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dimanche 26 octobre 2014

Un jour mon prince viendra

Talonnant son bouc, Marguerite
galopait à travers champs. La
sorcière était furieuse : le prince
Matuvu venait de lui dire non.
Ficelé et bâillonné, il gigotait
dans le vide. Arrivée à l'étang,
elle le libéra. Douze autres
crapauds s'approchèrent
aussitôt. Le plus gros coassa :

- Encore un, maudite sorcière !
   Maintenant, ça suffit ! Je
   t'ordonne de nous délivrer du
   sort que tu nous as jeté !
- Mon cher Igor, tu parles
   encore comme un prince mais
   tu n'es plus qu'un sac à
   verrues ! C'est moi qui commande désormais ! Adieu, mes trésors ! Faites de doux
   rêves...

Ecrasant ronces et chardons, la sorcière fonça droit vers sa maison.

- Alors, tu lui as plu ? questionna Potin
- Non. Et c'était le dernier prince de la région... soupira Marguerite.
- Mais pourquoi diable veux-tu à tout prix un prince pour mari ? Pourquoi
   ne pas épouser simplement un sorcier ?
- Cervelle de radis ! As-tu déjà entendu quelqu'un chanter Un jour mon
   sorcier viendra ?
- Je crois que oui...
- Tu mens, machine à mots ! C'est d'un prince qu'il s'agit et moi, j'en veux
   un aussi !

Le lendemain, Marguerite scia des bûches toute la matinée, alluma un feu de
verveine et fit mijoter une soupe de racines. Puis elle alla ramasser plantes et
champignons pour préparer les potions qu'elle vendait au marché.

Après le diner, elle fonça dans son grand lit en serrant très fort l'oreiller
contre son cœur et s'endormit. Il n'avait jamais neigé dans cette région.
Pourtant cette nuit-là, le ciel s'ouvrit et des milliers de flocons en
profitèrent pour descendre sur la terre. Le matin, Marguerite bondit de joie :

- Potin, réveille-toi ! Tu vois ce que je vois ? Mon prince est là ! Il porte
   un manteau blanc et un chapeau noir; la pipe entre les dents, il est joli
   à voir !
- C'est sûrement un mirage, ma pauvre amie, ronchonna Potin.
- Jaloux ! cria la sorcière. Tu vas tout faire rater ! Au placard, sale
   bavard !

Marguerite enfila sa plus belle robe, s'installa dans son fauteuil et attendit.
Comme rien n'arrivait, elle regarda par la fenêtre : son prince n'avait pas
bougé d'un pouce.

Elle le crut timide et pensa qu'il fallait patienter encore. Mais les heures
s'écoulaient et la colère monta dans son cœur.

- Le gredin a sûrement rendez-vous avec une autre ! se dit-elle.

Quand le soir tomba, Marguerite sortit et hurla :

- Pourquoi restes-tu là à me tourmenter ? Tu ne réponds pas ? Tant pis
   pour toi ! Marguerite la sorcière sait se venger de ceux qui ne veulent
   pas l'aimer... Par le pouvoir du grand caribou, que les loups t'avale d'un
   coup !

Elle claque la porte d'un coup de pied et grimpa quatre à quatre l'escalier.
Les loups se mirent à hurler. Alors, Marguerite s'effondra en larmes sur
son lit. Elle pleura, pleura beaucoup, puis elle s'endormit pour des jours
et des nuits.

Au bout d'une semaine, on s'étonna au village de la disparition de la
sorcière. On ne la voyait plus au marché et on regrettait ses tisanes qui
faisaient du bien. Mais le plus chagriné, c'était Marco, le boulanger.

Marguerite était sa cliente préférée. Il était
même amoureux d'elle en secret. Ce
jour-là, il se décida. Il enveloppa deux gros
pains frais dans du drap blanc et traversa le
village. A l'orée de la forêt, il trouva une
pipe, un balai et un chapeau noir dont il se
coiffa.

Au loin, quelques crapauds se
chamaillaient. Le cœur battant, Marco se
retrouva devant la porte de Marguerite.
La maison était plongée dans le silence. Il
frappa une fois. Rien ne bougea. Il frappa
alors trois gros coups qui résonnèrent très
fort... Marguerite s'éveilla.

Elle s'étira et sourit. Elle remit de l'ordre
dans ses cheveux... puis elle ouvrit la porte.

- Monsieur Marco, c'était donc vous ! Où avez-vous laissé votre grand
   manteau blanc ? Ne dites rien, je comprends tout : ce sont les loups...
   Pardonnez-moi ! Je vous ferai d'autres manteaux, encore plus beaux !
   Entrez vous installer. Cela fait si longtemps que je vous attends.

Marco déposa les pains sur la table et alluma un feu dans la cheminée.
Alors, Marguerite ouvrit la porte du placard et chuchota à l'oreille de son
perroquet :

- Tu vois que je n'avais pas rêvé : mon prince est arrivé !

Un jour, mon prince viendra - Andréa Nève, Kitty Crowther - Pastel 

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