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samedi 21 avril 2012

Miss Monde des sorcières (chapitre 3 & 4)

3 - Un jugement hontoeuf

En fin d'après-midi, tout ce que la planète
comptait de sorcières avait défilé sur le
podium. Le Palais des Congrès avait été
transformé en iceberg, en pyramide, en
nid de diplodocus, en marais poitevin...
Même la plus âgée des sorcières, une
Mandchoue - on la disait aussi vieille que
le monde -, avait tenu à faire son numéro et à se montrer sous son plus beau jour.

Ce fut la seule à obtenir un franc succès, à cause de son âge, il faut bien
le dire, car son numéro de trapèze volant, avec un aigle royal, parut bien
ordinaire. Quand la dernière concurrente se fut présentée, la salle retrouva
un peu de calme.

Les sorcières attendaient le verdict. Un tableau lumineux géant s'éclaira
et afficha : Résultat dans 35 min. Trente-cinq minutes ! Jamais les sorcières
ne pourraient attendre aussi longtemps. Elles avaient bien trop envie de
connaître le palmarès du concours.

Pour les faire patienter, le personnage qui n'était qu'une bouche réapparut
sur scène. Les sorcières ne l'écoutaient pas, il parlait avec des mots bien trop
salés. Sa bouche était devenue difforme. Il employait des verbes piquants
et tartinait ses phrases de reproches. Il n'avait pas apprécié que les sorcières
mènent une telle sarabande dans le Palais des Congrès. Mais il parlait dans
le vide, car les sorcières trépignaient sur place.

Elles détestaient attendre. Elles regardaient l'avenir dans leurs boules de cristal.
Elles faisaient des réussites. Elles rongeaient leurs ongles crochus. Elles avalaient
des gâteries. Elles buvaient des bols de café. Les corbeaux et les crapauds,
pêle-mêle, ronflaient sur les tabourets du bar du Palais des Congrès.

Télé Mondio diffusait de la publicité, en veux-tu, en voilà. Les sorcières, la
bouche pleine, affirmaient :

- Oh ! Moi, je me moque bien du résultat...
- Oh ! Moi aussi...
- Oh ! Et moi donc, comme de mon premier balai...
- L'important est de participer, si, si, oui, oui, merci, ajouta la sorcière de
   la Grande Muraille.

Germaine Chaudeveine, pour la centième fois, déclara :

- Moi, je m'en vais...

Elle s'étira, et elle bâilla. Un énorme bâillement, qui résonna comme un cri de
Tarzan. Au même moment, à des kilomètres de là, quelque part en Amérique,
une citrouille, comme par miracle, redevint un ordinateur. Les savants, autour,
en tombèrent à la renverse.

Immédiatement, au Palais des Congrès, le nom de la gagnante s'afficha sur
le tableau électronique : Mademoiselle Filoche. Les sorcières rajustèrent
leurs lunettes. Qui était cette mademoiselle Filoche ? Personne ne la connaissait.
Il n'existait aucune Dame Malice portant ce nom.

Les sorcières se mirent à huer le tableau d'affichage. Elles lui tirèrent la langue.
Elles lui tendirent leurs fesses. Elles lui lancèrent des mots pourris :

- Tomate ! scandaloeufs ! hontoeufs !

Le tableau d'affichage disjoncta.

- Non, non, si c'est pas malheureux, faire tant de kilomètres pour voir ça...

Le refrain était le même sur toutes les bouches.

- Je vous l'avais bien dit, pestait Germaine Chaudeveine. Un attrape-pigeonnes...

4 - Miss Filoche

Quand soudain, une toute petite voix, mais toute petite, perça le tumulte des
protestations. D'ailleurs, comment une si petite voix arrivait-elle à sa faire
entendre ?

- Euh... Mademoiselle Filoche, c'est moi.

Toutes les têtes, sans exception, celles des sorcières, des spectateurs, des
téléspectateurs, des corbeaux, des crapauds, des mouches dans les
burgers-mouches, se retournèrent vers la porte du fond du Palais des Congrès,
dans laquelle se découpait une frêle silhouette.

- Oui, je suis Germaine Filoche...
- Oh ! Germaine ! Comme moi... s'exclama, attendrie, Germaine Chaudeveine.
- Je ne suis pas une sorcière, je suis la femme de ménage du Palais des Congrès !
- Une femme de ménage, Miss Monde des sorcières ! Alors celle-là, c'est la
   meilleure...

Les sorcières en riaient aux larmes. Ce jugement, malgré tout, leur convenait,
car aucune d'elles ne pouvait être jalouse d'une femme de ménage... Même
si elles avaient été bernées, elles reconnurent avoir passé une agréable journée.

Elles avaient renoué des contacts, échangé des fiches-cuisine, papotiné à loisir,
elles qui, d'habitude, vivaient comme des ermites. Avant de se quitter, elles
jurèrent de se revoir plus souvent. Chacune d'elles acheta, encore, un tee-shirt
souvenir de la rencontre.

Les corbeaux et les crapauds se racontèrent une dernière blague poilante. Puis,
dans un concert de klaxons, en un coup de balai, les sorcières repartirent aux
quatre coins du monde. Germaine Chaudeveine fit un dernier tour au-dessus du
Palais des Congrès. Elle pensa tout haut :

- Cette petite Germaine Filoche est de la graine de sorcière. Si je m'en
   occupais un peu... Qu'en penses-tu, vieille patate déplumée ? demanda-t-elle
   à son corbeau qui, soûlé de sirop aux orties, roupillait dans une sacoche de
   son balai.

- Hmmmuuu, fit l'oiseau, qui avait la tête lourde, mais lourde...

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