publicité

mardi 23 octobre 2012

Bout de paille, braise et haricot

Dans un petit village vivait une pauvre vieille femme, qui
s'était ramassé un plat de haricots et voulait les faire cuire.
Elle dressa son feu dans la cheminée et l'alluma avec une
bonne poignée de paille pour qu'il brûle plus vite. Quand
elle mit ses haricots dans la marmite, il y en eut un qui lui
échappa par mégarde, et qui vint choir sur le sol juste à
côté d'un brin de paille; l'instant d'après, c'était un bout
de braise qui sautait du foyer et qui venait tomber auprès
des autres. Le bout de paille entama la conversation :

- Chers amis, d'où arrivez-vous comme cela ?
- La chance m’a permis de sauter hors du feu, répondit la braise et sans la force de cet
   élan, c'était pour moi la mort certaine : je serais maintenant réduite en cendres.
- Je l’ai échappé belle aussi, répondit le haricot à son tour, car si la vieille femme m’avait
   jeté dans la marmite, irrémissiblement c'en était fait de moi et j'étais cuit avec les autres.
- Croyez-vous peut-être que j’aurais eu un destin plus clément ? reprit le bout de paille.
   Tous mes frères, la vieille les a fait passer en feu et en fumée : soixante d'un coup, qu'elle
   avait pris, auquel elle a ôté la vie ! Moi, par bonheur, je lui ai filé entre les doigts.
- Et maintenant, qu’est-ce que nous allons faire ? demanda la braise.
- A mon avis, dit le haricot, puisque nous avons tous les trois si miraculeusement échappé à
   la mort, nous devrions nous unir en bons camarades et partir tous d'ici pour gagner un
   autre pays, afin d'éviter quelque nouveau malheur.

La proposition convint aux deux autres, et tous
ensemble ils se mirent en chemin. Ils arrivèrent
bientôt devant un ruisselet qui n'avait pas le
moindre pont, ni-même une passerelle, et ils ne
savaient pas comment passer de l'autre côté. Le
fétu eut alors une bonne idée et dit :

- Je vais me coucher en travers, et vous pourrez
   ainsi passer sur moi comme sur un pont.

La paille, donc, se suspendit entre une rive et l'autre,
et sur ce pont improvisé, la braise, avec son naturel ardent, s'avança hardiment, mais à tout petits pas pour ne pas renverser le fragile édifice. Arrivée au milieu, toutefois, en entendant le bruit que faisait le courant au-dessous d'elle, la peur la prit et elle s'immobilisa, n'osant pas se risquer plus avant ; aussi le bout de paille commença-t-il à prendre feu, se rompant net par le milieu et tombant dans l'eau, entraînant dans sa perdition la braise, qui chuinta en touchant l’eau et rendit aussitôt l'esprit.

Le haricot, demeuré prudemment sur la rive, partit d'un tel fou rire en voyant cette
histoire, et s’en tordit tellement sans pouvoir s'arrêter, que, pour finir, il éclata. C’en
eût été fini de lui pareillement, si par bonheur un compagnon tailleur qui faisait son
tour d'Allemagne ne s'était arrêté au bord de ce ruisseau pour se reposer. Par ce
qu'il avait bon cœur et l'âme secourable, le tailleur prit du fil et une aiguille et se mit
aussitôt à le recoudre.

Le haricot lui en fit ses remerciements chaleureux et
choisis comme on l'imagine; mais comme il avait
utilisé du fil noir, c'est pour cela que, depuis ce
temps -là, tous les haricots ont une couture noire.

Conte de Grimm

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire