et éduqué en toute discipline par le commandement
de son père. Il passa ce temps-là comme les petits
enfants du pays : c'est à savoir à boire, manger et
dormir; à manger, dormir et boire; à dormir, boire et
manger.
Le reste du temps, il se vautrait dans la boue, se
barbouillait le nez, se salissait la figure, éculait ses souliers, baillait souvent aux mouches,
aimait à courir après les papillons. Il pissait sur ses souliers, il chiait en sa chemise, il se
mouchait à ses manches, il morvait dedans sa soupe, et patrouillait par tout lieu, et
buvait en sa pantoufle, et se frottait ordinairement le ventre d'un panier.
Il aiguisait ses dents sur un sabot, sa lavait les mains dans le potage, se peignait d'un
gobelet, s'asseyait entre deux chaises, le cul à terre. Il se grattait où ne le démangeait
point, se chatouillait pour se faire rire.
écuelle; lui, de même, mangeait avec eux. Il leur
mordait les oreilles, ils lui égratignaient le nez; il
leur soufflait au cul, ils lui léchaient les badigoinces.
Sur la fin de la cinquième année, Grandgousier,
retournant de la guerre, visita son fils Gargantua.
Là, il fut réjoui, comme un tel père pouvait l'être
devant un tel enfant. En l'embrassant et l'étreignant, il l'interrogeait de petits propos puérils en diverses sortes.
Et il but sans compter avec lui et ses gouvernantes, auxquelles, par grand soin, il
demanda si elles l'avaient tenu propre et net. A ce Gargantua fit réponse qu'il s'y était
pris de telle façon qu'en tout le pays n'était garçon plus propre que lui.
- J'ai (répondit Gargantua), par longue et curieuse
expérience, inventé un moyen de me torcher le
cul : le plus seigneurial, le plus excellent, le plus
efficace que jamais on ait vu.
- Lequel ? dit Grandgousier.
- Comme je vais vous le dire présentement (dit
Gargantua). Je me torchai une fois d'un cache-nez
de velours d'une demoiselle, et le trouvai bon, car sa
douceur soyeuse me causa au fondement une volupté bien grande. Une autre fois des cache-oreilles d'un bonnet de satin cramoisi, mais la dorure d'un tas de saletés de perles qui y étaient m'écorchèrent tout le derrière. Ce mal passa me torchant d'un bonnet de page, bien emplumé à la Suisse. Puis fientant derrière un buisson, j'y trouvai un chat belliqueux et m'en torchai, mais ses griffes me déchirèrent tout le périnée. Ce dont je guéris au lendemain, me torchant des gants parfumés de ma mère. Puis me torchai aux draps, à la couverture, aux rideaux, d'un coussin, d'un tapis de jeu, d'une serviette, d'un mouche-nez, d'un peignoir. En tout, j'y trouvai grand plaisir.
- Certes (dit Grandgousier), mais lequel torchecul trouvas-tu meilleur ?
- J'y étais (dit Gargantua), et bientôt vous saurez le fin mot de l'histoire. Je me torchai
ensuite d'un couvre-chef, d'un oreiller, d'une pantoufle, d'une gibecière, d'un panier.
Mais oh ! le mal plaisant torchecul ! Puis d'un chapeau. Et notez que, des chapeaux,
les uns sont ras, d'autres à poil, les autres de velours, les autres de taffetas, les autres
de satin. Le meilleur de tous est celui de poil car il absorbe bien la matière.
- Oh ! dit Grandgousier, que tu as bon sens, petit garçonnet ! Un de ces jours, je te
ferai passer docteur en gai savoir, pardieu ! car tu as de raison plus que d'âge. Or,
poursuis ce propos torcheculatif, je t'en prie.
- Je me torchai ensuite d'une poule, d'un coq, d'un poulet, de la peau d'un veau, d'un
lièvre, d'un pigeon, d'un cormoran, d'une sacoche d'avocat, d'un passe-montagne,
d'une coiffe. Mais pour conclure, je dis et maintiens qu'il n'y a de meilleur torchecul
qu'un oison bien duveteux. Et m'en croyez sur mon honneur ! Car vous sentez au
trou du cul une volupté mirifique, tant par la douceur de ce duvet, que par la chaleur
tempérée de l'oison, laquelle facilement est communiquée au boyau culier et autres
intestins, jusqu'à venir à la région du coeur et du cerveau.
d'admiration, considérant le haut sens et le merveilleux
entendement de son fils Gargantua. Il déclara à ses
gouvernantes :
- Je vous dis qu'en ce seul propos que j'ai tenu présentement
devant vous à mon fils Gargantua, je comprends que son
entendement participe de quelque divinité; tant je le vois
aigu, subtil, profond et serein. Et il parviendra à un degré
souverain de sagesse, s'il est bien éduqué.
Le torchecul (Rabelais-Pef / Editions Mouck)
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