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samedi 10 mars 2012

La fille qui voulait être un garçon

Gretchen vivait avec son père et ses
six petits frères. Elle avait dix ans et
passait son temps à raconter des
histoires drôles. Elle les racontait
très bien et ses frères adoraient ça.
Mais Martin, son père, ne riait jamais
de ses histoires. Il était toujours en
train de travailler. Il était renfermé,
taciturne et triste.

Depuis la mort de sa femme, il passait
son temps à râler. Le seul moment où il ne ronchonnait pas, c'était lorsqu'il jouait au ballon avec ses fils. Ce qui attristait Gretchen, c'est que son père ne fasse jamais rien avec elle. Les choses auraient été bien plus simples si elle avait été un garçon. Gretchen en était persuadée.

C'est pour cette raison que Gretchen s'appliquait à tout faire comme ses frères.
Elle jouait admirablement bien au foot, elle n'avait pas de poupée, elle ne portait
jamais de robes et, même, elle se décoiffait exprès. Pour Gretchen, la vie n'était
pas de tout repos. Sans cesse, elle essayait de trouver de nouvelles astuces
pour attirer l'attention de son père.

Elle n'avait pas une minute de répit : elle ne dormait pas la nuit parce qu'elle
s'entraînait à parler d'une voix rauque et grave et elle mangeait très peu car,
aux heures des repas, elle s'exerçait à jongler avec un ballon.

Une nuit, alors qu'elle travaillait sa voix, son petit frère John qui l'aimait beaucoup
se glissa auprès d'elle et lui dit dans le creux de l'oreille :

- Tu es une fille, non ? C'est chouette, les filles.
   Pourquoi tu ne laisses pas tomber ce truc de
   garçon ?

Gretchen pleura, elle pleura longtemps. Elle ne
savait pas si elle pleurait pour ce que John avait
dit, parce que sa maman lui manquait ou bien
parce qu'elle avait peur de décevoir son père.
En fait, elle pleurait pour les trois choses.
Toujours est-il que, le lendemain matin, elle se
faufila dans le grenier où toutes les affaires de
sa mère étaient rangées dans une grande malle.

Gretchen fouilla et finit par trouver ce qu'elle cherchait : une robe rouge avec des
fleurs violettes. Sa maman lui avait promis qu'elle la porterait un jour. Elle s'attache
les cheveux et, en se regardant dans la glace, Gretchen eut un petit rire nerveux :
elle se trouvait jolie. Elle se parfuma puis descendit tout doucement vers la salle à
manger. Ses frères étaient stupéfaits. Gretchen s'avança vers son père, qui ne leva
même pas les yeux sur elle. John s'exclama :

- Papa ! Regarde comme elle est belle, Gretchen !

Martin replia calmement son journal et fixa attentivement sa fille.

- Qu'est-ce que c'est que ce truc ? T'as décroché le rideau de la salle de bains ou
   quoi ? En plus ça cocotte sec !

John se tut mais ses frères éclatèrent tous de rire. Gretchen était désespérée, elle
retint ses larmes et remonta se changer dans sa chambre. Elle enfila son jean et ses
baskets et elle quitta la maison en claquant la porte. Mais au lieu d'aller à l'école,
elle courut vers la forêt, là où sa maman était enterrée. Le soir, Gretchen n'était
toujours pas rentrée. Martin était très inquiet. Il chercha sa fille partout mais il ne
la trouva nulle part.

Il n'arrêtait pas de pester contre lui-même : Je suis un imbécile, mais quel imbécile !
Bon sang, où est-elle ? Il tourna la tête vers la forêt, là où sa femme reposait :
Pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt ! dit-il en grimpant à toute vitesse en haut de
la colline. Gretchen était là, toute recroquevillée dans l'herbe. Martin dit d'un ton
autoritaire :

- Ça suffit comme ça, tu rentres à la maison.

Sa fille le fixa droit dans les yeux :

- Papa, est-ce que tu pourrais me dire quelque chose de gentil pour une fois ?

Martin resta muet un long moment. Jamais de sa vie il n'avait été capable de faire
un compliment à qui que ce soit. Enfin, il se racla la gorge et dit :

- Je te demande pardon, ma chérie. Je ne
   sais pas parler de mes sentiments. 
   Peut-être que tu pourrais m'aider à être
   un meilleur père pour toi. Tu es ma seule
   fille, il n'y a que toi qui puisses
   m'apprendre.

Depuis ce jour, Gretchen n'essaya plus
d'être un garçon et sa vie était bien plus simple comme ça. Un soir, Martin prit sa fille dans ses bras et soudain il réalisa que c'était la première fois depuis longtemps. Il la serra contre lui et dit deux petits mots tout simples : 

- Je t'aime.

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