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samedi 24 septembre 2011

3 sorcières

Il y avait une fois trois soeurs qui ne riaient
jamais. L'un s'appelait Scoliose, ou Scolly,
parce qu'elle était un peu tordue... la
deuxième s'appelait Squelette, ou Squelly,
parce qu'elle était aussi raide, petite et laide
que le cadavre desséché d'une souris
embaumée par des Egyptiens depuis
quarante siècles... et la troisième Scorie, ou
Scory, parce qu'elle trouvait ce nom affreux
tout à fait à son goût.

Comme elle s'ennuyaient, elles décidèrent de fonder une association qu'elles
appelèrent "3S". S comme Scolly, Squelly et Scory, bien sûr. S comme soeurs,
mais surtout, S comme sortilèges, strychnine et séquestration, ou comme serpents,
soupiraux et sépultures, ou scorpions, sarcophages et sanglots, ou encore
salissures, scolopendres et scarabées, ou même : subjonctifs, satisfaisant-mais-
peut-mieux-faire et suppositoires.

Personne ne les voyait jamais. Tout le monde en avait peur. Le maire avait même
décidé que le bus scolaire ne devait pas s'arrêter à proximité de leur maison. Ce qui
n'était pas très malin, car les enfants du voisinage étaient obligés de marcher un bon
moment à découvert pour rentrer chez eux. D'ailleurs ils ne marchaient pas, ils couraient.

Un après-midi, alors qu'elles observaient les enfants du haut de leur colline, les trois soeurs
en remarquèrent deux qui ne couraient pas.

- Ces deux-là sont horriblement mignons,
   non ? chuchota Scolly en faisant la
   grimace. Si on les transformait en poux ?

- Et si on les mangeait ensuite ? fit Squelly.

- Regardez-moi ça ! Ils se tiennent par la main, c'est incroyable ! mumura Scory.
   Donnons-leur une raclée !

- Ecoutez-moi ça ! continua Squelly. On les entend rire d'ici. Ca me dégoûte.

- Allons-y ! dit Scolly en crachant par terre.

Elles se précipitèrent sur les deux enfants, les enveloppèrent dans des couvertures
avant même qu'ils s'en aperçoivent, les ligotèrent et les emportèrent dans une
brouette.

Arrivées chez elles, elles jetèrent les deux enfants sur un divan et se mirent à leur
poser les questions qu'elles se posaient depuis toujours - en se cachant pour ne pas
trop les effrayer avec leurs yeux qui semblaient prêts à sortir de leurs trous comme
des crapauds gluants.

- Premièrement, dit Squelly en se retenant à peine de vomir, pourquoi êtes-vous si
   gais ?

- A quoi ça sert de se tenir la main ? gémit
   Scory.

- Qu'est-ce que ça eut dire : de bonne
   humeur ? demanda Scolly.

- On ne peut pas répondre à ces questions
   quand on est ficelés comme des rôtis !
   dit la petite fille, calmement.

- On peut à peine respirer. Et montrez-vous,
   au moins, ajouta le garçon. Qu'on fasse connaissance.

Après un rapide conciliabule, elles décidèrent de les détacher. Car elles devraient
peut-être les garder plusieurs jours, et l'idée de les nourrier à la cuillère leur
soulevait le coeur. Lorsque les enfants les virent, ils trouvèrent Scory vraiment
drôle, avec son regard furieux, Scolly avait l'air plus malheureuse que méchante et
Squelly leur sembla si maigre et si petite que non seulement ils ne pensèrent pas
une seconde qu'elle pût leur faire mal, mais ils la trouvèrent mignonne. Ce qui était
un peu exagéré.

- Qui êtes-vous ? demandèrent les enfants qui le savaient très bien.

- Les trois S !!! s'écrièrent d'une seule voix Scolly, Scory et Squelly.

- Ah bon ! On a cru un instant que vous étiez des sorcières ! plaisantèrent les
   enfants.

Les trois soeurs se regardèrent, interloquées, puis se mirent à rire bruyamment.
Elles s'arrêtèrent aussitôt car elles avaient mal aux côtes et aux mâchoires : C'était
la première fois qu'elles riaient depuis qu'elles étaient petites. Le calme revenu, les
enfants se présentèrent : Didi et Lolo. Ensuite ils réclamèrent un goûter, comme
s'ils étaient chez leurs grand-mères.

Elle acceptèrent, impatientes de connaître les réponses aux questions qu'elles se
posaient depuis toujours. Elles se rendirent à la cuisine.

- Je vous ai vues rire ! dit Squelly. Vous avez dû
   attraper la rigolade. Je crois que c'est 
   contagieux.

- Tu as ri ! dirent les deux autres.

- C'est bien ce que je disais, c'est contagieux !
   dit Squelly.

Comme elles n'en avaient jamais préparé de toute leur
vie, le goûter fut un peu bizarre : il y avait des biscuits
à la rose et au citron, du jus de tomates sucré, des scones à la pomme de terre et d'autres choses bien plus étranges encore. Ensuite, elles posèrent pour la seconde fois leurs questions :

- Eh bien..., dit Lolo. On se tient par la main parce que ...  Et il se mit à rire.

- Oui ? dit Squelly.

Les deux enfants se regardèrent et se mirent à nouveau à rire.

- Mais pourquoi êtes-vous si joyeux, à la fin ? explosa Scory.

- Parce que le goûter est bon ! répondit Didi.

Les trois sorcières restèrent muettes.

- On ne peut répondre à toutes vos questions en une seul fois, reprit Didi.

- Et là, il faut qu'on rentre chez nous, dit Lolo, sinon nos parents vont s'inquiéter.

- On peut revenir demain ? demanda Didi.

Les trois soeurs devinrent rouges comme trois vieilles tomates. C'était la première
fois que quelqu'un avait envie de les voir. Lorsque les enfants furent partis, elles
regardèrent leurs joues colorées et cela leur donna une idée : dorénavant, elles
allaient mettre des robes plus gaies, ainsi les enfants n'auraient plus peur d'elles
et elles pourraient les attirer très facilement.

Elles se rendirent immédiatement en ville pour acheter des habits de toutes les
couleurs. Sur le chemin du retour, Squelly vit Scory et scolly se tenir par la main.

- Qu'est-ce que vous faites ? s'écria-t-elle.
   Vous êtes folles ?

- Oui, répondit Scory. On est folles !

- Comme toi, hurla Scolly, espèce de vieux
   cornet de glace !

- Cornet de glace toi-même, vieux sapin de
   noël, dit Squelly.

Et les trois éclatèrent de rire. Mais cette fois, en mille morceaux. Ce qui arrive,
malheureusement, quand on ne rit pas assez souvent. Et comme c'étaient de vraies
sorcières, les morceaux se recollèrent, mais pas exactement comme avant. Leurs
bouches se mirent à l'envers, et elles riaient tout le temps.

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