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samedi 25 février 2012

Celle que j'aime (version longue)

Lundi, pour la première fois depuis que je la connais, Lison
a déjeuné à la cantine. Elle a grimacé devant les saucisses.
Timidement, elle a dit à la cantinière :

- Je ne prendrai que des légumes, s'il vous plaît. Je suis
   végétarienne.

Alors, PATACLANG ! Sidéré, j'ai lâché mon plateau. Tous
les enfants m'ont regardé. La surveillante a hurlé mais je n'arrivais plus à bouger. Je devenais statue. Mes pieds, recouverts de morceaux de verre, restaient englués dans la purée de pommes de terre. L'air ahuri, j'ai fixé mes
saucisses. Comme deux ressorts jumeaux, elles avaient rebondi et atteri ensemble sur une chaise.


Petit à petit, les bruits autour de moi se sont assourdis. Je n'entendais plus
rien qu'un grondement semblable à celui de la soufflerie d'un parking. Je me
noyais dans la panique, je respirais à peine, j'étouffais même. La nouvelle
m'avait démoli, déboussolé, pétrifié. Mon pauvre cerveau, dur comme un
fossile, ne fonctionnait plus du tout.


Jusqu'alors, j'avais été très amoureux de Lison. J'avais hâte de la voir chaque
matin. Elle m'offrait de merveilleux dessins de libellules aux ailes transparentes
et pailletées. Chaque soir, je scotchais ses oeuvres sur la porte de ma chambre
et j'imaginais notre avenir en souriant. C'était peut-être ridicule, mais je nous
voyais tous les deux charcutiers, comme mes parents, qui tiennent la plus belle
boutique de la ville, au rez-de-chaussée de notre maison.

Ma mère crée des décors originaux pour notre vitrine, qui clignote de mille et
une loupiotes. On dirait que nous fêtons Noël toute l'année. Dans la cuisine,
mon père prépare le meilleur pâté du quartier : au foie, aux pistaches et aux noix.
Maman propose à nos clients d'excellents plats cuisinés. Ils apprécient sa
gentillesse et ses sourires ensoleillés. Mes parents sont tellement heureux de
travailler ensemble. Ils se complètent parfaitement. Maman fait tout ce que papa
ne sait pas faire. Papa fait tout ce que maman ne sait pas faire. Jusqu'à ce midi,
j'avais toujours pensé que Lison saurait me compléter un jour, dans notre belle
charcuterie.


Je n'avais jamais parlé de mes projets ni du métier de mes parents à Lison. Mais
elle, en quelques mots, venait de démolir mon rêve. Maintenant je devais choisir :
Lison ou la charcuterie. Un choix douloureux, impossible. Lison était intelligente
et si jolie ! Mais la charcuterie, c'était ma vie, mon bonheur, mon envie ! Avec
mes parents, j'apprenais le métiers. Je concoctais de délicieuses terrines. Je
tranchais le jambon à la machine. Je préparais la gélatine et les pommes
mousseline. Après l'incident de la cantine, comme je ne pouvais pas avouer à
Lison que j'adorais ce qu'elle détestait, j'ai décidé de ne plus jamais lui adresser
la parole.

Pour ne pas la rencontrer, je me suis caché dans les toilettes jusqu'à la fin de la
récréation. Puis, à quatre heures et demi, quand la sonnerie a retenti, je suis rentré
chez moi en courant, sans me retourner. J'ai pleuré dans mes bras croisés, sur mes
cahiers, sur mon oreiller. Le lendemain matin, j'avais les yeux tout gonflés.
Maman, qui ne connaissait pas l'objet de ma peine, a pensé que j'étais allergique
au pollen. Alors je suis resté au lit, bien à l'abri.

J'avais beau me protéger sous la couette, Lison revenait sans arrêt dans ma tête.
Sur ma porte, les grands yeux noirs de ses libellules me fixaient. Je revoyais ses
jolies mains qui dessinaient si bien et son grain de beauté, comme un minuscule
confetti sur le bout de son nez. Pour oublier Lison, je me suis promis de ne plus
jamais retourner en classe. Je ne voulais pas souffrir face à cet amour impossible.
Cependant, il restait encore trois mois d'école avant la fin de l'année et je me suis
douté que mes allergies printanières ne me serviraient pas d'excuse aussi
longtemps. J'ai essayé de me convaincre que d'autres filles, moins végétariennes
que Lison, pourraient éventuellement me compléter à la charcuterie. Après tout,
Lison n'était sans doute pas irremplaçable.


Malheureusement, Eloïse n'avait pas de grâce, Lina se rongeait trop les ongles,
Flavie n'aimait pas les garçons et Armelle ne parlait que d'équitation... J'ai donc
éliminé ces demoiselles de ma liste. Il restait encore six filles dans ma classe, mais
elles ne m'intéressaient pas du tout, du tout; d'ailleurs, je ne leur avais presque
jamais parlé depuis le début de l'année. Elles ne cherchaient qu'à embrasser les
garçons sur la bouche. Elles faisaient des concours du plus long kiss et
comptabilisaient leurs exploits.

- J'en suis à treize cette année ! se vantait Anastasia.
- Treize !!! Mais où est-ce que tu trouves les garçons ? retorquait Mathilde.
- Ce sont les copains de mon frère !
- Mais ton frère a dix-sept ans !
- Justement, à cet âge-là, ils veulent bien !
- Tu racontes n'importe quoi ! Comment peut-on vérifier d'abord ? Tu frimes et tu
   mens ! Alors que moi, je ne mens pas, je n'en suis qu'à trois kiss cette année,
   mais j'ai tenu deux minutes et dix-sept secondes avec Joseph Ruinard du CM1 ! 
   Et tout le monde peut le confirmer. Sarah nous a même chronométrés !

Je ne pouvais pas envisager de passer ma vie avec de telles idiotes. Personne ne
saurait donc prendre la place de Lison dans mes rêves. Ce soir, Lison m'a
téléphoné :

- C'était triste la récréation sans toi.

J'ai répondu : Merci.

C'est tout ce que je me suis autorisé à lui dire. Un merci qui tremblotait et vacillait
comme une flamme de bougie dans un courant d'air. J'ai raccroché et j'ai frotté
mes yeux qui débordaient de nouveau.

- Qu'est-ce qu'il t'arrive Paul ? m'a demandé maman.

Comment lui avouer que j'était amoureux d'une végétarienne ? Je ne voulais pas
la décevoir. Elle qui passait sa vie au milieu des jambons, des saucisses et des
lardons. Je ne devais pas la trahir. Il fallait continuer à lui ressembler, rester le
meilleur fiston que deux charcutiers aient pu élever.


Maman me connaissait si bien. J'ai eu peur qu'elle devine tout, juste en me
regardant. Souvent je me sens trop transparent. Maman lit en moi tous mes
secrets ! C'est agaçant ! J'avais hâte qu'elle ne me regarde plus et qu'elle s'en
aille. Mais elle m'a dit :

- Pourquoi pleures-tu ? Ce n'est pas une fille tout de même qui te met dans cet
   état ?

J'ai réagi de ma voix tremblante :

- Mais non ! Ne t'inquiète pas maman ! C'est encore le pollen !
- Mouais ! a-t-elle bougonné.

Ce qui signifie en général : Je ne crois pas vraiment à ton histoire mais je ne vais
pas t'enquiquiner plus parce que je n'ai pas que cela à faire. D'ailleurs, elle est
repartie immédiatement à la boutique. Lorsque je suis malade, notre maison-
boutique est très pratique. Maman peut monter me voir régulièrement. Nous
n'avons jamais besoin de baby-sitter. Décidément, chez nous, tout est idéal !
Lorsque je serai grand, je ne pourrai pas habiter ailleurs. Mes parents, eux, ont
déjà décidé qu'ils déménageront à la campagne dès qu'ils prendront leur retraite.
Je pourrai donc m'installer ici avec ma future femme.


J'ai pris des cachets anti-allergie pendant deux jours et je n'ai pas eu le choix, je
suis retourné à l'école. Je ne parlais plus à Lison. Alors, à son tour, elle s'est mise
à pleurer. Elle me trouvait méchant. J'ai résisté à l'envie de la prendre dans mes
bras et de la consoler. Il fallait accepter l'inacceptable : nous n'étions pas fait l'un
pour l'autre.


En classe, j'ai fait semblant d'écouter la maîtresse mais je n'ai pas cessé
d'espionner Lison. Je jetais des petits coup d'oeil inquiets vers sa table. Je ne
voulais surtout pas qu'elle se rende compte que je tenais à elle, malgré tout. C'était
terrible. Mon coeur ne battait que pour elle et mes idées ne tournaient qu'autour
d'elle. Lorsque j'additionnais des mètres, je pensais à la distance qui nous séparait
dans la classe. Lorsque je multipliais des kilos de pommes, je rêvais d'ouvrir un
magasin de fruits pour lui plaire. Mais le pire est arrivé lorsque le prof de gym a fait
l'appel sur le terrain de sport. Au lieu de répondre : présent ! je me suis écrié : Lison

Bien sûr, les élèves m'ont taquiné tout l'après-midi. Les six professionnelles du
baiser sur la bouche ont voulu savoir si Lison et moi "nous l'avions déjà fait".
Je me suis étonné :

- Déjà fait quoi ?
- Le kiss !!! ont-elles hurlé en choeur.

Comme c'était la première fois que j'avais l'occasion de m'adresser à tant de
bêtasses à la fois, j'ai décidé de redoubler de sottise pour me moquer d'elles
toutes. En fait, j'espérais secrètement que Lison remarquerait mon sens de
l'humour. Je sentais bien qu'elle me fixait sans arrêt depuis que j'avais crié
son prénom. J'ai répondu très sérieusement :

- Oui,  nous l'avons déjà fait. Quatorze fois ! Et le plus long kiss a duré deux minutes
   cinquante-huit. Ma grande soeur a chronométré. Je ne mens pas !

Lison, qui tendait l'oreille, a souri. Les six embrasseuses ont blêmi de jalousie,
frappé du talon, fait grincer leurs dents. Puis, flanquant leurs mains sur leurs
hanches pour se donner plus d'épaisseur et d'importance, elles se sont dirigées
vers Lison, de l'autre côté du terrain de volley. Il s'agissait de vérifier mes dires.

Malgré le silence vexant que je lui réservais ces derniers temps, Lison a confirmé
mon mensonge. Puis elle est passé de mon côté du terrain pour ramasser le ballon
et me faire un clin d'oeil. A plusieurs reprises, elle a essayé de me viser avec la balle
en riant, mais je suis resté fier et intouchable. Bon sang ! Qu'il était difficile d'être
insensible à sa complicité et à son humour ! Cette fille était décidément parfaite. Je
souffrais tant de la connaître. Théophile, mon meilleur ami, s'est inquiété :

- Tu es amoureux ou quoi ?
- Quoi.
- Quoi, quoi ? s'est-il énervé. Ca n'est pas une réponse ! Sois tu l'aimes et tu lui dis,
   soit tu ne l'aimes pas, mais alors tu ne cries pas son nom n'importe quand. Il faut
   être logique dans la vie !
- Mais je ne peux pas être logique ! Je l'aime alors qu'elle ne m'aimera jamais !
- Et pourquoi ça ?
- Elle n'aime pas les saucisses !

Théophile a éclaté de rire et m'a traité de fou :

- Tu te prends pour une saucisse maintenant ?
- En quelque sorte. Tu sais bien que mes parents sont charcutiers.
- Mes parents à moi sont dentistes. Ce n'est pas pour ça que je suis une molaire ! Et
   puis je ne vois pas ce que viennent faire les saucisses dans cette histoire d'amour.
- Les saucisses ont détruit mes rêves...

Théophile m'a touché le front. Il a tout de suite soufflé sur sa main :

- Tu es fiévreux ! Tu délires complètement !

Avant de rentrer à la maison, Lison s'est collée à moi dans le rang que nous avions
formé pour regagner la porte de l'école.

- Quand est-ce que tu vas me reparler ? Je sais que tu en meurs d'envie !

J'ai pressé le pas pour éviter de sourire. J'ai doublé les autres et je me suis enfui en
courant. De nouveau, j'ai pleuré, de nouveau, j'ai souffert, de nouveau, je n'ai eu
dans la tête que les mains de Lison qui dessinent et le mini-confetti qui décore le
bout de son nez. J'étais obsédé. Pour l'oublier, j'ai regardé un film drôle. Mais rien
ne parvenait à me faire rire. Vite, j'ai avalé mon dîner et je me suis couché, tout
habillé.

Le lendemain matin, sous la porte de la charcuterie, j'ai découvert un beau dessin
de libellule accompagné d'un petit mot.

Théophile m'a parlé de ton étrange problème de saucisses, alors je t'ai suivi
jusqu'ici et j'ai tout compris ! Je t'aime comme tu es. Lison.

Je suis parti à l'école en sifflotant. Léger comme les dessins de Lison. Je volais, je
dansais, je tournoyais de bonheur. Je venais de réaliser que s'aimer ne signifiait pas
forcément se ressembler. Mais il a fallu affronter la réalité. Lison ne deviendrait,
malgré tout, jamais charcutière ! Comme je n'avais rien à perdre, je me suis lancé,
tel un chevalier téméraire :

- Accepterais-tu, malgré tout, un jour, de devenir ma charcutière ?
- Oui ! m'a-t-elle répondu, sans hésiter. On ouvrirait la première charcuterie
   végétarienne ! On y vendrait du janmbon de soja, du pâté de luzerne, des
   tas d'aliments qui n'existent pas encore...
- Du saucisson de fleurs !

J'était content de ma trouvaille, content de plaire à Lison qui me regardait avec tendresse.

- Du boudin de fruits rouges ! a-t-elle surencheri en
   riant !

Ainsi avons-nous rêvé ensemble toute la matinée.
J'ai compris alors que, entre Lison et moi, c'était
parti pour la vie. J'ai pleuré encore, mais cette
fois, des larmes de joie. Et je suis rentré chez
moi. Comme mes yeux étaient un peu bouffis,
pour rassurer maman, une dernière fois j'ai dit :

- C'est à cause des pollens, à mon avis ! 

jeudi 23 février 2012

Comment la poche est venue au kangourou

Maman kangourou était épuisé par son
bébé, le jeune Joey, qui lui donnait du
fil à retordre. Dès qu'elle avait le dos
tourné, il sautillait à droite et à gauche
pour explorer le monde. Elle avait peur
de finir par le perdre. Un matin, alors
que Joey et sa mère broutaient dans les
plaines, un wombat très vieux et affaiblit
rampa jusqu'à eux.

- Je suis malade et aveugle, dit-il. J'ai faim
   et soif. Et je n'ai pas un seul ami au
   monde.

Maman kangourou eut pitié de lui.

- Je veux bien être ton amie, dit-elle. Accroche-toi à ma queue, et je vais
   te trouver un endroit ou boire.

Et ils se mirent en route. Le trajet ne fut pas facile. Le vieux wombat passait
son temps à lâcher la queue de maman kangourou, et Joey à traîner derrière.
Mais enfin, ils atteignirent un point d'eau. Alors, le vieux wombat put boire,
boire et boire encore. Puis il recommença à se plaindre :

- Oh la la, comme j'ai faim ! Je suis affamé, je
   n'ai pas mangé depuis des jours !
- Accroche-toi à ma queue, répondit maman
   kangourou. Je vais t'emmener dans un
   endroit où l'herbe est tendre.

Et ils repartirent. Cette fois, le voyage fut
encore plus difficile. Le vieux wombat
passait son temps à décrocher. Joey était
fatigué et grognon, et il voulait que sa mère
le porte. Mais les petits bras de maman
kangourou étaient trop courts. Péniblement, ils poursuivirent leur chemin. Enfin, ils parvinrent à une riante étendue d'herbe grasse. Et le vieux wombat mangea, mangea et mangea encore.

Maman kangourou le ragardait, heureuse qu'il eût enfin l'air content. Soudain, elle
se figea. Elle resta parfaitement droite et immobile. Son nez frémit. Elle sentait un
danger. Un instant plus tard, un chasseur armé d'un boomerang courait vers eux,
les yeux rivés sur le wombat.

- Si je ne viens pas en aide à cette pauvre vieille bête, se dit maman kangourou, le
   chasseur va la tuer.

Elle fit des bonds devant le chasseur pour attirer l'attention, puis s'eloigna dans les
plaines. Le chasseur se dit qu'un steak de kangourou serait bien meilleur qu'un
vieux wombat coriace. Il s'élança sur les traces demaman kangourou. Il lança son
boomerang. Mais maman kangourou courait plus vite que le chasseur, et elle
esquivait son boomerang. Elle le fit courir,courir et courir encore. A travers les
broussailles. D'un bond à l'autre de la plaine. Par-delà les collines. Jusqu'à ce que
le chasseur,  épuisé et déçu, rentrât chez lui.

Alors maman kangourou revint à l'endroit où elle avait laissé son Joey et le
wombat. Ils n'étaient plus là. Affolée, maman kangourou s'élança à leur
recherche. Elle fouilla les broussailles. Elle scruta les rochers, et l'ombrage
des arbres. Sans cesser de crier :

- Joey, Joey ! Où es-tu ?

Enfin, elle le trouva,endormi sous un eucalyptus. Elle le berça dans ses petits bras.

- Oh, Joey ! murmura-t-elle. Cette fois-ci, j'ai bien cru que je t'avais perdu.

Elle lui demanda ce qu'était devenu le vieux wombat. Mais tout ce que put lui dire
Joey fut qu'il avait "disparu comme par enchantement". Ce que ni Joey ni sa mère
ne savaient, c'était que le vieux wombat tout faible, en réalité, n'était pas du tout
un wombat. C'était un esprit du créateur qui était descendu sur terre pour trouver
et récompenser l'animal le plus gentil et le plus doux.

L'esprit créateur avait décidé qu'aucun animal ne pouvait être plus gentil et plus
doux que maman kangourou. Aussi, cette nuit-là, pendant que maman kangourou
dormait, l'esprit laissa un cadeau à côté d'elle : un sac tressé avec de la ficelle.
Quand maman kangourou se réveilla et vit le sac, elle se demanda tout d'abord
ce qu'elle allait en faire. Elle le noua autour de sa taille. Et en un instant, l'esprit
le transforma en une poche.


Le petit Joey avait désormais un
endroit où se reposer, dormir,
rester au chaud et se cacher.
Maman kangourou avait un
endroit où elle pouvait garder
son Joey tout contre elle tant
qu'il était petit ou quand il était
en danger. Depuis lors, les kangourous et autres marsupiaux sont les seuls animaux au monde pourvus d'une poche, dans laquelle ils font naître leurs enfants et s'en occupent.

mercredi 22 février 2012

Le petit chaperon vert

Il était une fois une petite fille que tout le monde
appelait "petit chaperon vert" parce qu'elle
portait une sorte de capuchon pointu et vert. Sa
grande soeur portait un chaperon jaune et sa
meilleure amie un chaperon bleu. Mais elle avait
une ennemie (une petite fille qu'elle détestait
parce que c'était une menteuse) qui portait un
chaperon rouge... et celle-là, elle la détestait
vraiment.

Un jour, sa mère lui dit :

- Petit chaperon vert, ta grand-mère est très malade.
- Oh non ! fit la petite fille qui aimait beaucoup sa grand-mère.
- Il faut lui porter des médicaments et des bonnes choses à manger, mais ni
   ta soeur, ni ton père ne sont là. Est-ce que tu as le courage d'y aller, malgré
   le loup qui rôde, affamé, dans la forêt ?
- Bien sûr, répondit la petite fille.
- Voilà, prends ce panier et va, mais fais bien attention au loup !
- Oui, oui, dit la petite fille.

Elle partit courageusement après avoir mis son chaperon vert. Et dans les bois,
qui rencontra-t-elle ? Le petit chaperon rouge, qui cueillait des fleurs et ramassait
des girolles ! Elle aussi avait un panier rempli de médicaments et de nourriture, et
le petit chaperon vert pensa que sa grand-mère aussi devait être malade. Comme
elle la détestait, elle ne lui dit pas bonjour et passa son chemin.

Elle n'avait pas fait cent pas qu'un énorme loup noir la croisa en courant, hors
d'haleine. Elle n'eut même pas le temps d'avoir vraiment peur, tellement le loup
allait vite; et il ne fit pas attention à la petite fille tout de vert vêtue, assise dans
les herbes vertes de la forêt. Une fois remise de ses émotions elle reprit son
chemin.

Arrivée chez sa grand-mère, le petit chaperon
vert tira la chevillette pour que la bobinette
puisse choir, et la porte s'ouvrit. La petite fille
donna ses médicaments et les bonnes choses
à manger à sa grand-mère. La vieille dame ne
voulut même pas y goûter tellement elle se
sentait mal.

- Ne t'approche pas de bmoi, dit-elle à la petite fille, tu es mbignonne à croquer bais
   j'ai un gros rhumbe et tu risques de l'attraper. Il ne mbanquerait plus que ça !
- Bien, grand-mère, dit la petite fille. Alors je m'en vais. Au revoir ! Ah ! J'ai
   oublié de te le dire : j'ai rencontré le loup.
- Hein ? dit la grand-mère. Mbon dieu ! Et tu n'as pas eu peur ?
- Pas du tout, dit la petite fille. Il courait tellement vite qu'il n'a pas eu le temps de
   me voir.
- Mbon dieu ! répéta la grand-mère. Quelle chance tu as eue !

Elle lui fit un baiser sur la main et la petite fille s'en alla. Sur le chemin du retour,
elle croisa le petit chaperon rouge qui continuait à cueillir des fleurs bien
tranquillement.

- Tu sais, lui dit le petit chaperon vert, je ne t'aime pas mais je voudrais quand
   même te prévenir : j'ai vu le loup, tout à l'heure !
- Moi aussi, moi aussi, chantonna le petit chaperon rouge en lui tirant la langue.
   Il m'a même demandé ce-que-je-faisais dans les bois et-où-j'allais avec mon
   panier, nananananère !
- Attention, il est très méchant ! dit le petit chaperon vert. Tu chantes, tu chantes,
   mais tu sais ce qui peut arriver ? Eh bien, il peut te manger et même manger
   ta grand-mère !
- Manger ma grand-mère ? fit le petit chaperon rouge en levant les yeux au
   ciel. Pfff ! Tu dis n'importe quoi !
- On verra, dit le petit chaperon vert, on verra !

Le petit chaperon rouge lui tira une dernière
fois la langue et continua à cueillir des fleurs
comme si de rien n'était. Le petit chaperon
vert rentra à la maison.

- Alors ? lui dit sa maman. Tout s'est bien passé ?
- Très bien, dit le petit chaperon vert.
   Mère-grand a simplement un gros
   rhume et elle n'a pas voulu m'embrasser.
   Je lui ai quand même donné tout ce que tu as préparé pour elle.
- Bien, dit sa maman. Et tu n'as rencontré personne dans le bois ?
- Si ! Le petit chaperon rouge. Et puis le loup, aussi.
- Mon dieu ! fit la maman. Le petit chaperon rouge ? Mais c'est terrible, ce que tu
   me dis là ! Le loup va la manger ! Ne sais-tu pas que le loup mange tout ce qui
   est rouge ? La viande rouge, les fruits rouges, mais surtout les petites filles
   habillées en rouge ?
- Mais non, maman, ne t'inquiète pas, dit la petite fille. J'ai vu le petit chaperon
   rouge après avoir vu le loup et d'ailleurs, le loup courait à toute vitesse, il
   avait l'air très pressé.
- Ah bon ! fit la maman avec un soupir de soulagement. Tu me rassures. Mais quand
   même, je ne suis pas tout à fait tranquille, tu ne voudrais pas la raccompagner
   chez elle ? Je sais que tu n'aimes pas tellement le petit chaperon rouge, mais si
   jamais il arrivait quelque chose, ce serait terrible ! Et toi, habillée en vert, avec
   ton chaperon vert parmi les hautes herbes vertes de la forêt verte, tu ne risque
   pas grand-chose et c'est d'ailleurs pour ça que je t'habille toujours en vert.

Le petit chaperon vert retourna courageusement dans le bois bien que la nuit fût
sur le point de tomber et qu'elle détestât le petit chaperon rouge. A peine
avait-elle fait deux cents pas qu'elle rencontra des chasseurs qui transportaient
le loup ligoté sur une branche, tout à fait mort. Et qui les accompagnait ? Le petit
chaperon rouge, qui courut vers elle dès qu'elle l'aperçut, en chantant :

- Tu avais raison, tu avais raison, le loup m'a mangée, le loup m'a mangée,
   et-il-a-aussi mangé ma grand-mère, nananananère.
- Je ne te crois pas ! dit le petit chaperon vert. Tu es une menteuse. J'ai dit
   ça pour te faire peur et toi tu crois que c'est la vérité ?
- Et même qu'on nous a sorties toutes les deux du ventre du loup,
   nananananère ! répondit le petit chaperon rouge.

Mais Le petit chaperon vert lui tournait déjà le dos et rentrait à la maison en
haussant les épaules. Arrivées chez elle, elle dit à sa mère :

- Maman, le petit chaperon rouge est rentré chez elle et les
   chasseurs ont tué le loup !... Et tu sais ce qu'elle m'a dit,
   cette menteuse de petit chaperon rouge ? Que le loup 
   l'avait mangée, et même qu'il avait mangé sa grand-mère !
   Et qu'on les avait sorties du ventre du loup toutes les deux !

- Oh ! dit la maman. Tu sais, il y a des enfants qui mentent et ce
   n'est pas bien du tout. C'est pourquoi je te demande de ne
   jamais mentir.
- Je te le promets, dit le petit chaperon vert.

Et sa mère lui fit un baiser.

- D'ailleurs, un jour, personne ne la croira plus, si elle ment tout le temps, ajouta le
   petit chaperon vert.
- Exactement, dit sa mère.

Et toutes les deux se mirent au coin du feu en attendant que le dîner cuise. Dehors,
le  vent soufflait à faire bien froid, au coeur de la forêt.


Le thé aux larmes

Hulul prit la bouilloire dans le buffet.

- Ce soir, dit-il, je vais faire du thé aux
   larmes.

Il posa la bouilloire sur ses genoux.

- Là, dit-il, je vais commencer.

Il était assis, bien tranquille. Il se mit à penser à des choses tristes.

- Des chaises aux pieds cassés, dit-il.

Ses yeux commencèrent à se mouiller.

- Et des chansons qu'on ne peut pas chanter, ajouta-t-il, parce qu'on a
   complètement oublié les paroles.

Il commença à pleurer. Une grosse larme se forma, et tomba dans la bouilloire.

- Et puis, dit-il, des cuillers qui sont tombées
   derrière le poêle, et qui n'ont jamais été
   retrouvées.

D'autres larmes encore tombèrent dans la
bouilloire.

- Et aussi, dit Hulul, des livres qu'on ne peut
   plus lire parce que plusieurs pages ont été
   déchirées. Et des pendules arrêtées,
   continua-t-il, parce que personne n'est là pour les remonter.

Hulul pleurait et de grosses larmes tombaient dans la bouilloire.

- Et le matin, disait-il,en sanglotant, personne ne comprend pourquoi tout le
   monde continue à dormir. Et, poursuivait-il, la purée de pommes de terre
   restée sur une assiette, parce que personne n'a envie de la manger. Et les
   crayons trop courts pour écrire.

Hulul pensait encore à beaucoup d'autres
choses tristes, et n'arrêtait pas de pleurer.
Bientôt, la bouilloire fut remplie de
larmes jusqu'au bord.

- Là, dit Hulul,ça suffit !

Il s'arrêta de gémir, et mit la bouilloire à
chauffer sur le poêle pour préparer son
thé. Il se sentait heureux en remplissant
sa tasse.

- Il a un goût un peu salé,reconnut-il, mais le thé est toujours agréable !

dimanche 19 février 2012

Grand-Pierre et Petit-Jean

Grand-Pierre et Petit-Jean étaient deux bons
amis. Grand-Pierre était très grand,
Petit-Jean, très petit. Quand ils se
rencontraient Grand-Pierre disait :

- Salut, Petit-Jean ! et Petit-Jean répondait :
- Salut, Grand-Pierre !

Les deux amis allaient souvent se promener
ensemble. Et, tout en marchant,
Grand-Pierre disait :

- Salut, oiseaux ! Petit-Jean, lui, disait :
- Salut coccinelles !

S'ils passaient près d'un jardin, Grand-Pierre
disait :

- Regarde ces grandes fleurs !

et Petit-jean s'écriait :

- Oh ! les jolies petites racines !

En passant devant une maison Grand-Pierre remarquait toujours le toit.
Petit-Jean, lui faisait attention au dallage. Un jour, les deux amis furent
surpris par un orage.

- Quelle averse ! dit Grand-Pierre. Regarde comme le ciel est noir !
- Oui, répondit Petit-Jean. Mais prends garde aux
   flaques.

Ils coururent à la maison pour se sécher.

- On est bien, les pieds au sec, déclara Petit-Jean.
- Et la tête à l'abri, ajouta Grand-Pierre.

Quand l'orage cessa, Grand-Pierre aperçut un
arc-en-ciel. Il entraîna Petit-Jean vers la fenêtre...
et le souleva pour que Petit-Jean puisse voir. Alors pour la première fois, ils virent ensemble la même chose.

vendredi 17 février 2012

La fille du soleil et de la lune

Le soleil et la lune, qui habitaient au ciel, avaient une
fille, belle comme la plus belle des étoiles. Un jour,
en regardant la terre, elle eut grande envie d'y
descendre et de voir de quoi ça a l'air de près. Elle
supplia ses parents si longtemps et avec une telle
ardeur qu'ils finirent par y consentir, à condition
qu'elle se méfiât des enfants de la terre. Elle le
promit et descendit du ciel.

Elle marcha pendant toute la journée en regardant
autour d'elle. Le soir, elle arriva devant une petite
cabane où vivait une vieille femme. Fatiguée par son long voyage, elle entra et demanda un abri pour la nuit. La vieille le lui accorda; mais voyant qu'elle n'avait pas devant elle une jeune fille ordinaire, elle se rendit en courant au palais royal pour dire qu'elle recevait une invitée de marque, d'une grande beauté.

Pendant ce temps, la jeune fille s'amusait à filer, et le fil qui courait entre ses
doigts était en or pur. Le soleil, qui vit que les courtisans du palais s'étaient
mis en route vers le refuge de sa fille, voulut la mettre en garde. Sa chaleur
et son éclat furent tels que la jeune fille commença à se languir et décida de
retourner chez elle. A leur arrivée, les courtisans trouvèrent la cabane vide, et,
à l'intérieur, du fil d'or enroulé autour du rouet.

Un peu plus tard, la fille du soleil et de la lune
eut à nouveau envie de descendre sur la terre.
Comme la première fois, ses parents lui
conseillèrent d'être prudente. Elle arriva chez
la vieille femme pour se reposer, et, une fois
de plus, celle-ci courut au palais pour
prévenir les courtisans. Mais ils eurent beau
se dépêcher, à leur arrivée, la jeune fille
n'était plus là. Le soleil avait dardé ses rayons
pour l'avertir, et elle était remontée au ciel. Le seul signe de sa présence était le fil d'or sur le rouet de la vieille.

Un temps passa. La jeune fille eut à nouveau envie de visiter la terre, et après
maints sermons de ses parents, elle y descendit. Cette fois-ci, la voyant arriver
de loin, la vieille se précipita au palais à une telle vitesse que la jeune fille n'eut
pas le temps de se sauver. Quand les courtisans apparurent sur le seuil, elle était là, en train de filer.

Le soleil devenu incandescent, tâchait en vain d'avertir sa fille. Un jeune noble, qui
fut aussitôt épris d'elle, s'approcha et lui demanda dêtre son épouse. Le beau
chevalier trouva grâce à ses yeux, et elle lui tendit sa main. Ils vivaient heureux,
mais la jeune femme ne parlait jamais de ses origines, ni de ses parents, et rien ni
personne ne pouvaient l'obliger à aborder ce sujet.

Le temps passait. Ils eurent six enfants, et ils
s'aimaient toujours de tout leur coeur.
Cependant, le mari avait beau prier et
supplier sa femme, elle refusait de dire d'où
elle venait. Un jour, elle se promenait dans
un magnifique jardin parmi les fleurs. En en
voyant une qui lui parut particulièrement belle elle s'écria :

- Je ne suis pas la fille du soleil et de la lune si je ne parviens pas à extraire cette
   fleur avec sa racine !

Un vieux, qui passait par là, entendit ses propos et son secret fut ainsi dévoilé.
Tout le monde s'étonnait de sa haute naissance et se réjouissait d'avoir sur la
terre la fille du soleil et de la lune.

Plusieurs années plus tard, en se promenant avec ses enfants dans les bois,
elle vit sa mère, la lune, briller dans le ciel. En proie à une immense nostalgie,
elle se jeta à genoux et s'écria :

- Oh, ma mère, prends-nous au ciel, moi et
   mes enfants, afin que nous soyons des
   étoiles !

La lune entendit sa prière et lui pardonna de
n'avoir pas tenu sa promesse et d'être restée
parmi les hommes. Elle la prit chez elle, ainsi
que ses enfants, et depuis on les voit briller sur le firmament : ce sont les pléiades.

jeudi 16 février 2012

Nuages

Un jour, un souriceau se promenait avec sa
maman. Ils étaient montés sur une colline et
regardait le ciel.

- Regarde, dit la mère, les nuages font
   comme des images.

En effet, le souriceau et sa mère voyaient
beaucoup d'images dans les nuages. Ils voyaient un château... un lapin... une souris.

- Je vais cueillir quelques fleurs, dit la mère au bout d'un moment.
- Moi, dit le souriceau, je vais rester ici et regarder les nuages.

Il vit dans le ciel un énorme nuage qui devenait de plus en plus gros. Le nuage
devenait un chat qui approchait de plus en plus du souriceau.

- Maman ! Au secours ! cria le souriceau... en
   courant vers sa mère. Il y a un gros chat
   dans le ciel. J'ai peur !

La maman regarda le ciel.

- N'aie pas peur ! dit-elle, tu vois bien que le
   chat est redevenu un nuage.

Le souriceau vit que c'était vrai et se sentit plus tranquille. Il aida sa mère à cueillir
des fleurs, mais, jusqu'au soir, plus une seule fois il ne se risqua à regarder le ciel.

mercredi 15 février 2012

Le puits aux souhaits

Un jour une souris entendit parler d'un drôle
de puits : en y jetant une pièce de monnaie,
on obtenait ce qu'on demandait.

- Quelle chance ! dit la souris, je vais avoir
   tout ce que je voudrai !

Elle alla au puits, y jeta une pièce de un franc
et fit un souhait.

- Aïe ! dit le puits, comme si on lui avait fait mal.

Le lendemain, la souris recommença. Elle jeta dans le puits une pièce de un
franc et fit un souhait.

- Aïe ! dit encore le puits, comme si on l'avait battu.

Le jour suivant, la souris retourna au puits. Elle y jeta une nouvelle pièce.

- Je souhaite, dit-elle, que ce puits ne dise pas encore : Aïe !

Mais le puits dit :

- Aïe ! Vous ne comprenez donc pas que vous
   me faites mal ?
- Que faire ? se demanda la souris. Ce n'est pas
   sûrement pas de cette manière que mes
   souhaits se réaliseront.

Elle courut chez elle, prit l'oreiller de son lit et l'emporta.

- Ca doit pouvoir servir, dit-elle, et, en se dépêchant, elle retourna au puits.

Elle jeta l'oreiller dans le puits. Elle jeta
ensuite sur l'oreiller une pièce de un
franc en faisant un souhait.

- Ah, comme ça, dit le puits, c'est
   beaucoup mieux et ça ne me fait plus
   mal !
- Bon ! dit la souris. Maintenant, je vais
   pouvoir faire des souhaits.

Et, depuis ce jour, la souris veille bien à ne
pas souffrir le puits. Et le puits lui accorde tout ce qu'elle lui demande.