...

Le vieux crocodile, couché dans la vase au fond
de la rivière, écoutait parler le petit chacal, et il
pensa : "Ah ! je vais faire semblant d'être un petit
crabe, et quand il mettra sa patte dans l'eau, je
l'attraperai !"

Et il fit sortir un peu son museau hors de l'eau. Le petit chacal le vit tout de suite,
et s'écria :

- Oh ! oh ! Merci, monseigneur crocodile ! Merci de me montrer l'endroit où vous
   gîtez ! vous avez trop de bonté, monseigneur ! Je vais chercher mon dîner ailleurs,
   pour aujourd'hui. Bien le bonjour...

Et il se sauva à toutes jambes.  Le vieux crocodile se mit en rage, mais le petit
chacal était bien loin. Pendant quinze jours, le petit chacal évita le bord de la
rivière, mais à la fin des quinze jours, il sentit dans son estomac un vide que rien
d'autre que des crabes ne pouvait remplir. Avec précaution, il descendit vers le
rivage, et regarda tout autour. Point de crocodile, nulle part. Pourtant, il n'était pas
bien rassuré. Il se mit un peu à distance, en se parlant à lui-même, suivant son
habitude.

- Quand je ne vois pas de petits crabes sur le
   sable, ou sortant de l'eau, dit-il tout haut,
   d'ordinaire je vois des bulles d'air dans l'eau.
   Les bulles font pouff, pouff, pouff, et puis,
   pop, pop, pop, et cela me montre l'endroit
   où se tiennent les crabes. Alors, je mets ma
   patte dans l'eau, et je les attrape. Je me
   demande si je verrai des bulles aujourd'hui ?

Le vieux crocodile, couché dans la vase et les
roseaux, l'entendit, et pensa : "Ca, c'est facile.
Je vais faire des bulles d'air, et alors, il mettra sa patte dans l'eau, il soufla, soufla, soufla dans l'eau et les bulles d'air firent un vrai tourbillon. Le petit chacal n'avait
pas besoin qu'on lui dise qui faisait ces bulles ! Il jeta un coup d'oeil dans l'eau, et se
sauva à toutes jambes, en criant :

- Monseigneur crocodile ! oh ! Protecteur du pauvre, que vous êtes bon de me
   montrer où vous vous cachez ! Je vais déjeuner un peu plus loin !

Le vieux crocodile était si furieux qu'il grimpa sur la berge, et courut après le petit
chacal, mais celui-ci était déjà bien plus loin. Après cela, le petit chacal n'osa plus
aller au bord de la rivière, mais il trouva un jardin plein de figues sauvages, qui
étaient si bonnes qu'il allait tous les jours en manger. Le vieux crocodile s'en
aperçut et décida qu'il aurait le petit chacal, ou qu'il y perdrait la vie. Il rampa
jusqu'au jardin, fit un gros tas de figues sauvages sous le plus grand des figuiers,
et il se cacha sous le tas.

Bientôt, le petit chacal arriva en dansant, très heureux et sans souci, mais
regardant avec soin tout autour de lui. Il vit le gros tas de figues sous le
grand figuier. "Hum ! pensa-t-il, ça ressemble singulièrement à une ruse
de mon vénérable ami, père crocodile. Je vais faire une petite investigation."

Il se tint bien tranquille, et commença à se parler tout haut, suivant son habitude. Il dit :

- Les figues que je préfère sont les figues bien
   mûres, et fendues, qui tombent quand le
   vent souffle, et, quand elles sont tombées, le
   vent les fait bouger sur le sol, de-ci, de-là.
   Les figues de ce gros tas ne bougent pas du
   tout; Je pense qu'elles doivent être mauvaises.

Le vieux crocodile, caché sous le tas de figues, l'entendit et pensa : "Peste soit de ce
soupçonneux petit chacal ! Il faut que je fasse bouger ces figues, et il croira que
c'est le vent." Il se mit donc à se tortiller, si fort et si bien que les figues roulèrent
de tous côtés, et que l'on put voir les grosses écailles de son dos. Le petit
chacal n'en attendit pas davantage; il se sauva hors du jardin en criant :

- Merci encore une fois, monseigneur crocodile, vous êtes bien aimable de vous
   montrer ! je n'ai pas le temps de vous saluer. Bonjour !...

Le vieux crocodile était fou de rage et il jura qu'il aurait le petit chacal, chair et os.
Il rampa jusqu'à la maison du petit chacal; il enfonça la porte, et se glissa dedans.
Peu après, le petit chacal arriva en dansant très heureux, et sans soucis, mais,
regardant tout autour avec soin. Il vit que la terre était tout aplatie, comme si on
avait traîné des troncs d'arbres dessus. "Quest-ce que c'est que cela ? pensa-t-il.
Qu'est-ce que cela peut bien être ?"

Puis il vit que la porte de sa maison était enfoncée et les gonds arrachés et il se dit :
"Qu'est-ce que c'est que cela ? Qu'est-ce que cela peut bien être ? Je pense que je
vais faire une petite in-ves-ti-ga-tion !" Il se tint très tranquille, et commença à se
parler tout haut, suivant son habitude. Il dit :

- Comme c'est drôle ! Ma petite maison ne me parle pas ! Pourquoi ne me parles-tu
   pas, petite maison ? d'ordinaire, tu me dis bonjour, quand je rentre. Qu'est-ce qui
   peut bien être arrivé à ma petite maison ?

Le vieux crocodile, caché au fond de la petite maison, l'entendit et pensa :
"Il me faut parler comme si j'étais la petite maison, ou bien, il n'entrera jamais !"
Il prit une voix aussi douce qu'il put (ce qui n'est pas facile pour un crocodile!), et il
dit :

- Allô ! allô ! petit chacal !

Quand le chacal entendit cette voix, il se mit à
trembler de peur, et se dit : "c'est le
vieux crocodile, et, si je n'en viens pas à bout
cette fois, c'est lui qui viendra à bout 
de moi ! Qu'est-ce que je vais faire ?". Il
réfléchit un moment. Puis, il dit gaiement :

- Merci, petite maison, je suis content
   d'entendre ta voix, chère petite maison; je
   vais entrer tout de suite, laisse-moi
   seulement chercher du bois pour faire
   cuire mon dîner.

Il ramassa autant de bois qu'il put, et encore autant qu'il put, et de nouveau, autant
qu'il put, et il empila tout ce bois contre la porte et autour de la maison, et il y mit
le feu. Et le bois fit tant de flammes et de fumée que le vieux crocodile fut séché
et fumé, comme un hareng saur !

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