publicité

jeudi 17 janvier 2013

La princesse qui n'aimait pas les princes

Il était une fois, dans un beau et paisible royaume, une jolie princesse qui réussit un jour
une superbe mayonnaise. Conseillers et ministres, cuisiniers et garagistes, tout le monde
l'affirmait : il fallait la marier !

Le père ordonna donc ce que tout roi ordonne dans ce cas-là. Qu'il soit organisé un
grand bal où se présenteraient tous les possibles, probables et potentiels fiancés. Il
fit rédiger l'invitation sur du papier recyclé.

Princes d'à côté, venez ! Accourez ! Ma fille est à marier.
Elle est jolie, douce et aimable et dort très bien sur des petits pois.

La princesse les vit donc arriver, ces princes d'à côté. En file sur le chemin, un à un, ils
baisèrent sa main. il y avait des maigrelets qui pouvaient s'envoler, et des costauds avec
de gros biscotos. Il y avait aussi : des tout petits aux yeux de souris, et des très grands
aux oreilles d'éléphant. Il y avait encore : des courageux qui étaient pleins de bleus, et
des prudents qui allaient à pas lents.

Il y en eut bien un qui retint l'attention de l'assemblée une minute ou deux : un très grand,
très fort et très courageux. C'est qu'il débarqua dans un tel fracas qu'il était impossible
qu'on ne le remarquât pas. Mais quand il fit crisser les pneus de sa Harley sur le splendide
tapis en peau de yéti, la princesse manqua de s'étrangler :

- Ma carpette adorée, l'héritage de tante Zoé !

Non vraiment, merci bien, celui-là, il ne lui disait rien. Le roi fut fâché du contretemps, 
mais il voulut retenter sa chance. Il envoya par-delà les frontières des cartes postales 
sur la terre entière. 

Princes d'un peu plus loin, mettez-vous en chemin, ma fille offre sa main.
Elle est jolie, douce et aimable, et raconte mille et une histoires.  

La princesse les vit arriver au petit matin, ces princes d'un peu plus loin. En file sur le 
chemin, un à un, ils baisèrent sa main. Il y en avait : des blancs comme le lait et blonds 
comme les blés, et d'autres dont la peau noire brillait comme l'air du soir. Il y en avait 
encore, en habits multicolores, en rouge, en bleu, en vert, en or, et puis des élégants 
entièrement vêtus de noir et blanc.

Il y en eut bien un, au teint doux et doré, qui retint un instant l'attention de l'assemblée. 
C'est qu'il arriva à dos d'éléphant, suivi de girafes et d'autant de tigres géants. C'était 
très impressionnant ! Un petit peu trop peut-être... Les bêtes s'attaquèrent au perroquet 
de la princesse qui manqua de s'étouffer :

- Mon coco adoré, l'héritage de tante Zoé !

Non, vraiment, merci bien, celui-là, il ne lui disait rien. Le roi râla, c'est sûr, mais ne s'avoua
pas vaincu. Il avait dans sont bureau une excellente connexion internet branchée sur tous 
les univers, même les plus extraordinaires. Il envoya donc son courriel.

Princes d'encore plus loin, faites ronfler vos engins, ma fille vous attend dès demain.
Elle est jolie, douce et aimable, et rêve de vivre dans les étoiles.

La princesse les vit venir du ciel, tous ces êtres extraordinaires. En file sur le chemin, un à 
un, ils baisèrent sa main. Ils arrivaient d'en haut : des super héros aux capes belles comme 
des drapeaux, et quelques très savants sorciers bien calés sur leurs balais. Il y avait aussi : 
de géniaux scientifiques aux milles inventions fantastiques, et de grands champions du 
monde, de foot, de course ou d'aviron.

Il y en eut bien un qui retint un instant l'attention de l'assemblée : un superman masqué 
champion de karaté qui avait inventé l'eau froide à réchauffer... Sauf que pour faire sa 
démonstration, il attrapa un gros flocon et mit le feu dans le salon. C'était une bouteille 
neuve de Chamelle n°9, une flagrance extrêmement chère au pipi de dromadaire. La 
princesse manqua de s'étrangler :

- Mon parfum adoré, l'héritage de tante Zoé !

Non vraiment, merci bien, celui-là, il ne lui disait rien. Le roi faillit exploser, mais avant de 
perdre sa royale dignité, il résolut de questionner de nouveau ses sujets. Ministres et 
conseillers, cuisiniers et garagistes, tout le monde l'affirmait : il fallait appeler la fée. Elle 
seule saurait les aider. Le roi, cette fois, décida d'y mettre les moyens : on sortit le plus 
beau parchemin, un délicat vélin, rehaussé de dorures et décoré d'enluminures.

Madame la fée,
Venez sans tarder, ma fille est à désespérer. Elle est jolie, douce et aimable, mais il 
nous faudrait un miracle...  

On prépara en grande pompe l'arrivée de la fée au palais : tous les crapauds furent 
répertoriés, ainsi que les grenouilles, parce qu'on ne sait jamais... Les citrouilles à carrosses 
reçurent une triple dose d'engrais. Et on nettoya même les casseroles du palais (de toute 
façon, la mayonnaise avait fini à la poubelle).

La princesse vit alors arriver la fée, absolument charmante sur sa licorne blanche, qui 
remonta la file pour venir baiser sa main. Les princes autour d'elle se pressèrent. C'est 
qu'ils espéraient lui soutirer un ou deux petits souhaits : s'ils pouvaient obtenir rien qu'un 
palais ou une épée enchantée, voire une princesse à délivrer (pourvu que ce ne soit pas 
trop compliqué)... ils s'en iraient satisfaits !

Les maigrelets, les costauds, les petits, les grands, les courageux, les prudents, les blancs, 
les noirs, les multicolores, les élégants, les héros, les sorciers, les champions, les savants... 
tous s'accrochaient quémandant, suppliant... Mais la fée passait sans s'en soucier. La 
princesse, elle, la regardait s'approcher d'un air un peu inquiet. Surtout, elle redoutait la 
baguette magique : tomber folle amoureuse d'un prince de pacotille ? Non, merci !

Pourtant, quand la fée s'approcha, un drôle de truc se passa. Elle la vit, elle rougit, elle 
pâlit à sa vue. Était-ce donc cela l'amour tant attendu ? En une seconde, elle comprit que 
c'était elle. En deux secondes, elle montait derrière sa selle. En trois secondes, elles 
galopaient sous le grand ciel. Le miracle était arrivé ! Le roi, très étonné, en fit tomber 
son sceptre doré. Mais on dit qu'on vit sourire le portrait de tante Zoé.

La princesse et la fée allèrent s'installer dans le pays d'à côté. Elles ne purent pas vraiment 
se marier, et pour faire des bébés, ce fut un peu plus compliqué... Mais toutes les deux, 
elles vécurent très heureuses. Et c'est ainsi que doit s'achever tout véritable conte de fées.

La princesse qui n'aimait pas les princes (Alice Brière-Haquet / Benjamin)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire