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vendredi 11 mai 2012

La vieille aux six doigts

Au temps jadis une petite vieille nommée
Serkar habitait sur l'île de Nagir. Comme
tout le monde en ces temps lointains, elle
avait six doigts à chaque main. Quand
elle voulait faire du feu, elle plaçait deux
morceaux de bois l'un sur l'autre et les
enflammait en les touchant avec le sixième
doigt de sa main droite. Placé entre le pouce et l'index, ce dernier lui servait en effet de tison.

Voyant la fumée s'élever au-dessus du lieu où vivait Serkar, les animaux
qui vivait sur l'île de Moa en déduisirent qu'elle avait du feu. N'en ayant pas,
ils désirèrent s'en procurer et se réunirent pour tenir conseil. A cette assemblée
siégeait le serpent, la grenouille et de nombreux lézards : le lézard à longue
queue, le petit lézard, le lézard domestique, sans oublier deux immenses
lézards nommés Si et Karom.

Tous convinrent qu'il leur fallait nager jusqu'à l'île de Nagir s'ils voulaient
obtenir le feu. Le serpent fut le premier à essayer, mais la mer était si houleuse
qu'il dut déclarer forfait. La grenouille tenta ensuite sa chance, mais ne parvint
pas à lutter contre les vagues. Le petit lézard, le lézard à longue queue, le
lézard domestique et le grand lézard nommé Si plongèrent à sa suite, mais
furent tous les quatre rejetés sur le rivage par la mer démontée.

Finalement, Karom, le dernier grand lézard,
prit son élan et se jeta à l'eau. Grâce à son
long cou, il parvint à conserver la tête hors
des vagues et effectua la traversée. Sain et
sauf, il s'échoua sur la plage et marcha
aussitôt vers la maison de Serkar.

Occupée à tresser un panier, la petite vieille fut ravie de le voir. Après l'avoir aimablement prié de s'asseoir, elle alla cueillir dans son jardin de quoi lui préparer à manger. Profitant de son absence, Karom fouilla sa maison de fond en comble.
En vain. Pas la moindre trace de feu !

- Vraiment, nous avons perdu la tête à Moa, se dit-il en son for intérieur.
   Cette pauvre femme n'a pas plus de feu que nous.

Sur ces entrefaites, Serkar revint les bras chargés de fruits, de légumes et de
bois à brûler. Sous les yeux attentifs de son invité, elle empila deux morceaux
de bois et les embrasa à l'aide de son doigt. Dès que les flammes se mirent
à crépiter, elle fit cuire le repas. Puis, une fois sa cuisine terminée, elle cacha
le reste des branches dans le sable, car elle était économe et ne voulait rien
gaspiller.

Le feu, quant à lui, s'était éteint et il ne restait pas une braise sur le sol. Plus
que jamais déterminé à ramener sur l'île de Moa de quoi faire du feu, Karom
prit congé d'une voix doucereuse :

- Moa est bien loin d'ici, soupira-t-il. Il est grand temps que je parte.

Poliment, la vieille le raccompagna jusqu'à la plage. Avant de s'élancer dans
l'eau, Karom lui tendit la patte pour lui dire au revoir. La vieille femme
voulut la serrer de la main gauche, mais le lézard refusa :

- Voyons, pourquoi ne pas me donner la main droite ?

Serkar commença par refuser, mais Karom insista
tellement qu'elle finit par obéir. Aussitôt, le lézard
referma ses dents sur le doigt magique, le trancha
net et le rapporta dans sa gueule sur l'île de Moa.
Sur le rivage, ses amis l'attendaient. Ravis de voir
qu'il avait réussi sa mission, ils se rendirent dans
les îles Murray et pénétrèrent au coeur de la forêt.

Là, ils firent un grand feu et chacun demanda à son
arbre préféré de plonger une de ses branches dans les flammes pour en faire un tison. Parmi les arbres élus figuraient le Bambou, l'Eugénia à fleurs blanches et le grand Hibiscus dont les feuilles à revers blanc ombragent les rivages du Pacifique et de l'océan Indien.

Depuis ce jour, ayant reçu le don de s'enflammer facilement, ces trois 
arbres servent de bois à brûler et permettent de confectionner des forets
à feu. La petite vieille, quant à elle, perdit peu après le sixième doigt qui
lui restait à la main gauche. C'est la raison pour laquelle les hommes n'ont
plus aujourd'hui que cinq doigts à chaque main. L'emplacement du doigt
disparu reste cependant bien visible, là où un grand vide sépare le pouce
et l'index.

Conte australien (Histoires du bout du nez à la pointe des pieds - Isabelle Lafonta)

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