C'était au temps lointain et heureux des hippopotames bleus.
Partout en ce temps-là, du fond des marécages qui bordaient
les cités, leur gros dos rond marquait l'horizon.
En bons maîtres du fleuve qu'ils étaient, ces pachydermes se
prélassaient avec délices dans les eaux tranquilles du Nil.
Autour d'eux, des fleurs poussaient et au fil du temps, leur
feuillage avait gravé son empreinte sur leur peau qui brillait
au soleil. Les poissons les frôlaient, les papillons s'y posaient
et les oiseaux picoraient sans crainte ces étranges rochers d'azur.
Un jour, le plus jeunes d'entre eux, qu'on nommait Petit Noun,
devint l'ami d'Antef, un grand vieillard aux cheveux blancs.
Chaque soir, côte à côte, ils admiraient le soleil couchant.
- Le soleil meurt chaque jour pour renaître chaque matin, disait
le vieil homme. Moi aussi, bientôt, je me coucherai comme lui.
Commencera alors pour moi un bien long voyage...
Quand Antef partit pour ce royaume inconnu et qu'on le coucha
dessous la terre, le petit hippopotame s'allongea près de lui et tomba
dans un profond sommeil. Le temps passa, des jours, des mois, des
siècles...
L'oubli semblait les avoies ensevelis pour de bon lorsqu'un beau
matin, dans les premières lueurs du jour, des pelles se mirent à
creuser la terre. Puis des mains commencèrent à la fouiller doucement.
Elles en sortirent un à un une foule d'objets, plus précieux les uns que
les autres. Réveillé en sursaut, Petit Noun fila se cacher sous une pierre.
C'est là seulement qu'il remarqua sa taille : au lieu d'avoir grandi au fil
des ans, il était devenu petit, tout petit...
A la première occasion, Petit Noun se glissa à l'air libre. Dehors, plus
rien ne ressemblait au pays d'autrefois. La cité s'était comme volatilisée
et dans le fleuve, les monts bleus avaient disparus.
Où était ses frères, ses amis, ses parents ?
Plus une fleur ne poussait alentour, plus un oiseau ne volait dans le ciel.
Le vent, le temps avaient tout emporté.
- Il faut que se retrouve les miens, se dit Petit Noun. Peut-être sont-ils
partis pour les pays lointains dont Antef m'a si souvent parlé...
Et il se mit en route, minuscule point bleu dans le grand désert doré. Il
trottina ainsi des jours durant. Plus il marchait, plus le sable lui collait
à la peau, recouvrant la belle couleur turquoise de son dos. Bientôt, il se
mit à briller autant que le soleil...
Peu à peu sous ses pattes, une terre argileuse finit par remplacer le sable
chaud du désert. Cà et là, des maisons bordaient la route. Au premier
coup de vent, Petit Noun prit des allures de soleil couchant.
Au loin, une forêt apparut. Petit Noun la traversa de bout en bout, se roula
dans les feuilles dont il se régala. Il en ressortit... vert prairie.
Un jour enfin, à l'autre bout du temps, Petit Noun aperçut de hautes
silhouettes à l'horizon. Un épais brouillard flottait dans l'air lourd de
poussière et de fumée. Epuisé, Petit Noun se coucha et s'endormit.
Lorsqu'il se réveilla, il était gris souris. Petit Noun soupira. Il
voyageait depuis si longtemps, jamais il ne retrouverait ses ancêtres
disparus !
Lorsqu'il vit l'eau qui coulait calmement dans les méandres du
fleuve, il s'y glissa pour y pleurer tranquille. Et là, soudain, tandis que
le courant lavait pour de bon son dos rond, il les aperçut... Ses parents !
Ses frères ! Ses amis ! C'étaient bien eux qui l'attendaient, là, dans leur
pyramide de verre ! Fou de joie, Petit Noun courut les rejoindre de toute
la force de ses petites pattes.
Depuis, il dort près d'eux dans la longue nuit du temps tandis que, un
peu partout sur terre, tous les hippopotames se baignent, inlassablement,
dans l'espoir de retrouver un jour leur dos turquoise d'antan.
PETIT NOUN, (GERALDINE ELSCHNER, ANJA KLAUSS) L'ELAN VERT
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