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dimanche 26 mars 2023

La vrai raison des éclipses

 Assis dans son rocking-chair sous la tonnelle, le vieil homme guettait son

petit-fils depuis une dizaine de minutes. Il le héla dès qu'il l'aperçut :


- Alors mon grand garçon, qu'est-ce que tu as appris aujourd'hui à l'école ?

- Le soleil, la lune et les éclipses.


Le garçon se campa fièrement devant son grand-père et se lança dans une

restitution détaillée de son cours d'astronomie. A la fin de l'exposé, le vieil 

homme fit la moue la plus dubitative qu'il pût.


- Mouais... Ca, c'est ce que racontent les maîtresses d'école...


L'enfant ouvrait de grand yeux interrogateurs, ce qui conforta son grand-père.


- Les Tominkés ont une autre explication…

- Les Toma… quoi ? 

- Allez, va poser ton cartable, apporte ton goûter et viens écouter leur version

pendant que tu manges.


Le grand-père entendit son petit-fils monter l'escalier quatre à quatre puis, 

quelques secondes plus tard, 

samedi 25 mars 2023

Princesse boudeuse


Il était une fois un roi et une reine qui s'aimaient de tout leur cœur et qui

désiraient avoir un enfant. Ils eurent bientôt la joie de mettre au monde 

une très jolie petite fille répondant au doux prénom d'Agathe.


Tout le monde était aux petits soins pour la nouvelle princesse. On l'habillait

de robes plus jolies les unes que les autres, ses cheveux soyeux étaient 

brossés chaque jour avec application, ses chaussures vernies brillaient de

mille feux. Elle n'avait pas le temps de désirer quelque chose, la moindre

de ses envies était satisfaite avant même qu'elle n'y pense. 


Quand vint le temps pour elle d'apprendre à lire, le roi et la reine décidèrent

de l'envoyer à l'école du village le plus proche; Ils désiraient lui faire connaître

des enfants de son âge et l'habituer à un peu de discipline. Agathe était en effet

une enfant solitaire et taciturne, souvent capricieuse et surtout boudeuse !

La moindre contrariété lui faisait baisser la tête, hausser les épaules et il

n'était plus possible de lui adresser la parole pendant plusieurs jours.


Les écoliers du village furent très fiers d'accueillir une personnalité aussi

importante dans leur classe. Une princesse ! Tous impressionnés, ils

acceptèrent avec patience ses sautes d'humeur et firent tout leur possible

pour qu'elle se sente heureuse parmi eux. Ils veillaient à choisir des jeux

qui ne risquaient pas de froisser ses belles robes ou de salir ses chaussures

vernies. Malheureusement, leur gentillesse ne semblait pas toucher le

cœur d'Agathe qui boudait toujours autant et restait des journées entières

seule dans son coin, le nez froncé et la tête rentrée dans les épaules. Plus

personne n'osa lui adresser la parole.


Un beau matin de printemps, un nouvel élève arriva dans la classe. Jeannot 

était joyeux, dynamique et jouait merveilleusement au ballon. Il fut 

instantanément adopté par les autres enfants. Agathe, elle, boudait toujours.

Intrigué, Jeannot s'approcha et lui demanda doucement :


- Bonjour, je m'appelle Jeannot, et toi ?


Pour toute réponse, la princesse lui tourna le dos. 


- Elle boude depuis des mois, expliqua un autre élève, c'est la princesse

  boudeuse ! 


Jeannot n'était pas du genre à se laisser impressionner par une princesse, 

toute boudeuse soit-elle. Mais comment la faire sortir de son coin ?


- Veux-tu jouer à la balle aux prisonniers avec nous ? demanda-t-il

  simplement sans obtenir de réponse. 

- S'il te plait, insista-t-il, viens jouer !

- Pourquoi ? daigna répondre Agathe qui lui tournait toujours le dos.

- Parce que j'ai besoin de toi.


Agathe le regarda droit dans les yeux. A la surprise de tous, elle le suivit

dans la cour de récréation pour prendre place au milieu des élèves 

stupéfaits. 

La partie fut longtemps indécise. La princesse ne ménageait pas sa peine. 

Elle se révéla très habile et fit gagner des points à son équipe qui remporta

la victoire. Ses coéquipiers la félicitèrent chaleureusement.


Ce soir-là, Agathe arriva au château dans un état pitoyable, ses cheveux

étaient emmêlés, sa robe toute sale et ses chaussures vernies avaient perdu

leur brillant mais elle souriait !


A compter de ce jour, le roi et la reine s'habituèrent à voir leur fille rentrer

de l'école couverte de boue, les genoux parfois écorchés mais la mine 

resplendissante. Ils étaient heureux de son nouveau bonheur.

La petite princesse trop choyée et dorlotée était métamorphosée. Agathe

voulait être Agathe tout simplement.

Il fut décidé de la laisser s'habiller à sa convenance en pantalon, tee-shirt

et baskets. On lui permit même de se faire couper ses longs cheveux.


A présent, en attendant de devenir reine, elle court chaque matin à l'école,

impatiente de retrouver ses copains.


Princesse boudeuse - Pascale Bouss - Short Edition

Offert par l'association Robert Debré

La voix qui trébuche


Dans ma classe, il y a Paul.

Paul, il est toujours assis tout seul au fond de la classe. Il a des grosses lunettes

vertes, l'air timide et une voix si frêle qu'elle a l'air de trébucher sur chaque mot.

Quand je lui souris, il détourne la tête. Quand un prof lui pose une question,

il répond en regardant ses pieds, alors qu'il a presque toujours la bonne réponse.


Paul, il a l'air un peu bizarre parfois, mais il n'est pas vraiment méchant. Je me

demande pourquoi il est comme ça, toujours triste, presque transparent.

Paul n'a pas vraiment d'amis. Les autres l'embêtent souvent, à l'intercours, à la

cantine. J'aimerais bien être assez courageuse pour prendre sa défense, mais je

n'ose pas trop. Et s'il ne voulait pas de moi pour amie ? Et si les autres me

rejetaient, moi aussi si j'allais un jour m'asseoir à côté de lui ?


Un soir, après le diner, alors qu'on jouait aux échecs dans le salon, j'ai parlé

de Paul à ma grande sœur, Chloé.


- Ne fais pas attention à ceux qui l'embêtent, m'a-t-elle dit, ils n'en valent pas

  la peine. En revanche, va parler à Paul. Ca lui fera sûrement très plaisir

  d'avoir quelqu'un avec qui discuter un peu.


J'ai hoché la tête. Il y a eu un silence, puis elle a ajouté en bougeant un pion :


- Personne ne devrait être toujours tout seul, tu sais. C'est pas très drôle.


Ca m'a donné du courage de parler avec Chloé. Alors, quand on a terminé

notre partie (je l'ai écrasé), je suis allée chercher un paquet de biscuits dans

le grand placard de la cuisine, et je l'ai glissé dans mon sac. Demain matin, 

je prendrai les cookies et mon courage à deux mains et, à la récré, j'irai les

partager avec Paul s'il le veut bien. Je lui demanderai comment il va, aussi.

Peut-être que sa voix trébuchera moins après ça. Peut-être même qu'il va

sourire, qui sait !


La voix qui trébuche - Elena LMR - Histoire d'amitié jeunesse - Short édition

mardi 21 mars 2023

Princesse Paresse

Princesse Paresse passe des journées toutes douces à se tourner les pouces.

Elle entremêle ses tresses puis les démêle. Elle écarte ses doigts de pieds

pour que l'air vienne y tournicoter. Elle pivote, change de côté, tapote sa

couette et son oreiller. Qu'il est doux de se prélasser et de ne jamais s'inquiéter,

d'écouter les oiseaux chanter, les abeilles bourdonner, les heures tendrement

s'écouler. 

Rien ne doit venir perturber cette sérénité. Gêner la tranquillité de Princesse

Paresse est un sacrilège à éviter.

Mais un matin, alors que le soleil se lève et effleure la peau douce de notre

princesse ensommeillée, un lion, assis sur le bord de la fenêtre, se met à 

rigoler.


- Ma chère, vous êtes un exemple de paresseuse qui va finir en boule

  graisseuse. A se relaxer et ne jamais bouger, votre corps va se relâcher !


Princesse Paresse n'en croit pas ses oreilles qu'elle a pourtant bichonné la

veille.   


- Qui êtes-vous pour vous permettre de me réveiller ainsi ?


Sans se faire inviter, le lion saute et s'installe confortablement sur le divan

de la princesse. 


- Je suis le roi des animaux pardi ! répond le lion agacé

- Cela ne vous donne pas le droit de m'insulter, ni même de contrarier

  mon sommeil ! dit-elle les sourcils en forme de V.


Princesse Paresse se redresse dans son lit et regarde énervée le lion

allongé sur son canapé préféré. 


- Allons, allons, répond le lion légèrement moqueur, détendez-vous, votre

  peau va se froisser et vous allez être toute ridée !


Princesse Paresse se déplace délicatement sur la pointe des pieds en

direction du miroir. Affolée, elle coupe quelques rondelles de concombre

qu'elle pose sur son visage et se tartine de crème. Puis elle retourne

s'allonger. Une tranche de cucurbitacée sur chaque œil, elle gigote ses

narines.   


- Mais quelle est cette odeur  désagréable qui vient titiller mon nez ?

- Excusez-moi, j'ai effectivement besoin de me laver. Je viens chercher

  l'hospitalité en votre beau palais, le temps de me ressourcer.

- Cessez vos explications, vous me fatiguez ! lui retorque la princesse

  le nez bouché et l'air dégouté.


Avec mollesse mais tout en souplesse, Princesse Paresse tire sur sa sonnette

et ordonne à son singe Badaboum de préparer un bain pour son altesse.

Elle se dit "chouette, un moment de répit" et la voilà qui saut dans son lit.

Mais à peine est-elle allongée :


- Mon savon est tombé, pourriez-vous me le ramasser ? demande le lion

  dans son bain. 


Un long soupir s'échappe de la bouche de Princesse Paresse.


- Jamais de la vie ! Débrouillez-vous seul ! Je vous offre mon toit ça ne

  vous suffit pas ?

- Ce n'est quand même pas difficile de se baisser ! bougonne le lion  

- Eh bien faites-le ! retorque Princesse Paresse énervée. Puis elle 

  chuchote à Badaboum d'y aller. 


Au début Badaboum s'amuse de la situation. Le roi des animaux, nu comme

un ver et poils mouillés, n'a plus l'air d'un lion du tout. Badaboum se tient

les côtes tellement il rigole. 


- Ne reste pas planté là à te moquer de moi ! Passe-moi ce savon, sac à noix 

  de coco !   


Badaboum qui n'a pas l'habitude que l'on s'adresse à lui de façon impolie

cesse de rire. Très stressé, il empoigne le savon qui zip lui glisse des mains.

Le savon part à grande vitesse, heurte le mur, puis arrive dans l'œil du lion.   


- Aïe ! hurle-t-il ? Ca pique ! Espèce de maladroit ! Sac à banane ! Sors de là !


Badaboum complètement affolé, part la tête basse. Princesse Paresse a tout

entendu et même si elle a envie de rire de la situation, elle réalise qu'il va

falloir encore supporter quelques heures ce lion pour qui elle n'éprouve

aucune affection mais plutôt de l'aversion.

Comme le silence s'installe de nouveau Princesse Paresse se décrispe et 

s'étend calmement sur le dos. Cela fait trop longtemps qu'elle a quitté son

lit. Cette journée agitée est à mourir d'ennui !

A l'heure du diner, elle fait honneur à son invité en faisant dresser la 

table avec ses couverts argentés. Mais à chaque plat servi, le lion trouve

que la nourriture est trop ceci ou trop cela. Il lui faut de la quantité pour lui

donner de l'énergie ! 

Princesse Paresse ignore ses réflexions sinon elle risque de provoquer une

explosion. Ce lion est impoli. D'ailleurs, c'en est trop, il vient de monter sur

ses longues tresses. Elle ne peut le laisser se comporter de la sorte, la

moutarde lui monte au nez et lui donne une idée !

Princesse Paresse décide de ne compter que sur elle-même pour régler

l'énorme problème poilu.

"Il a besoin d'énergie ? Eh bien il va en avoir !" pense malicieusement

Princesse Paresse. 

Elle prie le lion de l'excuser, puis elle se précipite dans les cuisines. Le 

cuisinier étonné par cette intrusion en reste baba. Il n'avait jamais vu ça !

Princesse Paresse ici ! Bien décidée, elle s'empare d'une saucisse qu'elle

entaille et dans laquelle elle met une sauce agrémentée de piments. Tout

autour, elle garnit l'assiette avec des tonnes de frites sauvagement salées.


- Préparez-vous, il va y avoir de l'action ! chantonne le cuisinier 

  complètement sidéré.


Badaboum est dispensé du service car c'est à chaque fois catastrophique.

C'est Princesse Paresse elle-même qui, avec le chariot à roulette, s'occupe

d'apporter les plats d'une manière raffinée. A peine a-t-elle soulevé la

cloche de l'assiette que le lion a tout gobé sans en laisser une miette.

Mais que se passe-t-il ? Le lion se lève si vite que sa chaise bascule. Il crie :


- Au feu !


Il devient rouge comme une fraise poilue. Il ouvre sa bouche en crachotant.

Bref, on dirait un dragon qui a perdu la raison. Il court tellement vite qu'il 

disparait à l'horizon et se jette droit dans le bassin à poisson. 

Dans la cuisine c'est la fête. On n'en peut plus tellement on se tord de rire.

Badaboum se roule à terre et le cuisinier est en pleurs, La situation est

irrésistible.

Princesse Paresse rit aux éclats, elle est heureuse du succès de son plan

et d'être enfin débarrassée de ce goujat qui vient de prendre son deuxième

bain de la journée. Ereintée, elle laisse tomber son châle tout près de son

chevet puis retourne s'allonger sans se dépêcher. Le souffle long et les 

membres relaxés, elle réalise qu'elle ne s'est jamais sentie aussi bien.


- Après l'effort, le réconfort dit-on ? La personne responsable de ce dicton

  a raison ! 


Malgré son air endormi et son allure ramollie, elle sait désormais comment

procéder si quelqu'un l'ennui, car, souviens-toi de ceci :

Princesse Paresseuse, jamais ne se presse, Princesse Paresseuse, jamais ne 

se laisse monter sur ses tresses, parce que Princesse Paresseuse sait quand 

il le faut, se bouger les fesses !   


Princesse Paresseuse - Editions SHORT - Virginia HANNA - 

Illustration Pablo VASQUEZ

L'association Robert Debré t'offre cette histoire à lire et à partager !

L'association Robert Debré redonne le sourire aux enfants hospitalisés                                                                                                                                                 

samedi 4 mars 2023

Leuk trouve un oeuf magique



Aussi rusé soit-il, Leuk le lièvre se laisse parfois berner. Mais soyez tranquille,

il repart toujours sur ses quatre pattes.


Un jour, qu'il voyageait dans un pays lointain, hors des limites du Sénégal, où

son humeur vagabonde l'avait conduit, il décide de se coucher dans un petit

creux de sable entouré de ces cactus que l'on appelle Figues-de-Barbarie.

Bonne précaution pour se protéger, car seuls de très petits animaux peuvent

se faufiler sous les dangereuses épines. Il se prépare un gite confortable, quand

il entend une voix plaintive qui l'appelle :


- Leuk ! Leuk Sène ! viens me délivrer. Depuis des jours et des jours je suis

   prisonnière des épines. C'est ma patronne, une sorcière repartie chez les

   Diables, qui m'a jeté là pour que personne ne me trouve.


Leuk, prudent mais curieux, tend l'oreille, avance en rampant sous les cactus

et découvre une calebasse de bois, ornée de sculptures bizarres. C'est elle à 

n'en pas douter qui lui a parlé. Elle continue d'ailleurs à gémir doucement. 


Leuk n'aime pas beaucoup ce qui touche au domaine des Diables, mais sans 

doute serait-il encore plus dangereux de reculer. Il tire donc la calebasse

magique et après bien des efforts et quelques épines dans l'arrière-train, il

délivre l'objet et le pose à ses côtés.


- Merci, ami Leuk, dit la calebasse. Je t'appartiens désormais. Tu es mon

   Maître. A ton ordre, je m'emplirai selon ton gré.

- Est-ce possible ! Alors sers-moi un bon couscous car j'ai une faim atroce !


Aussitôt une agréable odeur vient chatouiller les moustaches de Leuk et la

calebasse s'emplit d'un couscous bien gras, et riche en belle viande. 

Imaginez la joie de Leuk ! Après avoir nettoyé son plat jusqu'au bois, il le

glisse dans sa besace et s'endort.

Après un bon somme, et s'étant assuré que la calebasse est toujours là, 

Leuk reprend sa route. 


Le deuxième jour, il décide de faire halte au pied d'un gros caïlcédrat qui

l'abritera aussi bien de l'ardeur du soleil que de l'humidité de la nuit. 

A peine est-il étendu sur le dos, les mains derrière la tête, qu'il lui semble

entendre parler dans les branches de l'arbre. Il tend l'oreille et la voix lui

parvient :


- Leuk ! Leuk Sène ! Viens me délivrer, je t'en supplie. C'est ma patronne

   la sorcière, partie au pays des Diables, qui m'a jeté dans ce nid de 

   charognards dont je ne puis sortir.


Tiens ! se dit Leuk, voilà encore une bonne affaire pour moi. Mais comment

monter sur cet arbre immense ? Il pense aussitôt à la calebasse, la sort du

sac, la pose à terre et lui demande :


- Calebasse, donne-moi une longue corde.


Et aussitôt la calebasse déroule une belle corde qui monte d'elle-même à la

première branche et s'y noue solidement. Leuk n'a plus qu'à grimper. Il arrive

auprès du nid et voit un gros œuf noir qui gémit, gémit à fendre l'âme.


- Tiens ! C'est un œuf qui…


Mais il n'a pas le temps de terminer sa phrase que, pan, pan, l'œuf lui saute

sur le crâne et le laisse assommé au bord du nid. A peine entend-il comme en

rêve l'œuf qui s'écrie :


- Je ne suis pas un œuf ! J'interdis que l'on m'appelle œuf ! Je suis un caillou

   roulé par le fleuve, un caillou magique.


Lorsque le lièvre revient à lui, il est encore pendu, en équilibre sur ses brindilles,

bien près de s'écraser au pied de l'arbre. L'œuf se met alors à parler :


- Leuk ! Ami Leuk ! Je ne te veux aucun mal ! Au contraire je me donne à toi.

  Tu seras mon Maître si tu me délivres. Mais je ne suis pas un œuf ! Je suis

  un caillou magique ! Quiconque prononce devant moi le mot œuf est aussitôt

  assommé.


Leuk, vous le pensez, retient sa langue. Il prend le caillou magique avec précautions, 

et se laisse glisser le long de la corde. Arrivé en bas, il replace calebasse et caillou 

dans son sac, met le sac sous sa tête et s'endort tranquillement. 

Après la sieste, il reprend sa marche dans le pays inconnu et sa curiosité le pousse,

toujours plus en avant, toujours insouciant et joyeux.

Comme il arrive aux portes d'une grande ville, il s'arrête dans les broussailles pour

réfléchir. 

"Mieux vaut, se dit-il, ne pas emporter avec moi mes précieux compagnons. Dans 

une ville inconnue je risque d'être fouillé ou interrogé, et je ne veux prendre aucun 

risque. 

Il sort la calebasse, lui demande de s'emplir d'or. Aussitôt pièces et lingots brillent

au soleil. Leuk remplit ses poches, certain désormais d'être bien accueilli; car l'or

est un langage compris de tous les peuples de la terre. Il enfouit au plus profond du 

taillis calebasse et caillou magique et, désinvolte, franchit les portes de la ville.

A peine quelques jours sont-ils écoulés qu'il n'est que bruit dans la ville, de cet 

étranger aux longues oreilles, qui disperse son or sans compter. Les familles nobles

ayant filles à marier l'invitent à leur table; joueurs et voleurs le suivent sans pouvoir 

prendre son adresse en défaut. Le bruit parvient aux oreilles du Roi lui-même qui en

a quelque ombrage et décide de savoir d'où vient la fortune de l'étranger.

Un soir donc, il fait prendre Leuk par ses soldats qui, sous un prétexte futile, le

conduisent en prison.

Le pauvre Leuk a beau protester, invoquer les lois du pays, il est proprement rossé

et mis au cachot, après avoir été dépouillé de son or.

Le lendemain il est conduit devant le Roi qui l'interroge sur ses ressources. Comme

Leuk est incapable de lui indiquer d'où il tire ses revenus, le Roi convoque le Tribunal

et accuse Lièvre d'être un habile voleur, venu dépouiller les habitants de la ville. 


- Sire, dit alors Leuk, laissez-moi quelques heures de liberté et je vous ramènerai

  la calebasse magique avec laquelle je puis obtenir tout à volonté. Mais elle n'obéit

  qu'à moi seul et personne ne doit connaître sa cachette.


Le Roi, séduit par une telle espérance, accorde à Leuk sa liberté, tout en l'avertissant

que s'il s'avise de vouloir s'échapper, il donnera l'ordre à l'armée d'encercler tout le

royaume.

Voilà donc notre ami contraint de révéler son secret. Il se glisse furtivement hors de

la ville, regagne sa cachette et prend sa calebasse magique qu'il glisse dans sa besace.

Il lui faut une heure à peine pour revenir chez le Roi, qui le reçoit aussitôt.

Leuk s'assied au pied du trône et demande à la calebasse de s'emplir de bijoux.

Aussitôt les bijoux ruissellent aux pied du Roi qui s'en saisit avidement, les portes

devant ses yeux, les distribue à ses épouses.


- Leuk, dit-il, mon cher, mon très cher ami, tu vas rester attaché à ma personne.

  Tu ne me quitteras plus et je vais étonner toute l'Afrique par ma fabuleuse fortune.


Le Roi use et abuse de la calebasse. Mais il a tellement peur que le lièvre lui échappe,

qu'il le fait enfermer près de sa chambre dans une cage dorée. Imaginez le malheureux,

grand coureur de savanes, les pattes raidies dans ce petit espace. Il menace le roi de

ne plus rien demander à la calebasse magique, mais le Roi le fait rosser par ses gardes.

Il le supplie de le laisser libre, mais le Roi se doute de l'usage qu'il va faire de sa liberté. 

Leuk est vraiment désespéré, comment lui, le rusé, a-t-il pu se laisser conduire dans un

tel piège ? Un jour, il s'aperçoit que Diargogne l'araignée a tissé sa toile dans un coin

de la cage. "Sûrement, se dit-il, elle est chargée de m'espionner."

Aussitôt, il imagine de se servir d'elle pour se tirer d'un aussi mauvais pas.


- Diargogne, je te remercie d'avoir osé me tenir compagnie, alors que je ne suis qu'un 

  malheureux captif de ton Roi. Tu es une bonne et loyale amie.


Etonné de ce langage, Diargogne pense que Leuk est plus naïf qu'on ne le dit, mais 

elle se garde de révéler qu'elle a été placée là pour l'espionner. Elle répond donc

gentiment au Lièvre :


- On m'avait dit que tu étais le plus aimable des habitants de la brousse et c'est   

  pourquoi je me suis permis de m'établir chez toi. Je n'ai guère l'habitude que l'on

  me parle si courtoisement.


Leuk continue de bavarder avec Diargogne et lui demande, alors que tout le palais

est endormi : 


- Diargogne, aide-moi à sortir de cette cage. J'ai caché non loin d'ici une autre calebasse

  magique bien plus grande que celle-ci. Nous la prenons et fuyons ensemble. Je 

  partagerai avec toi toutes mes richesses.


Dès l'aube, l'araignée va trouver le Roi et lui raconte ce que le lièvre a proposé.


- Ainsi, dit le Roi, il a une calebasse plus grande encore que celle-ci et il se gardait

  de nous le dire. Nous allons lui ouvrir la porte, mais il sera conduit par ma garde 

  et ramené ici-même.


Aussitôt fait que dit. Le Roi rassemble sur l'heure ses gardes. Il ouvre la cage de Leuk

et lui dit :


- Malgré les bons soins dont tu es entouré, non seulement tu cherches à t'évader, mais 

  encore tu dissimules une part de tes richesses ! Tu vas, sous bonne escorte, aller 

  chercher la grande calebasse dont tu as parlé cette nuit.


Leuk fait semblant de nier, mais les bâtons des gardes le font réfléchir. Il part à

contre-coeur vers les portes de la ville. 

Le voici à travers les broussailles où les gardes ont beaucoup de peine à pénétrer, mais

ils ont pris soin d'attacher Leuk pour prévenir toute évasion.

Enfin, Leuk arrive à sa cachette avec les quatre gardes qui l'encadrent. Il gratte un

peu la terre, met à jour "l'oeuf" magique, ou plutôt la pierre noire qu'il avait cachée là.


- Voilà, dit-il, aux gardes, mon autre calebasse.

- Mais c'est un oeuf ! dit le chef des gardes.


Il n'en dit pas plus long car le caillou lui fait éclater la tête.


- Attention à l'œuf ! dit le deuxième, et sa tête vole en éclats.

- C'est un œuf magique ! dit le troisième.

- Leuk, arrête cet oeuf ! dit le quatrième.


Et cric, crac, les deux autres gardes sont étendus. Leuk met alors l'oeuf-caillou magique 

dans un sac et reprend le chemin du palais. Il y arrive seul, au grand étonnement du Roi.


- Où sont mes gardes ? s'écrie-t-il.

- Vos gardes se sont égarés. J'ai voulu vous montrer ma bonne foi et vous prouver

  ma fidélité.

- As-tu la calebasse ?

- Elle est là dans mon sac. Mais elle ne peut travailler qu'en compagnie de l'autre.

  Faites apporter la petite et je commencerai. 


Le roi fait apporter la calebasse qu'il enfermait dans ses coffres et ne sortait que pour

ordonner à Leuk de lui demander or et pierreries.

Dès que Leuk a récupéré sa calebasse, il ouvre son sac et fait rouler l'œuf noir au 

pied du Roi : 


- Menteur ! dit le Roi, imposteur ! Que veux tu que je fasse de cet œuf ?


L'œuf n'a aucun respect pour le crâne du roi qu'il ouvre comme une courge trop mûre.

Et comme chacun crie, se précipite, l'œuf ne sait où casser des têtes.

Leuk, lui, n'en demande pas plus. Il met dans son sac sa précieuse calebasse et détale

à toutes jambes à travers la savane, laissant en cadeau la moitié de son bien, c'est-à-dire

le caillou magique, celui dont il pouvait facilement se passer.

Le lièvre franchit la frontière dégarnie pour les funérailles du Roi. 

Mais dans cette région, ne vous attendez pas à rencontrer le moindre lièvre, pas plus

de jour que de nuit. 

Leuk, ni ses enfants, ni les enfants de ses enfants, n'y remettront jamais le nez.


Contes et légendes du Sénégal - Fernand NATHAN - A. TERRISSE