La lune

Depuis quelque temps, la lune se plaignait sans arrêt.

- C'est toujours la même chose, disait-elle en prenant

   tout le ciel à témoin. Moi, je ne sors que la nuit. Je

   ne vois jamais personne et personne ne me regarde;

   tandis que le soleil, lui, dès qu'il arrive, 

   tout le monde se met à la fenêtre.

- Remarquez, dit une étoile, avec le soleil on bronze,

   tandis que, vous, vous êtes toute pâle.

- Mais je brille quand même !

- N'exagérons rien. Et puis, de toute façon, de quoi
  vous plaignez-vous ? Il y a bien des gens qui rêvent
  en vous regardant la nuit... En tout cas, vous
  ne brillez pas autant que le soleil.

Mais la lune voulait se promener en plein jour. Alors un matin,

au lieu d'aller se coucher, comme d'habitude, elle attendit le

lever du soleil.

- Tiens, tu es encore là ? dit le soleil

- Je voulais te demander si je pourrais me promener avec toi.

Le soleil hésita.

- C'est-à-dire que c'est mon heure de sortie, si tu viens avec moi

   dans le ciel, les gens n'y comprendront plus rien.

La lune insista tellement que, pour lui faire plaisir, le soleil lui offrit
son bras et l'emmena avec lui à travers le ciel.

- Que c'est joli, disait-elle, j'aimerais me promener ainsi tous

   les jours.

Seulement, elle était si pâle que les gens ne la voyaient pas et elle
était si froide que peu à peu le soleil commença à frissonner et à
pâlir lui aussi. Sur la terre, personne n'y comprenait plus rien.
"Il fait bien sombre tout d'un coup", disaient-ils. Et ils regardaient
le ciel avec inquiètude. "On se demande ce que le soleil fabrique
là-haut". En fait, la lune était si contente de voir du monde qu'elle
avait lâché le bras du soleil et s'était mise à gambader devant lui

en répandant ses rayons glacés dans tout le ciel. Si bien que le

soleil était complètement caché et qu'il faisait aussi noir qu'en
pleine nuit.

- Que se passe-t-il, demanda la lune ? Il fait déjà nuit ?
- Mais non, dit le soleil qui venait de la rattraper... c'est parce que
  tu as caché mes rayons lumineux. Il vaut mieux retourner te coucher,
  tu es trop pâle et trop froide, tu assombris tout le ciel.

Alors la lune, dépitée, retourna se coucher et pleura longuement
en disant que personne ne l'aimait. Les étoiles filantes essayèrent
de la distraire en faisant un beau ballet, les satellites lui apportèrent
des nouvelles de la terre, mais la lune étai toujours triste et rien ne
pouvait la faire sourire. Pourtant, un soir où elle pleurait encore plus
fort, on entendit une jolie voix qui venait de la terre. C'était un poète
qui disait combien il aimait la lune.

- O lune..., chantait-il, je vois, sur le clocher jauni...
   la lune, comme un point sur un i...
- C'est joli, ça ! s'écria-t-elle. Vous entendez, vous autres ?

Les étoiles tendirent l'oreille.

- Très joli vraiment. Un jeune homme qui récite des poèmes pour
   vous... Vous devriez être fière.

Le jeune homme adorait la lune. Tous les soirs, il se mit à réciter
des poèmes en son honneur.

- Tout de même, disait-elle, on dira ce qu'on voudra mais je suis
   plus poétique que le soleil. Je brille moins que lui, ça d'accord,
   mais pour la poésie je suis bien meilleure.

Et depuis ce jour, au lieu de se lamenter, elle se promène la nuit

à la recherche des poètes. Et elle est bien belle avec sa robe

blanche dans son ciel noir.