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samedi 25 octobre 2014

Le rire de la grenouille

C'est l'histoire d'une petite grenouille verte, discrète, ordinaire. Un jour,
elle en eut marre, vraiment marre, d'être verte, discrète et ordinaire. Elle
rêvait d'accomplir de grands exploits, elle voulait devenir extraordinaire.
Elle habitait avec d'autres grenouilles au bord  d'un trou rempli d'une eau
pas très claire...

Un matin, elle décida d'avaler d'un coup l'eau du trou, rien que pour se
faire remarquer. Gloups !

Alors elle grossit, mais pas assez pour être extraordinaire. En quelques
bonds, elle gagna le bord de la rivière. Là, au vu des oiseaux s'y baignant,
elle avala toute l'eau de la rivière. Gloups, en une seule gorgée ! Alors,
elle grossit davantage, mais pas assez pour être extraordinaire.

La rivière rejoignit le fleuve. La grenouille suivit son cours en sautillant.
Là, au vu des poissons nageant et des pêcheurs pêchant, elle avala toute
l'eau du fleuve. Gloups, gloups ! Alors elle devint énorme, mais elle
avait encore soif, soif de grandir, soif de devenir extraordinaire.

Le fleuve se jetait dans la mer. La grenouille se traîna jusqu'au rivage.
Gloups et gloups, elle avala toute l'eau de la mer. Monstrueuse, salée, les
yeux globuleux et embués, la grenouille décida d'avaler toute l'eau de la
terre. Et elle la but jusqu'à la dernière goutte.

Son corps gorgé d'eau dépassait les plus hautes montagnes, sa tête touchait
le ciel : la grenouille verte s'immobilisa. Elle était devenue enfin
extraordinaire.

Mais la terre avait soif, les animaux avait soif et les hommes aussi. Pour
la première fois, les uns et les autres se réunirent pour chercher ensemble
une solution. Une solution pacifique pour récupérer l'eau de la terre
engloutie par l'abominable grenouille.

- Faisons-la rire ! proposèrent les humains.

Les animaux approuvèrent. Malgré la soif qui les tiraillait, des clowns
s'approchèrent du monstre et lui firent toutes sortes de grimaces. En vain :
la grenouille ne bougeait pas, malgré les efforts des hommes, devenus si
petits à ses yeux énormes.

Les animaux prirent le relais : les singes, du ouistiti au macaque, de l'orang-
outan au gorille, grimacèrent mieux que les clowns. Mais la grenouille réussit
à leur tourner le dos. La terre craquelait et fendillait, les hommes et les
animaux crevaient de soif. Que faire ?

Soudain, le ver de terre, surgi de nulle part, proposa ses services. Il monta en
direction du ciel, et suspendu devant les yeux globuleux de la grenouille, il
fit des nœuds avec son corps mou, visqueux, transparent.

Et de le regarder ainsi s'agiter, lui, le minuscule, le ridicule, le dégoûtant, la
grenouille esquissa un sourire. Ensuite, voyant le petit recommencer ses
nœuds, elle rit franchement et, ce faisant, recracha l'eau du trou, puis la
rivière... En bas, sur la terre, tous se précipitèrent.

Là-haut, perdu dans l'espace, le petit ver continuait ses contorsions dérisoires
et la grenouille l'encourageait en se moquant. Du coup, elle recracha l'eau
du fleuve, puis la mer tout entière. Alors, son corps se dégonfla et retomba
sur le sol !

La grenouille était redevenue petite, discrète et ordinaire.

- Quel fiasco ! soupira-t-elle.

Mais l'eau ainsi recraché sauva la terre, les hommes et les animaux. Nous
devons une fière chandelle au ver de terre : grâce à sa souplesse, une grande
sécheresse fut évitée de justesse...


 
Contes de grenouilles - Muriel Bloch - Albin Michel Jeunesse

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