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samedi 21 avril 2012

La caravane

A perte de vue, tout n'est que dunes, tout
n'est que ciel. Au coeur de cette immensité
défile une caravane nonchalante.
Tintinnabulent les clochettes des chameaux
et celles, d'argent, des chevaux. Un nuage
de poussière talonne l'équipage. Quand le
vent se soulève, chassant le nuage un
instant, on entrevoit les armes étincelantes et les costumes moirés des voyageurs.

A distance du train des marchands, depuis une haute dune, un cavalier se
tient immobile sur son coursier arabe. Une peau de tigre couvre le dos de
l'animal, les grelots de son collier ouvragé, d'un pourpre profond, brimbalent
gaiement, et sur sa gracieuse tête danse une plume de héron. La splendeur
du cheval n'a d'égale que celle de son cavalier : il porte bas sur son front un
turban blanc nervuré d'or, son habit et son pantalon bouffant d'un rouge
sombre chatoient au soleil, à son côté pend un sabre incurvé au pommeau
richement ouvragé. Ses yeux noirs comme la nuit, son nez aquilin et sa barbe
fournie forcent le respect.

Soudain, le cavalier et sa monture s'élancent à la
rencontre des marchands. Voyant galoper vers
lui à vive allure un étranger, le chef des gardes,
craignant une attaque, brandit sa lance. Étonné
de cet accueil belliqueux, l'homme s'exclame :

- Songes-tu qu'un cavalier solitaire soit à même
   d'attaquer à lui seul une caravane entière ?

Honteux, le garde baisse son arme et souhaite la bienvenue à l'étranger.

- Qui est le maître, ici ? demande le cavalier.
- La caravane appartient à cinq marchands de retour de la Mecque. Ils 
   regagnent leur pays respectif, répond le chef des gardes. Nous les escortons.
   Il arrive en effet que des voleurs écument le désert.
- Alors, mène-moi auprès d'eux, ordonne l'homme au turban blanc.
- C'est pour l'heure impossible, rétorque le garde. Mes maîtres se trouvent
   à l'autre bout de la caravane, à plus d'un kilomètre derrière nous. Mais, si
   tu le veux, tu peux nous accompagner et attendre qu'ils nous rejoignent à
   notre prochaine halte.

Au bout de plusieurs heures de route, la
troupe s'arrête. Bientôt les marchands,
trois hommes d'âge mûr et un plus jeune,
font leur apparition. A leur suite, de
nombreux chameaux et les chevaux de
bâts closent la procession. Au milieu du
campement, l'on dresse promptement leur spacieuse tente, dans laquelle le guide de tête invite le cavalier à entrer.

- Je m'appelle Selim Barouh, neveu du Grand Vizir, et je viens de Bagdad, se
   présente l'étranger. J'ai été enlevé par un brigand sur la route de la Mecque.
   Mais, il y a trois jours de cela, j'ai réussi à m'enfuir. J'errai dans le désert quand
   j'ai entendu tintinnabuler les grelots de vos bêtes, alors j'ai su que le prophète
   avait exaucé ma prière. Accordez-moi la faveur de chevaucher sur votre noble
   protection...

Le plus âgé des marchands l'interrompt et clame :

- Selim Barouh, sois le bienvenu ! Assieds-toi avec nous, bois et mange.

A la fin du repas, les cinq hommes sortent leur pipe et fument sans parler, observant
les ronds de fumée qui se dissipent dans l'air. Le plus jeune rompt le silence :

- Nous allons rester ici trois jours sans rien
   faire d'autre que nous reposer. 
   Posséderais-tu par hasard un talent qui
   nous ferait passer le temps ?
- Je possède, en effet, un talent qui pourrait
   vous faire passer le temps.
- Et quel est-il ?
- Je suis diseur de contes.

A ces mots, les cinq marchands se rapprochent de lui. Les serviteurs remplissent les
coupes, bourrent les pipes de leurs maîtres avec du tabac frais et, comme le soir
tombe, ils allument les lampes et une lumière dorée envahit la tente.

Alors le neveu du Grand Calife de Bagdad, Selim Barouh, aspire une longue bouffée
de tabac à l'arôme suave, rejette loin de sa barbe fournie un anneau de fumée,
éclaircit sa douce voix grave et dit :

- Écoutez ! Écoutez par ma voix les mille et une histoires du désert contées de par le
   vaste monde, le soir, à la lumière dorée des lampes...

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