On raconte qu'il y a longtemps, dans un pays
loin vers le nord, au-delà du cercle polaire et
de la mer du Nord, le Soleil
brillait jour et nuit, sur une plaine verte, fertile, arrosée de
parfums
fleuris. Les gens là-haut, vivaient simplement, ils vivaient heureux, élevant
les 
rennes, construisant leur traîneaux pour les doux hivers, quand les plaines
enneigées
brillaient comme des miroirs ensoleillés.
Dans ce pays, on disait aussi que la Nuit, on l'avait enfermée un matin dans
une caverne. 
On l'avait enfermée il y a si longtemps, depuis bien avant la
naissance du père du 
grand-père de la grand-mère de n'importe quel enfant, il y
a si longtemps, que la Nuit, on 
l'avait oubliée...
La Nuit, on en parlait encore auprès du feu, les légendes racontaient qu'elle
avait un visage 
pâle et froid, au regard brillant comme mille diamants
étincelants. Mais le père du 
charpentier qui fabriquait les navires, lui, il ne
pensait pas cela. Lui, il disait que la Nuit, 
c'était un drakkar fait entièrement
d'or et d'argent, qui éclairait les hommes, et qui s'était 
échoué il y a
longtemps, lors d'un déluge, dans les montagnes, à l'est, au pays des trolls et
des ours savants.
Mais la
grand-mère du fermier qui vivait au pied de la montagne, elle disait autre
chose.
Elle racontait que la nuit, c'était une grande dame sombre, dont le
visage changeait tout le 
temps, au long manteau tissé de fils d'or jaunes et
brillants, et plus riche que tous les princes 
de l'Orient.
Mais
voilà, un trésor aussi beau, un trésor aussi riche connu au pays des hommes,
cela 
attirait les convoitises ; les chercheurs d'or cherchaient, les chasseurs
de trésors chassaient, 
si bien qu'un jour, la nuit fut découverte, et libérée.
D'abord, on ne l'a pas vue beaucoup, elle venait seulement quand tout le monde
dormait,
à pas de loup. Mais, bien vite, en quelques semaines, elle envahit
tout le ciel, et toute la
journée, du matin jusqu'au midi, du midi jusqu'au
souper. Et allez expliquer çà à des gens 
qui n'avaient jamais vu la nuit et son
obscurité étoilée, on pensait à la fin du monde. Tous 
étaient paniqués car le
soleil avait disparu, et sans soleil, pas de récolte et sans récolte,
qu'allait-on manger ?
Aussi,
dans le village, on s'est organisé. Certains marins disaient qu'ils avaient vu
le soleil 
se cacher derrière la mer, alors, comme on n'avait pas d'autres
idées, les hommes du village
sont partis dans leur bateau de pêche avec de
grands filets tressés pour l'occasion. C'était 
décidé, ils partiraient au bout
de la mer pour repêcher le Soleil.
Dans ce
village vivait aussi un petit garçon avec ses parents et son grand-père qui
était si 
vieux et si fatigué qu'il était presque aveugle et que même les mots
avaient du mal à sortir 
quand il parlait. Le père de l'enfant, lui, était
parti, comme tous les hommes du village, il
avait pris un grand sac, des couvertures, quelques vêtements, de la nourriture, et comme 
les autres, il
avait dit que le soleil, on le retrouverait et que tout redeviendrait comme
avant. 
Mais voilà bien trois semaines qu'il était parti, et personne n'avait de
nouvelles, ni des autres, 
ni de lui. 
L'enfant, quand il en parlait avec son grand-père, il disait :
 
-        
Je
ne comprends pas pourquoi on lui en veut à la Nuit, moi je la trouve plutôt
jolie. 
Et
c'est vrai qu'au fond, il l'aimait bien, avec ses étoiles et ses grandes ombres
sous la lune, 
quelle merveille ! Et chaque fois, en allant aux nouvelles des
pêcheurs de soleil avec sa
bougie, il s'arrêtait en chemin pour admirer la
Nuit, et il pensait à son père parti chercher la 
lumière.
C'est
alors qu'une branche craqua derrière son dos. Il prit peur, il serait bien allé
se réfugier 
dans la maison mais elle était trop loin. Son cœur se mit à battre
vite, vite; il n'osait pas se 
retourner, il essayait de se faire petit, tout petit,
mais son cœur battait comme cent tambours.
-        
Tu
sais où se trouve le Soleil ? dit alors une voix grave qui
ressemblait à un 
   grognement.
Il ne
répondit pas, il restait immobile.
-        
Parce
que , j'ai vu que tu avais des rayons de Soleil plein les mains, alors, je me
   suis dis, comme je cherche le Soleil... 
 
L'enfant
tourna lentement la tête. Une énorme masse poilue, qui devait faire au moins
trois 
fois sa taille, le regardait avec un air maladroit et timide.
-        
Oui,
parce que, chez nous, reprit-il, le Soleil, on n'en a plus... Tu peux me
dire 
   où je peux en trouver, du Soleil ?
-        
Non,
répondit l'enfant qui avait la gorge nouée par la peur. 
-        
Tant
pis, reprit l'ours dans un immense soupir, merci quand même. 
Une
larme coulait sur le coin de ses yeux.
-        
Attendez,
dit alors l'enfant, je n'avais jamais vu personne comme vous, et j'avais 
   peur, le Soleil, on l'a perdu nous
aussi, et la lumière dans mes mains, ce n'est 
   qu'une bougie. Mais peut-être que vous n'êtes
pas venu ici par hasard, peut-être 
   que vous connaissez la route pour retrouver le
soleil...
-        
Le
Soleil, chez nous, dans les montagnes, on dit que c'est le Grand Ours Noir qui 
   l'a attaqué, qu'en combattant,
Le Soleil a perdu les milliers de points qui brillent 
   dans le ciel, mais on dit aussi qu'il a
perdu la bataille et qu'il s'est enfui. Alors, 
   pour retrouver le Soleil, ou au moins quelques
rayons qu'il aurait perdus, je suis 
   parti, comme les autres, à la recherche du maître de la
Forêt du Nord. J'y étais 
   presque arrivé quand je t'ai vu avec tes rayons de Soleil. Mais
tu sembles le 
   chercher toi aussi, accompagne-moi si tu veux; voir ta lumière m'a
redonné une 
   lueur d'espoir.
Ils
partirent, laissant derrière eux, dans la neige fraîche et bruyante, de larges
traces profondes 
et ondulantes. Ils marchaient à travers la toundra, et
bientôt, la bougie, qui déjà, était bien 
petite, s'est éteinte. Mais les deux
chercheurs de Soleil ne perdaient pas courage, et 
glissaient toujours tout
droit vers le nord, sous la lune.
Les
premiers arbres se dressaient, noirs, au-dessus de leurs ombres, quand une fine
pluie
de diamants commença à tomber du ciel pour venir fondre dans leurs mains.
Il neigeait, et 
sous les reflets de la lune, ça étincelait, et ça brillait de
toute part. Ils respiraient l'odeur 
froide et naïve de la neige, c'était beau, comme mille anges tournoyant dans le ciel.
C'est
alors qu'une grande ombre glissa au-dessus de leurs têtes, comme un bruit de
plumes 
à travers les flocons. Ils s'arrêtèrent. Un long sifflement vint rompre
le silence de l'hiver.
Dressé sur une branche, une silhouette noire et raide
les regardait fixement de ses yeux 
brillants comme des éclairs dans un ciel
d'orage.
-        
Je
crois que c'est lui, murmura l'ours, qui n'était pas trop rassuré. 
Mais une voix l'interrompit, une voix qui venait d'un grand arbre, qui venait
d'une haute 
branche, et qui résonnait dans la forêt en de multiples échos.
-        
Un
ours et un enfant, comme c'est touchant...
-        
Nous
cherchons le Soleil, on nous a dit que le Maître de cette forêt connaît le
   moyen de le retrouver ! reprit l'ours.
-        
Ils
cherchent le Soleil, quelle drôle d'idée....
L'ombre s'envola pour se poser sur une branche plus basse qui surplombait les
deux 
compagnons.
 
-        
Mais pourquoi vous aiderais-je ? Mon domaine à moi, c'est la
Nuit, et j'y suis 
   bien. C'est là que je démasque ce que
les autres ne peuvent voir, c'est là que je 
   découvre ceux qui se cachent, c'est là que
j'effraie ceux qui ont peur, c'est la 
   Nuit qui me nourrit et qui me fait vivre. Le Soleil, lui, ne
m'aime pas, et ses 
   rayons sont pour moi comme des poignards aveuglants. Le Soleil que vous
   cherchez n'est plus ici, il est de l'autre côté de la terre. Nous, les créatures de la
   nuit,
nous sommes différentes, nous ne vivons vraiment que lorsque la terre 
   s'assombrit, et
c'est parce que nous sommes un mystère pour les créatures du 
   jour qu'elles ont peur de
nous, mais au fond, ont-elles seulement essayé de 
   nous connaître ?
-        
Alors,
dit l'enfant dont les yeux brillaient de plus en plus à mesure qu'ils se
   remplissaient de larmes, alors le Soleil a
disparu pour toujours ? 
-        
Oh,
ne me regardez pas comme cela, je n'y suis pour rien, la vie est ainsi, on 
   n'a
pas toujours ce que l'on veut, et je
n'ai pas choisi cette situation, même si, 
   je dois l'avouer, depuis que la Nuit est là, je
suis libre, je ne suis plus enfermée
   dans l'enceinte sombre de la forêt.
-        
Il
n'y a donc aucun moyen ? Qu'allons-nous devenir, nous qui ne pouvons pas
   vivre dans la Nuit ? reprit l'ours.
-        
Oh,
il y a bien un moyen de résoudre le problème, il vous suffit de traverser la
   forêt, toujours vers l'est et de compter toutes
les étoiles que vous verrez dans le 
   ciel. Si vous avez assez de courage et que votre cause
est juste, tout s'arrangera.
-        
Comment
cela peut-il marcher ? demanda l'enfant.
-        
Il
faut croire que cette forêt n'est pas qu'une simple forêt... répondit l'ombre,
   puis, en deux battements d'aile, elle disparut.
La
neige s'était arrêtée de tomber et avait effacé leurs traces. Ils étaient
perdus. Alors, 
comme ils n'avaient pas d'autre solution, ils se mirent en
route, vers l'est. L'ours marchait 
péniblement dans la neige épaisse et portait
l'enfant qui comptait les étoiles. 
-        
Un,
deux, trois, quatre,...
Il comptait, comptait, ça le berçait en même temps. Arrivé à 1956, ses
paupières devinrent 
de plus en plus lourdes. Il pensait, je ne dois pas dormir,
il luttait, mais bientôt, il 
s'endormit. Quand ils se sont réveillés, ils
n'étaient plus dans la forêt, ils étaient au sommet 
d'une colline, au pied d'un
arbre où se trouvait, silencieuse, l'ombre de la veille.
-        
Enfin,
vous vous réveillez juste à temps. Le Soleil et la Nuit font mauvais 
   ménage; je vais partir, la Nuit va bientôt se retirer,
mais elle ne partira jamais tout 
   à fait, et reviendra chaque hiver, plus noire que jamais, avec ses
Lunes à midi. 
   Vous, vous aurez pour vous les étés et les Soleils de minuit. Maintenant,
adieu, 
   je dois partir.
Elle
disparut en une fraction de seconde. Il n'y avait plus un bruit à la ronde.
C'est à cet 
instant qu'un disque de lumière jaune et brillante qui ressemblait
à une orange, qui 
ressemblait au Soleil apparut à l'horizon. 
Le jour
était revenu, on apercevait au bas de la colline la mer, le village et les
bateaux 
de pêche qui rentraient au port. L'enfant et l'ours se firent leurs
adieux et partirent chacun 
de leur côté. Au village, pour fêter les
retrouvailles, on fit une grande fête qui dura bien
 trois jours.
C'est
depuis cette époque que, chaque hiver, le Soleil disparaît et que chaque année,
à la
même date, les enfants de ce pays sortent avec des bougies en mémoire de
l'Ours qui les 
aida à retrouver le Soleil.
Robin
Semal