publicité

samedi 21 avril 2012

Miss Monde des sorcières (chapitre 1 & 2)

Un - Un concours exceptionnel

La nouvelle n'avait fait qu'une traînée de poudre. Un
grand concours allait être organisé afin d'élire Miss
Monde des sorcières.

- Qu'est-ce que c'est encore que cette histoire ?

Germaine Chaudeveine n'en croyait pas ses vieilles
lunettes. Elle relut le fax dans tous les sens.

- Miss Monde des sorcières ! Un attrape-pigeonnes, oui, s'exclama
   Germaine Chaudeveine. Ce n'est pas moi qui pointerais mon balai dans
   un cinéma comme ça.
- On verra, lança, évasif, son corbeau vautré dans le sofa.
- Ta boîte, toi, vieille patate déplumée !

Partout, aux quatre coins du monde, la nouvelle reçut à peu près le même
accueil. Au Groenland, la sorcière des Glaces groenmela :

- Il ferait chaud que je participe à un tel carnaval !

A Moscou, la sorcière de la Tocquée du Dôme, une noble, revissa sa tête,
qu'elle était en train de se faire nettoyer, et dit :

- Niet, drrois ffois niet : niet, niet, niet !

Au plus profonds de l'Afrique, la sorcière Boubourose s'esclaffa :

- Y rigolent, on n'est pas des boubous-guignols...

Alors qu'en Chine, la sorcière de la Grande Muraille s'excusa dans des mots
pincés :

- S'il vous plaît, non, merci beaucoup, pardon, merci, non.

A Blairac, dans le Cognac, Germaine Chaudeveine ajouta :

- Que le crétin qui a eu cette idée se transforme en citrouille !

Foi de Dame Malice, juré, craché, bave de crapaud, aucune sorcière ne
participerait à cet étalage de potiches.

Le grand jour du concours arriva. Pas une sorcière... ne manquait à l'appel.
Elles étaient toutes là, pomponnées, endimanchées, certaines perchées sur
d'extraordinaires talons aiguilles, d'autres coiffées d'invraisemblables frisettes,
d'autres encore prisonnières de gaines, de corsets, leurs jambes biscornues
enveloppées de bas résille en pure toile d'araignée.

Elles riaient comme des sottes. Elles se chamaillaient. Elles se bousculaient
pour inscrire leurs noms sur la liste des concurrentes. Elles se pinçaient les
or des fesse. Elles se jetaient à la figure des sorts qui avaient très mauvaise
haleine. L'immense Palais des Congrès, où avait lieu le concours, tremblait
d'un brouhaha indescriptible.

Pendant ce temps, à des milliers de kilomètres de là, quelque part en Amérique,
un tas d'ingénieurs se penchaient toujours sur le cas d'un ordinateur devenu
subitement une citrouille. Les savants américains en avaient perdu leur latin. Ils
s'arrachaient les cheveux, puis les idées, les unes après les autres.

Les corbeaux et les crapauds, qui accompagnaient les sorcières, s'étaient tous
retrouvés au bar du Palais des Congrès. Ils trinquaient. Ils se tapaient dans le
dos. Chacun à leur tour, ils racontaient des histoires drôles qui les faisaient
crachoter de rire.

Les crapauds sautaient dans les verres de sirop d'ortie des corbeaux. Et les
corbeaux piétinaient les burgers-mouches des crapauds. Bref, ils s'amusaient.
Quand, soudain, les hauts parleurs réclamèrent le silence.

2 - Les extravagances de ces dames

Un personnage, qui n'était qu'une bouche, apparut. Il prononça un beau mais
lourd discours, fait des mots en sucre, d'adjectifs en miel et d'éloges en pâte de
fruits. Les sorcières croquaient ses paroles. Elles étaient toutes séduites car c'était
une très belle bouche. Il déclara le concours ouvert.

La première à monter sur scène fut Germaine Chaudeveine. Elle fit son
intéressante. Elle marcha sur la tête en tordant des fesses, elle fit le grand écart,
elle avala un sabre, elle disparut dans son nombril en un clin d'oeil, elle en
ressortit les pieds en avant, elle fit passer son corbeau dans un cercle de feu,
elle transforma son crapaud en dentier, elle dansa le boogie-wogie sur la tête
d'une épingle, tout ça dans le temps réglementaire de moins d'une minute.

Germaine Chaudeveine regagna sa place sous les huées et les railleries de ses
consoeurs sorcières, ce qui dénotait, là, leur manque absolu de sportivité. Son
corbeau, qui empestait le cochon brûlé, déclara :

- Complètement cinoque, l'ancêtre, j'y ai laissé des plumes. Un peu plus, j'étais rôti
   comme un poulet !

Le crapaud, devenu dentier, faisait les cent sauts sur la scène et répétait :

- Eh ! Oh ! Clac, clac ! Et moi ?

Tour à tour, les sorcières se présentaient sur l'estrade. Télé Mondio, qui avait
vendu son âme pour retransmettre l'événement en direct, ne savait plus où
donner de la caméra. La sorcière Boubourose, qui, pour l'occasion, avait
enfilé un maillot de bain dernier cri en peau de verre de terre, se fit femme-boa,
femme fatale, femme à trois têtes, femme-objet, femme portant une culotte de
fer, femme-modèle, femme-top, femme-type, puis termina en pomme d'amour.

La sorcière de la Tocquée du Dôme arriva en haillons de fils d'or. Tous les trois pas,
sa tenue changeait. Elle devenait une robe de soirée cousue de serpillières perlées,
un petit tailleur printanier boulonné de diamants, une toge faite de la toute
première lumière du temps, un justaucorps serti de cheveux d'ange, le boléro
d'une étoile filante...Toutes ces créations portaient les signatures des plus
grands couturiers. Dans le public, les sorcières étaient déchaînées. Elles
hurlaient des mots-casse-figure :

- Peau de banane ! Beurrée mémée ! Tranche d'huile ! Face de verglas ! Claudia
   Chiffon !

Elles sifflaient entre leurs doigts. Elles faisaient des croche-pieds, des pieds de nez,
des nez d'honneur à celles ou ceux qui les regardaient. A coups de formules
magiques, elles changeaient la couleur de peau des uns et des autres. Les corbeaux
et les crapauds n'en croyaient pas leurs yeux, ni leurs oreilles, devant un tel
charivari. Ils disaient :

- Non, non, alors là, elles poussent... Ce n'est pas possible, ce doit être le diable 
   lui-même qui a organisé cette élection...

Les sorcières avaient aussi bien ri quand la femme de ménage du Palais des
Congrès, toute petite, toute fluette, avait voulu ramasser le crapaud transformé en
dentier, qui sautillait de long en large.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire