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lundi 25 avril 2016

Jean le veinard

Il était une fois, nul ne pourrait vous dire exactement combien de temps de
cela, un jeune garçon qui se prénommait Jean. Dès que les premiers poils
lui poussèrent au menton, il partit de chez lui pour s'en aller travailler chez
un forgeron. Il y resta sept ans, et ces sept années écoulées, fut soudain pris
de l'envie de revoir sa mère.

Il demanda donc son congé à son patron, qui, bien que triste de perdre un
si bon ouvrier, décida de le payer comme il le méritait. Pour salaire, il lui
donna donc un lingot d'or aussi gros qu'une bûche de bois et lui souhaita
bon vent et bonne chance.

Jean n'en revint pas de posséder une telle fortune ! Plein d'ardeur et très
impatient de revoir sa mère, il prit la route. Tout aurait été pour le mieux
dans le meilleur des mondes si ce lingot avait été moins lourd à porter !
Plus le jour avançait, plus le pas de Jean ralentissait.

Soudain, il vit venir vers lui un cavalier qui lui souhaita aimablement le
bonjour. Jean admira sa monture et se mit à réfléchir tout haut :

- Quelle chose merveilleuse que de posséder un animal pareil ! En un
  clin d'œil, on peut être transporté où l'on veut, et cela sans en ressentir
  de fatigue !

Le cavalier s'amusa de ce bonhomme qui trainait la savate.

- Et pourquoi donc avales-tu ainsi la poussière du chemin si ton souhait
  est de chevaucher comme tout un chacun ?

La réponse était fort simple et Jean la donna bien volontiers :

- C'est que je dois porter ce lingot chez moi. A dire vrai, le posséder
  m'a d'abord réjoui, mais voilà que je commence à le trouver bien lourd
  pour mes frêles épaules.

Le cavalier arbora un grand sourire.

- Ton embarras fait peine à voir. Je crois que tu as assez transpiré comme
  ça pour aujourd'hui. Que dirais-tu si je t'échangeais mon cheval contre
  ton fardeau ?

Jean ne se sentit plus de joie et remercia tant et plus ce providentiel
bienfaiteur. Après s'y être tout de même repris à plusieurs fois, il parvint
à monter sur le dos de l'animal.

Là, il se trouva bien ennuyé pour le faire avancer. Encore une fois, le
cavalier se montra généreux et lui expliqua la manœuvre. Au moment
de lui dire au revoir, il ajouta que, s'il voulait aller très vite, il lui suffisait
de talonner sa monture pour qu'elle file à toute allure.

Se félicitant de sa bonne fortune, Jean commença par trotter une bonne
heure ou deux puis se dit qu'il ne perdrait rien à accélérer un peu. Il
suivit les instructions du cavalier, joua des talons et se retrouva soudain
emporté au triple galop. C'est à peine s'il réussit à se maintenir en selle
plus de deux minutes.

Il bascula dans un fossé et y resta tout étourdit. Quelle ne fut pas sa
surprise d'apercevoir, au bord du talus, un paysan qui tenait son cheval
par la bride. Jean comprit que l'homme avait réussi à arrêter sa monture
et la lui ramenait. Il escalada le rebord du fossé et remercia l'homme.

Derrière celui-ci, une vache broutait paisiblement l'herbe du chemin. Jean
admira la bête :

- Quel bonheur ce doit être de posséder un si placide animal ! On ne me
  reprendra plus à vanter les mérites des chevaux ! Alors qu'une bonne
  vache en plus de cheminer paisiblement à vos côtés, peut vous fournir
  lait, beurre et fromage en quantité.

Le paysan, qui n'était pas du genre à laisser passer une bonne affaire,
proposa aussitôt à Jean d'échanger son cheval contre sa vache. Jean se
confondit en remerciement et partit aussitôt en tenant fièrement sa
nouvelle acquisition au bout d'une corde.

"Décidément la chance sourie aux audacieux !" pensa-t-il. Pour fêter
cela, il décida de s'arrêter dans une auberge où il dépensa les quelques
pièces qu'il avait au fond de sa poche. Après quoi il reprit la route.

Sur le coup de midi, le soleil se fit assommant. Jean se dit qu'il était
grand temps de profiter des bienfaits de sa vache et de tirer un verre
de lait. N'ayant pas de seau à sa disposition, il utilisa sa casquette de
cuir qu'il posa à terre, juste sous le pis de l'animal. Puis il commença
à le traire.

Mais rien ne vint ! pas une goutte ! Le jeune homme se dit qu'il s'y
prenait sans doute mal par manque d'expérience... Il tira donc plus
fort, et sans doute beaucoup trop fort, car la bête, sans prévenir, lui
décocha un coup de pied qui l'envoya à quatre mètres de là.

Jean voyait encore des étoiles lui danser devant les yeux quand il
se rendit compte qu'on lui parlait. C'était un boucher qui poussait
une brouette dans laquelle était couché un cochon. L'homme s'enquit
de l'état de Jean, qui en profita pour lui raconter ses mésaventures.
Le boucher s'esclaffa :

- Pas étonnant que cette vieille carne ne vous ait pas donner de lait !
  A son âge, elle est tout juste bonne pour la boucherie !

Jean parut très contrarié de cette nouvelle :

- C'est que, voyez-vous, je n'apprécie pas beaucoup la viande de bœuf...
  Cette vache n'a pour moi d'intérêt que si elle peut me donner du lait. 
  Ce serait un cochon, je ne dis pas que je rechignerais à le manger... 
  Mais une vache, non ! Sans façon !

Le boucher se gratta la tête sous sa casquette en faisant mine de
réfléchir :

- Vous m'avez l'air bien embêté et je peux vous aider... Ce cochon s'en
  allait vers l'abattoir... Que j'y conduise à sa place une vache ne me pose
  aucun problème. Si l'échange vous arrange, je veux bien y consentir...

Encore une fois, Jean se perdit en remerciements et prit l'animal qu'on
lui proposait si gentiment. Il cheminait depuis un bon moment en faisant
l'inventaire de toutes les merveilles dont ce cochon le régalerait, quand il
se trouva rejoint par un jeune garçon qui tenait une magnifique oie blanche
sous son bras.

Etant d'un naturel aimable, jean ne put s'empêcher de le complimenter sur
son splendide volatile. Le jeune homme expliqua qu'il l'emmenait à un
banquet où elle allait pouvoir rassasier pas moins d'une vingtaine d'invités.

Jean en parut très impressionné et demanda, par simple curiosité, à la
soulever. Effectivement, l'animal était d'un poids tout à fait exceptionnel !
A son tour, il proposa au garçon de peser son cochon. Le garçon prit un
air gêné et demanda à Jean d'où il tenait cette bête. Jean n'hésita pas une
seconde et lui raconta toute l'histoire. Le garçon se rembrunit :

- J'ai bien peur que l'on vous ait roulé ! Ce cochon ressemble à s'y méprendre
  à celui qui vient d'être dérobé dans l'étable du maire du village d'à côté...

Jean, à cette nouvelle, resta abasourdi. Quoi ? Lui, si honnête, pouvait être
accusé de vol ? C'était une véritable catastrophe ! Le garçon sembla comprendre
son désarroi :

- Je peux, si cela vous arrange, vous échanger mon oie contre votre cochon.
  Dans une heure, il sera mis à la broche, et alors bien malin qui pourra le
  reconnaître...

Tremblant de reconnaissance, Jean mit l'oie sous son bras et reprit sa route, se
disant que sa mère se ferait une joie de la cuisiner et qu'en plus elle ne manquerait
pas de lui faire un oreiller des plus moelleux avec ses plumes.

Il en était là de ses projets, lorsqu'il entendit au loin les cris d'un rémouleur
faisant sa tournée. Jean alla à sa rencontre et lui demanda aimablement si
ses affaires marchaient comme il le souhaitait.

L'homme, qui n'avait pourtant pas l'air de rouler sur l'or, lui répondit qu'il
faisait le meilleur métier du monde et que lorsqu'il mettait la main à sa poche,
il en sortait toujours de l'argent. Jean fut très impressionné par cette réponse.
Comme pour lui rendre la politesse, le rémouleur lui demanda d'où il tenait
une si belle oie.

Jean se fit alors un plaisir de raconter son histoire depuis le début : sept années
de travail, un lingot d'or bientôt échangé contre un cheval, celui-ci échangé
contre une vache, celle-ci échangée contre un cochon et enfin ce dernier échangé
contre cette belle oie. Le rémouleur fit à Jean de grands compliments sur son
sens des affaires.

Il ajouta qu'il allait bientôt prendre sa retraite et qu'il serait fier de laisser sa
meule à quelqu'un d'aussi astucieux que lui. Jean en rougit de plaisir. Le rémouleur
aussitôt lui tendit sa pierre de meule, certes très usée, mais lui dit qu'il ne lui
demandait que son oie en échange. Jean y consentit de bon cœur et lui donna
l'animal.

Le garçon salua l'homme et chargea la pierre sur son épaule en se félicitant de
tomber ainsi sur la bonne fortune à chacun de ses pas. Il ne lui vint pas d'autre
explication que celle d'avoir été, depuis toujours, choisi par la chance.

Malgré d'aussi heureuses pensées, il trouva bientôt que cette pierre pesait
vraiment très lourd. De plus, il avait maintenant très faim et très soif. Il décida
d'aller se désaltérer à un puits qu'il venait d'apercevoir. Une fois à côté, il posa
délicatement sa pierre sur la margelle et tendit la main pour attraper le seau.

C'est alors que son bras heurta la pierre, qui plongea au fond du puits dans un
grand "plouf". Jean resta hébété un instant, puis éclata de rire en remerciant
le ciel qui venait de le débarrasser d'un fardeau qu'il ne pouvait plus supporter.

Alors, il but l'eau fraîche du puits à longs traits et, le cœur léger et les mains
dans les poches, reprit le chemin de la maison de sa mère en se disant que,
décidément, ils devaient être bien peu nombreux sur terre, les garçons aussi
chanceux que lui !

Mille ans de contes pour rire (Milan Jeunesse)

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